jeudi 1 octobre 2020

Quand l’engagement des élèves en classe soutient l’apprentissage

Une classe peut sembler fonctionner comme une ruche avec des élèves qui collaborent, s’enthousiasment, s’amusent en s’engageant dans les tâches qui leur sont proposées. Lorsque nous observons d’un œil extérieur une telle situation, à coup sûr nous sommes enclins à estimer que ces élèves apprennent et que le temps passé en classe est admirablement utilisé par l’enseignement. 

Mais en est-ce nécessairement le cas ? 

(Photographie : Nicholas Constant)



La faiblesse du facteur d’engagement en classe comme indicateur d’apprentissage


Il est très malaisé d’avoir des certitudes a priori sur ce qu’un enseignement donné et à travers lui les activités sélectionnées vont générer comme apprentissage, même lorsque l’engagement des élèves est rencontré.

Des activités qui se révèlent efficaces en matière d’apprentissage généré dans une classe peuvent ne pas fonctionner du tout dans une autre et inversement. En effet, même si l’engagement des élèves est un prérequis et leur motivation est généralement favorable, ils ne préfigurent en rien de la qualité et la quantité des apprentissages concrètement générés.

Le fait que les élèves sont très occupés à faire des tâches donne l’impression qu’ils apprennent, mais les activités dans lesquelles ils sont engagés peuvent ne pas générer l’apprentissage escompté.

  • Une première exigence recouvre le fait que les élèves doivent être effectivement confrontés à des contenus qu’ils ne connaissent pas encore pour la majorité d’entre eux.
  • Une deuxième exigence est que les élèves doivent disposer des connaissances préalables nécessaires pour aborder les tâches d’apprentissage.
  • Une troisième exigence est que les connaissances développées par les activités sont effectivement alignées sur des intentions d’apprentissage clairement identifiées.


Une première distinction est que sans savoir ce que les élèves connaissent ou ne connaissent pas, les enseignants pourraient ne pas placer les élèves dans une situation où ils transforment, développent ou approfondissent leur compréhension d’un concept particulier. Ce qui pourrait ressembler à des apprentissages, pourrait en fait simplement les maintenir occupés.

Une seconde distinction est celle entre apprentissage et performance. La performance est à court terme tandis que l’apprentissage est à long terme. L’engagement peut être un simple indicateur de performances sans que celles-ci se transforment en apprentissages à long terme. Par exemple, laisser les élèves résoudre des problèmes avec une guidance minimale n’est en général pas la meilleure manière de développer leurs compétences en résolution de problèmes.

En conclusion, l’engagement peut être considéré comme un mauvais indicateur de l’apprentissage. L’engagement est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour l’apprentissage. Il reste absolument nécessaire de vérifier de manière indépendante l’existence d’un apprentissage et cela régulièrement.



Des facteurs observables en classe, favorables à l’apprentissage des élèves


La science de l’apprentissage offre des pistes pour contourner nos biais cognitifs en lien avec l’engagement. Même en ce qui nous concerne, il n’est pas évident d’évaluer l’efficacité des stratégies dans lesquelles nous nous engageons. Certaines approches efficaces nous semblent inefficaces et certaines approches inefficaces nous semblent efficaces.

L’apprentissage étant en grande partie invisible, l’enjeu est de le rendre visible pour qu’il soit observable. Ainsi, vérifier le résultat régulièrement et ajuster nos pratiques en fonction est fondamental.

Plutôt que d’observer l’engagement des élèves, un facteur plus pertinent pour observer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage en classe consiste à se centrer sur les interactions. Est-ce que l’enseignant déploie régulièrement des pratiques liées à la vérification de la compréhension ou de l’évaluation formative et avec quel succès ? L’enseignant donne-t-il à ses élèves des opportunités de pratique autonome ? 

L’enjeu est de favoriser l’apprentissage et la profondeur face à la simple performance et à la superficialité. Il s’agit de doser chaque fois le bon niveau de difficulté. 

Il s’agit d’échapper au piège de ce qui semble attrayant. Ce qui compte nettement plus est la profondeur du traitement nécessaire pour accomplir une tâche plutôt que des actions plus superficielles et engageantes.

Les activités les plus plaisantes et attrayantes ne sont généralement pas les plus liées à un apprentissage profond et durable. Un apprentissage demande de se mettre dans des conditions de difficultés désirables qui tiennent compte des limites de la charge cognitive des élèves. Il y a un certain inconfort léger, mais présent que des occasions de réussite et du renforcement positif peuvent contrebalancer. 

Le choix des tâches ne doit pas être fait dans un critère premier de manière à ce qu’elles soient naturellement engageantes, attrayantes et ludiques. Il doit porter sur des caractéristiques qui favorisent les conditions d’un apprentissage réel. Ces caractéristiques doivent inclure une progression vers des tâches plus complètes et complexes au fur et à mesure. Elles soutiennent le développement d’une autonomie en lien avec l’acquisition préalable de nouvelles connaissances. Elles doivent aboutir à la capacité de réaliser des transferts proches.

Les tâches sélectionnées doivent permettre l’acquisition progressive de l’objectif pédagogique visé tel qu’il sera évalué ultérieurement. Il s’agit donc d’acquérir des savoirs (concepts, connaissances et règles), d’installer des savoir-faire (des outils ou techniques). L’enjeu est de favoriser l’élaboration et l’intégration de compétences spécifiques à un domaine que l’élève pourra transférer dans des contextes proches dans un second temps.

Il s’agit d’éviter que les élèves puissent se contenter d’un traitement superficiel des tâches et de s’assurer qu’ils s’engagent cognitivement à la profondeur souhaitée. Si tel n’est pas le cas, les élèves peuvent ne pas apprendre. Vu la propension du cerveau humain à économiser ses ressources, il y a de grandes chances que ce soit le cas, sauf motivation intrinsèque suffisamment importante des élèves.

De plus, non seulement des activités pratiques doivent donner l’occasion d’un traitement en profondeur, mais elles doivent aussi offrir des opportunités distinctes où les élèves manifestent ce qu’ils savent et comment ils le savent. 

L’enseignant doit régulièrement évaluer et vérifier la compréhension et la mise en place des apprentissages. Il doit offrir une rétroaction régulière et adapter ses interventions en fonction du retour d’information dont il bénéficie. Il s’agit d’assurer les conditions d’une profondeur de pensée qui mènent à une compréhension significative ou durable.



Le danger de certaines croyances communes sur l’apprentissage des élèves en classe


Pour guider leurs choix pédagogiques et la structuration de leurs enseignements, les enseignants ont besoin de pouvoir s’appuyer sur un modèle psychologique de l’élève comme l’explique Daniel T. Willingham.

Voir articles :

Des failles dans ce modèle induisent des faiblesses dans l’enseignement prodigué. L’association Deans for Impact en a pointé quelques-unes dans une étude sur des futurs enseignants (2020) :

  • Il peut s’agir de croyances en lien avec les styles d’apprentissage visuel, kinesthésique ou auditif.
  • Les élèves apprendraient mieux lorsqu’ils ne savent pas qu’ils apprennent, par conséquent, une activité gagne à être plus amusante et plus engageante.
  • Il peut s’agir d’intuitions personnelles sans bases psychologiques : 
    • Côté pratique de la tâche plus simple à mettre en œuvre en classe
    • Sentiment d’un apprentissage plus aisé et assuré lorsque c’est facile.
    • Évitement de tâches pouvant susciter l’ennui et le désengagement par leurs exigences de réflexion.
  • La conviction qu’il faut laisser les élèves découvrir par eux-mêmes en fonction de leurs envies.
  • L’idée que les élèves vont systématiquement produire des réponses plus significatives sous forme de tableaux ou de cartes mentales, que sous forme de paragraphes ou d’un texte structuré. 

De toute bonne foi, des enseignants, en s’appuyant sur de telles conceptions erronées ou malentendus pédagogiques, sont susceptibles de mettre en place des processus d’enseignements sous-optimaux. Mythes et malentendus éducatifs imprègnent en effet régulièrement la profession d’enseignant.




Un modèle psychologique utile de la mémoire pour les enseignants


Un élément essentiel pour les enseignants, mais non unique est ainsi de disposer d’un modèle de l’esprit. Cette représentation d’Oliver Caviglioli réalisée dans le cadre du livre de Tom Sherrington consacré aux principes des Barak Rosenshine est particulièrement précieuse à ce titre.


Nous existons tous dans un environnement. Bien que les stimuli dans nos environnements soient nombreux, nous ne nous occupons que de quelques-uns d’entre eux à la fois. Certains s’imposent à nous, d’autres sont sélectionnés par notre bon vouloir.

Notre attention en fait entrer un petit nombre dans notre mémoire de travail. Les autres ne sont pas pris en compte ou considérés. 

Ce petit nombre d’informations qui entrent en mémoire de travail va bénéficier d’un traitement. Une réflexion se produit, en lien avec des connaissances en rapport, activées en mémoire à long terme. Le traitement est rendu possible par ce que nous connaissons déjà préalablement.

Certaines informations nouvelles traitées sont enregistrées dans notre mémoire à long terme. Le reste, tout ce qui n’est pas traité et même une part importante de ce qui est traité, sera finalement perdu.

Trois éléments cruciaux de ce modèle sont que :

  1. L’attention est une ressource limitée, nous ne pouvons capturer qu’une partie des informations rencontrées.
  2. La mémoire de travail, notre unité de réflexion et de traitement est elle-même limitée. 
  3. Les connaissances en mémoire en long terme permettent et orientent le traitement en mémoire de travail. Ce processus enrichit la mémoire à long terme.

  De ces éléments découlent trois implications pour l’enseignement

  1. L’attention des élèves bénéficie à être guidée par l’enseignant vers les éléments cruciaux. De même, avertis de l’objectif pédagogique visé, les élèves peuvent mieux centrer leur attention. Les enseignants doivent concevoir des tâches qui demandent aux élèves de concentrer leur attention sur la signification du contenu en question et les attendus en lien, qui ensemble constitueront l’apprentissage.
  2. Les contenus enseignés doivent dispenser des éléments nouveaux en un petit nombre à la fois pour ne pas saturer la mémoire de travail et la rendre apte à effectuer un traitement. Les connaissances préalables doivent ainsi être prises en compte pour doser le rythme de l’enseignement.
  3. L’enjeu de l’enseignement est d’installer de nouvelles connaissances en mémoire à long terme. Ce processus doit se faire de manière finement intégrée avec une recherche de durabilité. Il s’agit de demander à l’élève de récupérer régulièrement en mémoire à long terme des informations préalablement mémorisées, et d’élaborer autour d’elles pour les rendre plus durables et plus profondes.

Ainsi, lorsqu’un élève est simplement engagé dans des tâches, cela ne signifie pas qu’il apprend. Il y a le risque de confondre ce qui semble devoir fonctionner avec ce qui fonctionne réellement, ou « je l’ai enseigné » avec « ils l’ont appris ». De même, la performance d’un élève à un moment donné, à la suite d’une activité d’enseignement ne permet pas d’extrapoler qu’il en résultera un apprentissage durable à long terme.

Ces malentendus sur l’engagement et l’apprentissage lorsqu’ils servent à concevoir et à piloter l’enseignement sont susceptibles de causer des dommages durables.

Les résultats de la déconnexion entre priorités mal orientées et apprentissage des élèves font qu’ils risquent de ne pas apprendre ce qui était escompté. Ce décalage n’est souvent rencontré que lorsqu’il est trop tard ou jamais. 

La baisse générale du résultat des élèves est dès lors attribuée à d’autres facteurs, ce qui occulte encore davantage la cause profonde du problème.

Il est donc crucial de bien prendre en compte la différence entre :

  • La dimension de la cognition à mettre en œuvre dans l’esprit de l’élève
  • La dimension de la perception qui se résume à avoir une classe engagée et qui travaille
Cette différence a une influence notable dans les intentions de pratiques des enseignants, dans la conception pédagogique et dans sa mise en œuvre. C’est l’obtention de la cognition qui doit primer. L’obtention de l’engagement ne peut suffire, mais il est une condition nécessaire à la cognition.

Il est important de prendre en compte les principes mis en évidence par la science de l’apprentissage pour que les élèves puissent acquérir des connaissances durables et profondes.


Mis à jour le 12/01/2023


Bibliographie


Carl Hendrick and Jim Heal, Just because they’re engaged, it doesn’t mean they’re learning, 2020, https://impact.chartered.college/article/just-because-theyre-engaged-doesnt-mean-learning/

Deans for Impact (2020) Learning by Scientific Design. Austin, TX : Deans for Impact.

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