mercredi 15 mai 2019

Comprendre l’implication des mécanismes de l’attention dans les activités d’enseignement

Il existe des limites inhérentes à l’attention et à ses processus. Elles entrainent que des élèves à la lecture d’un texte ou d’un énoncé sont susceptibles de passer à côté d’informations importantes ou pertinentes.

De façon similaire, ils peuvent se laisser distraire par des informations périphériques ou perdre le fil de leur concentration.

(photographie : Rob Stephenson)


L’objectif de cet article est d’explorer de quelle manière les sciences cognitives peuvent nous aider à mieux comprendre les phénomènes reliés à l’attention et leurs limites. L’enjeu est de mieux éclairer certaines pistes et leurs implications pour la pratique en classe.

Un élément d’information que nous enseignons n’a de sens que s’il parvient à capturer l’attention d’élèves susceptibles de la comprendre, de l’apprendre et de l’intégrer. Lorsque nous sommes concentrés efficacement sur une tâche, les stimuli non pertinents nous deviennent essentiellement invisibles. Comment expliquer ces phénomènes ?



Différencier la capture de l’attention explicite et involontaire


Pourquoi, lorsque les élèves font des erreurs de calcul ou des fautes d’orthographe basiques, ne les remarquent-ils pas à coup sûr lors d’une relecture ? Lorsque par la suite, l’enseignant leur pointe l’erreur, elle leur paraît souvent d’emblée évidente et rétrospectivement évitable. Ils peuvent ne pas comprendre comment elle leur a échappé.

Pourquoi, à la lecture d’un énoncé ou d’un document, les élèves peuvent-ils passer à côté d’éléments rejetés comme détails annexes, alors que pour leur enseignant, ils apparaissent d’emblée cruciaux ? Autrement dit, pourquoi des éléments d’information exposés au regard ne sont-ils pas toujours remarqués et pris en considération de la même façon par tous ?


Il est intéressant de comprendre les mécanismes à l’origine de ces situations. Elles font que des informations pertinentes échappent à un traitement conscient, tandis que d’autres qui n’ont que valeur de distraction viennent détourner des ressources limitées et précieuses.

Parfois, des événements saillants et pertinents, qui se produisent sous les yeux des individus, ne sont pas nécessairement remarqués. Nous parlons dans ce cas de capture de l’attention explicite.

À l’opposé, les élèves comme les enseignants vont percevoir d’emblée certains stimuli saillants dans l’espace visuel alors qu’ils ne les recherchent pas spécifiquement. Par exemple, un élève peut avoir son attention détournée par des condisciples qui chuchotent à distance, par l’entrée d’une abeille dans la classe ou par le simple fait de voir un camarade consulter discrètement son téléphone.

Paradoxalement, l’enseignant peut être tenté d’introduire des activités ou des expériences ludiques ou attrayantes, ou incité à le faire, dans le but de susciter l’engagement de ses élèves. Le tout peut se traduire par une attention dispersée plutôt que centrée sur les objectifs propres à la leçon. Tout apport de complexité attrayante que l’enseignant peut intégrer dans son cours pour en augmenter l’attractivité est susceptible de devenir contre-productif. Les élèves peuvent focaliser leur attention sur des éléments superficiels et ne pas percevoir le concept abstrait sous-jacent.

Des informations non pertinentes pour ce qu’elles apportent à la résolution d’une tâche ont le potentiel de détourner automatiquement l’attention et de nuire à la performance. C’est vrai même si cette capture n’est pas toujours perçue consciemment. Nous parlerons ici de capture de l’attention involontaire.



Capture de l’attention explicite


Le principe est qu’un élève ne va pas toujours remarquer toutes les informations pertinentes qui lui passent devant les yeux. La réponse de la psychologie cognitive est que ce phénomène est inhérent au fonctionnement de l’attention.

En tant qu’enseignant, lorsque l’élève fait des erreurs d’inattention lors d’une évaluation, nous pouvons être tentés de rejeter ça sur le compte d’une certaine négligence ou d’un manque de maîtrise des compétences visées. 

La recherche en sciences cognitives sur l’attention montre que ce phénomène a une base qui est naturelle au fonctionnement de l’attention. Même si ce phénomène peut être atténué, il reste pour une part inévitable. Mettre en place des stratégies d’autorégulation permet de l’atténuer.

Comment expliquer que des événements normalement saillants et pertinents peuvent ne pas être vus ou pris en compte ?

Deux phénomènes différents en lien avec ces phénomènes ont été identifiés :
  • La cécité au changement
  • La cécité d’inattention



Le phénomène de cécité au changement et ses implications


Expériences


La cécité au changement a été mise en évidence dans des expériences qui consistaient à demander à des participants d’indiquer les différences entre deux photographies. Celles-ci étaient quasi identiques, à quelques détails près, et présentées successivement sur un écran d’ordinateur.



(source : J. Kevin O’Regan


Lorsque deux photographies de ce type sont présentées brièvement, l’une après l’autre, le détail ajouté ou manquant sur la seconde photographie est remarqué.

La raison est la modification soudaine de l’image rétinienne (couleur, forme, luminosité) dans la zone du changement. Le système visuel est très sensible à ce type de modification transitoire localisée et l’attention s’y porte de façon automatique.

En revanche, le changement n’est pas immédiatement remarqué lorsque des éléments transitoires localisés sont positionnés sur la photographie, par exemple des effets d’éclaboussure qui disparaissent rapidement de la photo. Ces éléments attirent également l’attention qui n’est alors plus dirigée uniquement vers l’élément recherché (la différence entre les deux photographies).




























































(source : J. Kevin O’Regan



Une difficulté similaire a également été relevée lors de la brève introduction d’un écran vierge entre les deux photographies. La présence d’événements transitoires réduit ainsi la saillance du changement à rechercher (ici les lignes blanches continues ou entrecoupées).

Le même phénomène a été testé avec des séquences vidéo et dans des conditions réelles comme le document suivant l’illustre :






Caractéristiques


En règle générale, des modifications sont immédiatement remarquées lorsqu’elles sont localisées dans les zones les plus intéressantes d’une photographie ou du champ de vision

Des modifications sont plus difficilement remarquées lorsqu’elles portent sur des zones visuelles relativement peu intéressantes. C’est une première forme de cécité au changement.

Une seconde forme se manifeste lorsque des événements transitoires localisés divertissent brièvement l’attention. Dans ce cas, le phénomène de cécité au changement peut même avoir lieu dans des zones d’intérêt si des perturbations brèves sont introduites.

Ces interruptions créent, au niveau de la rétine, une multiplicité d’événements transitoires localisés qui vont noyer l’événement transitoire cible correspondant au changement recherché.

Le phénomène de cécité au changement indique que :
  • Les éléments d’un champ de vision situés en dehors de la fenêtre attentionnelle ne sont pas contenus dans la représentation en mémoire.
  • Nos représentations d’une scène visuelle contiennent relativement peu d’informations et de détails visuels lorsque des perturbations, même transitoires, affectent l’identification.

Les implications pour l’enseignement sont que :
  • Premièrement, il est pertinent de structurer l’information de manière à rendre toutes les informations pertinentes aisément accessibles et en évidence. Il ne faut pas cacher d’informations ou considérer leur présence implicite comme suffisante en elle-même.
  • Deuxièmement, un trop-plein d’éléments distrayant peut rendre invisible une information pertinente.
Dans les deux cas, des informations pertinentes peuvent tout simplement échapper à un traitement conscient indépendamment de la capacité des élèves à les traiter lorsqu’ils y accèdent.



Le phénomène de cécité d’inattention et ses implications


Expériences


La cécité d’inattention correspond à l’absence de perception consciente d’un événement manifeste, mais incongru qui se produit au milieu d’une scène visuelle, lorsque l’esprit est occupé à traiter un autre événement.

Elle a été mise en évidence par une fameuse étude de Simons et Chabris en 1999.

Dans un premier temps, ils ont demandé à des participants de regarder activement une vidéo, en comptant par exemple le nombre de fois qu’un événement donné se produit.

Dans un second temps, ils ont demandé aux participants s’ils ont remarqué quelque chose de surprenant ou d’incongru.

Dans l’étude considérée, six joueurs de basket-ball répartis en deux équipes se déplacent dans un espace réduit tout en se faisant des passes. Les joueurs portant un tee-shirt blanc font circuler une balle entre eux et ceux portant un tee-shirt noir font circuler une autre balle entre eux. Les participants doivent compter le nombre de fois où les joueurs au tee-shirt blanc se sont passé la balle.



Ils doivent répondre alors à deux questions successives. La première porte sur le nombre de passes et la réponse est en général correcte. La seconde question leur demande s’ils ont vu le gorille. Environ 50 % répondent que non.

Lorsqu’ils voient à nouveau la vidéo sans compter le nombre de passes, ils découvrent qu’un individu déguisé en gorille traverse lentement la scène, de la droite vers la gauche, de manière ostentatoire.

Si les participants savent qu’un gorille va traverser la pièce, ils le remarquent tous. Mais pour autant, ils restent inattentifs à d’autres éléments incongrus qui peuvent avoir été intégrés.

Quelque chose de visible peut passer totalement inaperçu lorsque l’attention est divertie sur autre cible. De même, savoir à l’avance qu’un événement surprenant risque de se produire, et par conséquent être prêt au plan attentionnel ne facilite toutefois pas la détection d’autres événements surprenants et aurait même tendance à l’amoindrir.

Il y aurait un phénomène dit de satisfaction de la recherche selon lequel les individus sont moins enclins à chercher des cibles supplémentaires dès lors qu’ils ont trouvé la cible de leur recherche.

Un autre exemple de ce phénomène :






Caractéristiques


Dans le cas de la cécité d’inattention, l’événement surprenant qui n’est pas remarqué se déroule dans la zone de l’écran la plus intéressante de la scène visuelle. C’est-à-dire dans une zone fortement attendue.

Nous pouvons considérer le phénomène de cécité d’inattention pour le traitement d’un événement se produisant visuellement. Lorsque celui-ci mobilise, une part importante de la ressource en attention, il peut empêcher de repérer explicitement d’autres événements de cette scène visuelle. Cela reste le cas même si ces derniers se produisent en plein milieu de la fenêtre attentionnelle.

Des informations pertinentes, mais inattendues — pour lui en tant que novice — sont susceptibles d’échapper à un élève selon un processus attentionnel entièrement normal, car il ne s’attend pas à les rencontrer.

Toute la problématique de la pédagogie de la découverte est évidente ici. L’attention de l’élève est préprogrammée pour rechercher ce qu’il connaît. Des éléments pertinents, mais tout à fait nouveaux pour lui n’accèderont pas tous à un traitement conscient ce qui se traduira inévitablement par des errements au moins temporaires.

Nous pouvons mieux prévenir mieux ce phénomène de cécité d’inattention et contribuer à un plus grand apprentissage. Une piste est d’adopter un enseignement explicite auprès de l’élève en ce qui concerne la nature des informations pertinentes à rechercher. Nous le guidons dans la recherche, l’identification et le traitement des informations pertinentes. 

Les limites de l’attention en ce qui concerne la capture attentionnelle explicite peuvent être un facteur d’explication de la plus grande efficacité d’une approche d’enseignement explicite face à une démarche d’enseignement constructiviste.



Capture attentionnelle involontaire


Le phénomène de la capture attentionnelle involontaire a été mis en évidence dans des situations de recherche visuelle. Le but était de trouver un item cible parmi un ensemble d’items distractifs. Des stimuli prévisibles, mais non pertinents capturent souvent l’attention contre le gré des individus.

Il s’agit donc de l’attraction involontaire de l’attention vers des stimuli non pertinents.


Dans le cadre scolaire, ces stimuli non pertinents peuvent être fournis par l’enseignant, c’est-à-dire être endogènes aux supports et pratiques qu’il propose. Ils peuvent aussi être exogènes et liés à des questions de gestion de classe. Nous nous retrouvons dans une problématique du type de celles mises en évidence avec le dépassement de la charge cognitive.

Cette capture attentionnelle involontaire se traduit par un allongement du temps de recherche des éléments pertinents lorsqu’ils sont accompagnés d’éléments non pertinents présentant une caractéristique saillante.



La notion d’état attentionnel


Tout acte de recherche visuelle implique l’établissement d’un but attentionnel. L’individu doit se définir une mission, savoir ce qu’il cherche pour être efficace. Il adopte alors un état attentionnel.

Un élément distractif non pertinent peut en faire échouer la capture par l’attention d’un élément pertinent :
  • Un élément pertinent peut ne présenter que des caractéristiques auxquelles n’est pas sensible l’état attentionnel de l’individu au moment de la recherche. L’élément pertinent est alors ignoré et filtré. Il ne capture pas l’attention, car ses propriétés ne correspondent pas à celles mobilisées pour trouver une cible.
  • L’état attentionnel conditionne le degré de capture de l’attention par des stimuli non pertinents. En particulier, un stimulus saillant, mais qui n’a aucun rapport avec l’état attentionnel de l’individu peut faire échouer la capture par l’attention d’un élément pertinent. 

Par contre, lorsque l’attention d’une personne est complètement centrée sur une tâche d’observation pour laquelle il a été formé explicitement tout fonctionne mieux. Nous trouvons mieux ce que nous cherchons quand nous connaissons bien ses caractéristiques : 
  • La personne préalablement guidée est moins facilement distraite, car elle sait exactement quoi chercher. Elle sera plus performante pour la détection des informations pertinentes. 
  • La personne non clairement guidée adoptera une attitude plus dilettante et une recherche moins ciblée. Pédagogiquement moins guidée, elle sera plus sensible à la distraction pour la tâche en cours et moins performante pour la détection des informations pertinentes.

Concrètement, des élèves moins formés, moins intéressés, plus livrés à eux-mêmes ou moins engagés sont plus facilement distraits à capacités attentionnelles identiques que des élèves mieux formés, plus intéressés, plus guidés ou plus engagés.

L’état attentionnel est quelque chose qui peut se construire et dépend de différents paramètres :
  • Le guidage pédagogique
  • Les connaissances préalables.
  • L’intérêt et la motivation
  • L’engagement et l’état général
  • L’acquisition de stratégies cognitives et métacognitives.



L’existence de deux modes distincts de recherche visuelle liés à l’attention


La recherche visuelle opère selon deux modes distincts :
  • Un mode parallèle : La fenêtre attentionnelle est plus large et diffuse. Le mode parallèle de recherche élargit le focus attentionnel, plusieurs items sont observés en même temps de façon plus vague.
  • Un mode sériel : La fenêtre attentionnelle est étroite et réduite. Il est imputable à la nécessité d’analyser les items les uns après les autres jusqu’à ce que l’item cible soit trouvé. Le mode sériel de recherche réduit le focus attentionnel.

Cette situation correspond à la théorie d’intégration des attributs de Treisman et Gelade (1980) selon laquelle le traitement d’une scène visuelle opère en deux stades successifs :
  • Les caractéristiques de la scène sont enregistrées automatiquement et parallèlement lors d’un premier traitement précoce et préattentionnel. C’est le mode parallèle de recherche.
  • Les objets sont alors identifiés les uns après les autres lors d’un second traitement plus tardif et coûteux en attention. C’est le mode sériel de recherche.

Le choix du mode de recherche est sous le contrôle des buts et intentions d’un individu, c’est-à-dire de son état attentionnel. La fenêtre attentionnelle peut changer de taille selon les buts et intentions ;
  •  À un moment donné, un individu pourra opter pour un focus attentionnel couvrant une zone visuelle plus ou moins importante. 
  • L’individu peut également faire une mise au point qui se concentre sur une zone précise de la scène visuelle ou au contraire qui se diffuse sur toute l’étendue de celle-ci.

L’état attentionnel au moment de la recherche conditionne fortement l’ampleur de la capture attentionnelle involontaire. La capture ne sera pas la même si nous sommes en mode sériel ou parallèle. Tout stimulus saillant tombant à l’extérieur de cette fenêtre échoue immanquablement à capturer l’attention.

Les items distractifs présentant un caractère unique de type pop-up ou coloré capturent l’attention particulièrement lorsque celle-ci est distribuée dans une zone importante de la scène visuelle (qui correspond à un mode parallèle de recherche).

Ce phénomène recouvre tous les cas de distractions exogènes, c’est-à-dire en provenance de l’extérieur, qui peuvent détourner l’attention d’un individu. C’est un classique scolaire qui recouvre tout ce qui est qualifié de perturbations mineures en gestion de classe. Il s’agit des bavardages légers ou d’autres éléments distracteurs périphériques. Ces perturbations ont un impact non négligeable sur le temps d’attention scolaire réellement dédié aux apprentissages.

Nous le percevons ici, un élève peu engagé et moins formé est plus susceptible d’adopter une mode parallèle d’attention qui va le rendre plus sensible à la distraction.

Le phénomène peut recouvrir aussi l’utilisation de supports scolaires non optimaux qui peuvent ne pas assez guider l’attention. Il peut s’agir d’une présentation PowerPoint surchargée, de notes de cours exhaustives qui vont trop dans les détails, ou d’exemples distractifs qui amusent plus qu’ils ne servent à mettre leur cible en évidence, etc.



Paramètres de l’état attentionnel


Il a été établi que :
  • Le temps nécessaire à la recherche d’une cible est influencé par le nombre d’items distractifs lorsque la cible et les items distractifs sont difficilement discernables.
  • Le temps de recherche n’est pas (ou peu) influencé par le nombre d’items distractifs lorsque la cible et les items distractifs se distinguent nettement.

Comment le comprendre en situation de classe ?

Premièrement, si beaucoup d’élèves bavardent en classe, il devient difficile pour les élèves qui suivent le cours de se concentrer sur ce que dit l’enseignant. Il y a un problème de discernement lié à leur état attentionnel. Ils ont tendance à basculer dans un mode parallèle moins efficace pour l’apprentissage.

Par contre si beaucoup d’élèves sont désengagés, actifs dans des tâches différentes, mais restent silencieux, le niveau de perturbation sera inférieur pour les élèves qui souhaitent suivre les explications verbales de l’enseignant.

Un bruit de fond formé de chuchotement ne peut ainsi être négligé par l’enseignant, car il va présenter un coût d’apprentissage d’autant plus élevé que l’élève est déjà en difficulté.

La même chose peut avoir lieu avec un énoncé de problème. Il peut contenir moult détails secondaires, qui peuvent à première vue présenter la potentialité d’être pertinents. Le traitement de l’information va être ralenti, car ces éléments devront être écartés.

Ce ralentissement va être d’autant plus important qu’un élève ne possède pas des capacités de discrimination suffisamment installées concernant la matière en cours ou les prérequis. Il est plus susceptible de se fourvoyer.

Les élèves qui disposent d’un bagage de connaissances plus faible peuvent se retrouver dans l’incapacité de résoudre un problème alors même qu’ils ont acquis les capacités de traitement de celui-ci dans un cadre plus épuré. Des informations parasites les égarent et les bloquent.



L’existence de deux processus de capture attentionnelle involontaire


Il existe deux propositions diamétralement opposées du phénomène de capture attentionnelle involontaire. Elles semblent chacune essentielles pour obtenir un contrôle cognitif. Ces deux propositions sont conceptuellement opposées :



Bottom-up ou capture subordonnée aux influences ascendantes


C’est la nature de la saillance du stimulus qui détermine dans quelle mesure l’attention sera capturée indépendamment, des buts et intentions de l’individu, c’est-à-dire de son état attentionnel.
 
Il peut s’agir de stimuli apparaissant soudainement et de stimuli dynamiques. Dans tous les cas, ils n’ont aucun lien avec les éléments pertinents, mais sont particulièrement saillants :
  • Les stimuli saillants situés ou apparaissant dans la zone du focus attentionnel vont capturer l’attention.
  • En revanche, les stimuli situés en dehors de la fenêtre attentionnelle ne captureront pas l’attention.
  • Plus la fenêtre attentionnelle est diffuse, comme cela est le cas lors de la recherche en parallèle, plus il y a de chances qu’un stimulus saillant soit situé dans cette fenêtre et ainsi capture l’attention.
  • La taille de la fenêtre attentionnelle dépend d’un contrôle volontaire :
    • Un individu peut diminuer la probabilité que son attention soit capturée. 
    • Il peut réduire sa fenêtre attentionnelle, comme dans le cas d’un mode de recherche en série. 
    • Il peut également augmenter sa fenêtre attentionnelle, comme dans le cas d’un mode de recherche en parallèle.


Top-down ou capture subordonnée aux influences descendantes


C’est la nature de l’état attentionnel qui détermine si un stimulus saillant non pertinent capturera ou non l’attention. La capture attentionnelle serait subordonnée aux buts et intentions de l’individu.

Les déplacements involontaires de l’attention en direction d’informations non pertinentes ne sont donc pas directement imputables à leur saillance perceptive. En revanche, ses déplacements sont subordonnés à ce que les participants recherchent.

L’acte de recherche visuelle d’une cible implique que les participants établissent un but attentionnel — souvent appelé un état attentionnel (attentional set) — concernant la caractéristique qui distingue la cible du reste de l’ensemble des items.

Si un élément correspond à cet état attentionnel, il capturera l’attention. En revanche, si les caractéristiques de l’élément ne sont aucunement en lien avec ce que recherche l’individu, alors l’élément n’attirera pas l’attention.
Les réglages du contrôle descendant déterminent la capture de l’attention. L’état mental dans lequel se trouve un individu détermine lesquels des stimuli de l’environnement guident la capture de l’attention.

Si la capture est involontaire et est déclenchée par le stimulus (influence ascendante, bottom up), elle dépend malgré tout des paramètres de contrôle, que spécifient les buts et intentions des individus.



Le pilotage de l’attention et son implication pour l’enseignement et l’apprentissage


Les résultats de la recherche sur l’attention sont utiles dans une réflexion sur la conception et la pratique de l’enseignement. 

Dans ce cadre, ce qui doit nous intéresser concerne la façon dont :
  • Des informations pertinentes peuvent échapper à un élève.
  • Des informations non pertinentes peuvent accaparer l’esprit de l’élève.

L’état attentionnel dans lequel les élèves se trouvent pilote ce qui est vu ou recherché.

Nous parlons plus précisément de focus attentionnel ou de fenêtre attentionnelle pour décrire cette partie de notre champ de vision que notre esprit traite de façon plus approfondie. 

Cet état attentionnel joue un rôle dans la capacité des élèves à repérer des informations pertinentes. 
  • En dehors du focus attentionnel, les changements se produisant ne sont pas toujours remarqués et les stimuli présentant une forte saillance perceptive ne capturent pas toujours l’attention.
  • De même, il y a absence d’effet de capture attentionnelle pour un stimulus non pertinent lorsque sa forme de saillance ne correspond pas à la caractéristique de la cible recherchée.

Pour mobiliser optimalement son attention, un élève doit être capable de mobiliser un focus attentionnel pertinent qui lui permet de filtrer et repérer les informations pertinentes dans un contexte donné. 

Cela a des implications sur les tâches d’apprentissages utilisées pour développer les connaissances et les compétences voulues. 

Les élèves gagnent à être formés et guidés de manière explicite et guidée, à la fois pour les contenus et les stratégies employées :
  • Une modélisation experte leur donne accès directement à des schémas cognitifs plus sophistiqués avec lesquels ils peuvent s’entrainer directement et rechercher les bons éléments. 
  • La pratique délibérée qui va suivre (guidée puis autonome) va leur permettre de développer un apprentissage profond plus naturellement et plus aisément.
Deux autres conditions à cela sont que :
  • Les tâches d’apprentissage sont soigneusement sélectionnées et conçues.
  • L’enseignant vérifie la compréhension des élèves et délivre une rétroaction qui informe sur les actions à mener. 

Tout cela souligne l’importance des connaissances préalables : 
  • Une attention top-down pour les élèves doit être guidée par les schémas conceptuels qu’ils ont précédemment acquis pour être efficaces. 
  • Dans ce cas, les élèves adoptent plus facilement un mode sériel de recherche, car il serait plus efficace pour eux. Ils savent ce qu’ils cherchent. 
  • Lorsque l’élève n’a pas les connaissances préalables, il risque de privilégier une attention plus diffuse, moins efficace et plus sensible à la distraction.

Tout cela a également des implications pour la métacognition :
  • Dans un contexte similaire, pour des élèves il peut être difficile de repérer une erreur de calcul ou d’orthographe lorsqu’elles sont rares. 
  • Nous pouvons l’expliquer par le fait que la rareté induirait un mode de recherche visuelle à bas niveau d’activation du but de la recherche. 
  • L’élève se trouverait en mode parallèle, plus susceptible d’être distrait et de voir la cible lui échapper. 
  • La recherche pour des élèves serait dans ce cas essentiellement de type bottom-up, c’est-à-dire essentiellement guidée par les stimuli. Les élèves perdraient alors de vue ce qu’ils sont censés rechercher, ce qui réduirait leur capacité à remarquer la cible quand celle-ci se présente.
  • Ce type de recherche demande au contraire de maintenir un mode sériel. Il est utile d’en faire prendre conscience par les élèves pour qu’ils puissent mieux piloter leur état attentionnel.
  • Plus particulièrement, si un élève cherche des fautes de calcul ou d’orthographe, il doit spécifiquement les cibler et ne pas spécialement tenir compte du reste comme le sens de ses réponses. Il risque de ne pas tout repérer avec efficacité s’il ne cible pas son attention.

Pour apprendre efficacement et dans de bonnes conditions, les élèves ont besoin que leur attention soit guidée vers les bonnes ressources. De même, ils doivent prendre conscience qu’ils peuvent dans une certaine mesure piloter leur état attentionnel. En effet, si leur attention est trop dispersée ou distraite alors que le focus devrait être étroit, l’apprentissage risque de ne pas avoir lieu dans de bonnes conditions.

Ce que montre également le pilotage de l’attention, c’est qu’un apprentissage guidé permet une acquisition plus rapide de la capacité d’identification des informations pertinentes à traiter.

En tant qu’enseignants, nous gagnons donc à être systématiques, structurés, routiniers et à guider les élèves, c’est-à-dire à adopter un enseignement explicite. Nous pouvons également percevoir aussi toute l’importance d’une bonne gestion de classe pour l’apprentissage. Toutefois, l’enseignement explicite ne fonctionne pas par défaut. La conception de l’enseignement compte tout autant. Quels sont les formats de connaissances et les processus d’acquisition pertinents à mobiliser ?




Mis à jour le 14/05/2023

Bibliographie


François Maquestiaux, Psychologie de l’attention, Deboeck, PP 71-97, 2017

Anne Treisman and Garry Gelade (1980). “A feature-integration theory of attention.” Cognitive Psychology, Vol. 12, No. 1, pp. 97–136.

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