mardi 14 août 2018

Planification des révisions en enseignement explicite et apports des sciences cognitives

Quel rôle vient jouer une révision régulière des apprentissages après leur phase initiale d’enseignement ? Que nous disent les sciences cognitives sur l’importance de réactiver et de récupérer des connaissances précédemment apprises ?

(Photographie : Franky Larousselle)



Les objectifs des révisions


Certains enseignants considèrent qu’une fois le contenu enseigné et appris une première fois par les élèves, il n’est plus nécessaire d’y revenir. Leur devoir d’enseignement est accompli. Ils en sont déresponsabilisés. La charge de l’apprentissage reviendrait maintenant aux élèves. 

Consciencieux et parce que cela correspond aux routines organisationnelles de l’école, ils organisent tout de même généralement quelques heures de révisions à l’approche des épreuves certificatives pour soutenir le travail autonome de leurs élèves.

Régulièrement, ils s’insurgent auprès de leurs collègues, du fait que leurs élèves ont oublié tout ou partie de ce qu’ils leur ont enseigné quelques semaines ou quelques mois auparavant.

Pourtant, la réactivation ou la récupération régulière des connaissances et habiletés enseignées sont deux conditions indispensables pour que les élèves puissent les maintenir accessibles en mémoire à long terme. Les bienfaits de l’effet d’espacement et de l’effet de test, mis en évidence par la science de l’apprentissage, confirment toute leur importance.

Mais autant que le maintien, c’est également le transfert des apprentissages qui est en jeu. Celui-ci est d’autant plus facilité que les savoirs et savoir-faire sont sollicités régulièrement pour être mobilisés dans d’autres contextes voisins.



Repenser l’idée du drill sous forme de pratique distribuée


Le drill est une technique pédagogique fondée sur la répétition intensive d’une pratique par un élève jusqu’à développer un automatisme.

Dans les milieux éducatifs, il est parfois associé à « drill and kill ». Celle-ci signifie qu’en amenant un élève à reproduire de manière prolongée de mêmes actions, on tue sa motivation à apprendre ».

Le drill est également associé à une mémorisation par cœur où des élèves apprennent superficiellement des connaissances sans en comprendre le sens. Le terme « drill » est devenu une forme d’exemple pour un mauvais enseignement.

Il évoque une certains violence qui semble déphasée avec une vision progressiste de l’éducation qui place l’enfant au centré, acteur de ses propres apprentissages. 

Dans les approches d’enseignement instructionnistes, le terme drill est devenu inusité. Les apports de la psychologie cognitive étant passés par là, il a été remplacé par le concept d’une pratique distribuée qui associe effet test et effet d’espacement. La pratique distribuée se révèle indispensable à la constitution d’apprentissages durables. En effet lorsque les élèves ont automatisé les connaissances et les procédures de base, ils peuvent consacrer plus de ressources cognitives pour les éléments structurels d’une tâche complexe ou d’un problème.

Ainsi une certaine forme de drill mais distribuée dans le temps se révèle plus précieuse que de confronter trop tôt des élèves à des tâches plus complexes. Ces dernières risquent de mobiliser de nombreuses connaissances que les élèves n’ont pas encore toutes suffisamment assimilées.

Dans le cadre du « drill », l’enseignant propose à ses élèves des séries d’exercices dans le but d’enfoncer le clou, d’inscrire profondément et d’automatiser les apprentissages. Une fois atteint le stade du surapprentissage et de l’automatisation à un moment donné, il perd son intérêt. Il faut alors attendre que l’oublie commence à faire son œuvre et reprendre la pratique. C’est la pratique distribuée.

La drill correspond également à une certaine vision de l’enseignement où l’enseignement transmet des contenues durant tout un temps. Quand l’échéance de l’évaluation sommative arrive, les élèves se mettent à bachoter, littéralement à faire du drill, dans le but d’apprendre suffisamment pour réussir. Ce genre de démarches produit des apprentissage peu durables.

L’enseignant peut être complice du processus, lorsqu’il conçoit des révisions dans l’optique du drill. Les révisions débarquent lors des dernières heures de cours à la veille des examens. À ce moment-là, elles ne sont souvent que des successions de listes d’exercices supplémentaires regroupés par thèmes. Ces « nouveaux » exercices sont en général en tous points similaires à ceux qui avaient accompagné l’apprentissage initial. 

Organisées de cette manière, les révisions ne produiront pas l’effet escompté ou alors seulement à courte durée. L’élève réussira sans doute son examen grâce à elle, mais un mois après l’essentiel en sera oublié, à nouveau.

Un pratique massée et regroupée sur une période courte et continue ne produit pas d’apprentissage durable. Répéter les mêmes exercices sans variation et sans éléments neufs, sans entremêlement ou sans diversification en une seule séquence ne permet pas un apprentissage en profondeur. Cela ne facilite pas non plus une discrimination ultérieure. Dans un sens, le drill en ne produisant que des apprentissage superficielles tue en effet la motivation de l’élève quand il constate une semaine plus tard qu’il a quasiment tout oublié. La pratique distribuée quant à elle évite ce gâchis. 

La science de l’apprentissage appuie plutôt des pratiques qui consistent pour un enseignant à aider les élèves en leur fournissant régulièrement une variété d’énoncés, de supports ou d’exercices différents mélangés. Par exemple, cela peut se faire à l’occasion de devoirs réguliers ou de quiz en classe.

Cette forme de révision alternative et distribuée dans le temps a beaucoup à gagner à être régulière. Il s’agit de fournir de nombreuses occasions d’application, de réflexion et de récupération. Pour y parvenir, l’enseignant propose en classe des activités en classe sous forme de quiz, ou à domicile sous forme de devoirs, qui revisitent périodiquement tous les contenus précédemment enseignés. De telles démarches aident les élèves à réactiver, à organiser et à enrichir leurs schémas en mémoire à long terme.



Un aspect peu développé en Direct Instruction


Historiquement, la planification de la révision des apprentissages est un élément de planification relativement négligé dans le contexte de la Direct Instruction et par voie de fait il a tendance à être sous-estimé en enseignement explicite. Les développements de la science de l’apprentissage en soulignent toutefois l’importance.

Les raisons de cette sous-estimation historique sont simples :
  • Premièrement, les modèles initiaux de l’instruction directe (D.I. ou d.i.) et de l’enseignement explicite se sont préférentiellement intéressés à l’enseignement primaire. Or dans le primaire, le besoin d’organiser des révisions se fait moins sentir, car il y a moins de connaissances et elles sont plus intégrées que pour l’enseignement secondaire :
    • Dans le primaire, les révisions ont lieu en continu, les mêmes contenus sont naturellement régulièrement retravaillés et la part d’éléments nouveaux reste faible à chaque fois. 
    • Dans le secondaire, parent pauvre originel de l’enseignement explicite, un processus de révision est indispensable. Les cours sont singularisés et distincts les uns des autres, ne se recouvrent que très peu et explorent des ensembles très diversifiés de contenus. 
  • Deuxièmement, les recherches en enseignement efficace qui ont donné lieu à la définition des caractéristiques des approches instructionnistes datent de la seconde moitié du XXe siècle.

L’essentiel du corpus, en sciences cognitives, qui traite des facteurs favorisant l’apprentissage est postérieur et plutôt caractéristique du XXIe siècle. Il est encore en développement en ce qui concerne ses applications concrètes.

Toutefois si nous considérons l’enjeu central de l’efficacité visée par l’enseignement explicite, les notions de réactivation et de récupération des apprentissages sont désormais incontournables dans la planification des contenus enseignés.

Pour que la révision proposée aux élèves soit pleinement efficace, elle doit être suffisante, bien répartie, cumulative, variée, et présentée sous forme de défis.



Caractéristiques des révisions en enseignement explicite


Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard (2013) avancent que d’après la recherche, les enseignants efficaces consacrent de 15 à 20 % de leur temps d’enseignement à la révision hebdomadaire et mensuelle. Ce qui sur deux semaines de cours représente l’équivalent de 1,5 à 2 jours.

Les moments de révision doivent être répartis de façon régulière tout au long du temps d’enseignement pour éviter de les concentrer sur une période restreinte de temps comme celle précédant les évaluations sommatives ou les examens.

Le processus de révision se veut cumulatif et intègre les apprentissages à la fois précédents et actuels.

L’enseignant ne répète pas les mêmes activités, mais apporte de la variété et des enrichissements de façon à ce que les concepts revus soient mobilisés dans des tâches légèrement différentes de celles de la situation d’apprentissage initiale. De cette manière, les apprentissages des élèves peuvent s’approfondir et s’enrichir.

Une tâche différente ne signifie pas cependant une tâche nouvelle ! Les activités proposées en révision doivent comporter suffisamment de similitudes avec les tâches initiales pour que celles-ci soient reconnues par les élèves. Il nous faut rester dans le cadre du transfert proche.



Une révision n’est pas un réenseignement


La qualité des apprentissages initiaux va influencer directement l’efficacité des activités de révision. Une révision ne devrait jamais se limiter à un nouvel enseignement. D’un point de vue pragmatique, il faut éviter que ce dernier devienne nécessaire.

La réutilisation d’un concept de sa récupération ans une activité de révision est facilitée et opportune lorsque celui-ci a été enseigné explicitement précédemment. Il a été modelé, appliqué adéquatement lors d’activités et d’exercices durant la pratique guidée et la pratique autonome, jusqu’à atteindre un surapprentissage, une automatisation et un transfert en mémoire à long terme.

Si la révision met en évidence un concept incompris, elle se révèlera inefficace. Il est à ce moment-là opportun de stopper son processus pour enseigner le concept de nouveau afin d’éviter le développement et la stabilisation de connaissances erronées. La révision peut ainsi révéler des défauts d’intégration de connaissances.

Les activités de révision se révèlent particulièrement importantes pour l’apprentissage et la rétention des idées maîtresses, des procédures centrales, des concepts essentiels et des stratégies cognitives. Elles permettent de renforcer leur mémorisation et les possibilités de transfert. Elles doivent être mises en œuvre avant qu’un oubli trop important ne puisse s’installer pour éviter le besoin d’un nouvel enseignement. En ce sens, les révisions doivent être conçues dans une optique préventive.



Combiner les apports des sciences cognitives et l’enseignement explicite


Un solide consensus scientifique semble avoir été atteint sur les stratégies qui fonctionnent mieux et sur celles qui fonctionnent moins bien pour l’apprentissage dans cette première partie du XXIe siècle.

Les enjeux se trouvent au niveau de la diffusion de ces connaissances mises en évidence par les sciences cognitives auprès des enseignants. Ceux-ci doivent être capables de les mettre en œuvre en classe dans le cadre de leur cours, mais aussi auprès des élèves pour améliorer leurs stratégies d’apprentissage autonome. Dans les deux cas, l’enseignant a un rôle essentiel à jouer, car les élèves ont tendance à privilégier naturellement des stratégies d’apprentissage inefficaces, comme la relecture, le soulignement ou la recopie de leurs notes de cours.

Nous pouvons considérer que la responsabilité professionnelle d’un enseignant consiste non seulement à enseigner, mais aussi à promouvoir l’apprentissage de ses élèves. À ce moment-là, la planification, la mise en œuvre et l’évaluation seront plus efficaces si les enseignants comprennent quand, pourquoi et comment leurs élèves apprennent.



Pratique distribuée et pratique de récupération au cœur du processus de révision


Parmi les stratégies efficaces mises en évidence par la recherche, deux d’entre elles semblent particulièrement intéressantes :
  • La pratique distribuée, qui englobe l’effet d’espacement et l’entremêlement.
  • La pratique de récupération qui recouvre l’effet de test. 

Ce sont les deux stratégies les plus simples à mettre en œuvre. Leur bénéfice est important, à la fois au niveau des pratiques d’enseignement et d’apprentissage en classe et de l’apprentissage autonome des élèves à domicile.

Elles sont utiles dans diverses conditions d’apprentissage, pour des élèves d’âges et de capacités différentes et pour de nombreuses matières et niveaux de connaissances préalables.

Ces deux stratégies d’apprentissage, d’enseignement et d’étude reposent sur des principes fondés sur des données probantes et aisés à mettre en œuvre. Chaque enseignant et chaque élève pourra les utiliser pour favoriser et améliorer la rétention à long terme du contenu des cours.

Des interventions éducatives peuvent contribuer à l’adoption de ces stratégies d’apprentissage plus efficaces, car les élèves qui reçoivent un enseignement explicite sur les stratégies d’apprentissage efficaces sont plus susceptibles d’adopter ces stratégies par la suite.



Planifier les apprentissages et apprendre aux élèves à planifier


Au niveau des stratégies cognitives et métacognitives à privilégier et à mettre en oeuvre pour les élève, l'une d'entre elles apparait comme nettement incontournable. C'est la pratique de récupération espacée qui intègre les stratégies de pratique distribuée et de pratique de récupération. Cette association en amplifie leurs avantages réciproques.

Plusieurs freins majeurs se manifestent à son niveau concernant sont adoption par les élèves au-delà d'une familiarisation avec ses principes : 
  • Elle représente un investissement en temps non plus centré sur la dernière ligne droite avant l'évaluation mais réparti dans le temps alors même que l'évaluation semble encore éloignée, ce qui peut favoriser la procrastination. 
  • L’approche tend à ralentir l’apprentissage initial car les bénéfices se situent à moyen et long terme, et non pas à cours terme, ce qui peux donner l'impression aux élèves dans un premier temps qu'elle est inefficace pour eux .
  • Elle augmente le niveau de difficulté au cours de l'étude et demande plus d'efforts et de persévérance aux élèves.
Néanmoins, elle favorisera un bien meilleur apprentissage à moyen et long terme. De plus au fil du temps et des récupération espacée, l'apprentissage devient plus profond. Si dans un premier temps au sein de la démarche, l'élève se centre sur l'essentiel, au fur et à mesure, il peut enrichir ses connaissances d'éléments supplémentaires et gagner en profondeur. Si le processus de la pratique de récupération espacée se met en route lentement, il permet par la suite d'aller plus loin et plus rapidement, à condition qu'on en respecte les principes.

En tant qu'enseignant souhaitant les accompagner dans une vraie formation à la méthode de travail pour augmenter leur compétences en apprentissage autonome, nous devons être conscient que ces stratégies ne vont pas être adoptées spontanément par la majorité des élèves. 

Dès lors, elles nécessitent un enseignement explicite et une intégration contextualisée dans le cadre de nos cours dans une perspective à long terme. Les élèves ne sont pas au courant ni conscients de leur efficacité. Il faut leur donner l’occasion d’en faire l’expérience concrète à de multiples reprises. Pour certains élèves l'adoption de cette approche peut prendre quelques semaines, pour d'autres ce sera plusieurs mois. Quelque soit a voie suivie et le temps demandé, cette adoption leur apportera des avantages conséquents pour la suite de leurs études. 

Ils nous faut tenir bon. Peu d’élèves (le nombre est estimé entre 10 et 13 % [Surma, 2018]) planifient un calendrier d’étude. De même, si la majorité d’entre eux se testent lors de la phase d'étude, c’est souvent considéré comme outil d’évaluation et non comme une stratégie d’apprentissage en tant que telle, ce qu'elle est. 

Un danger lié est que les élèves ont tendance à laisser tomber certains contenus à étudier, lorsqu’ils ont vérifié une seule fois leur connaissance. Au contraire, ils devraient continuer à se tester sur l’ensemble à chaque révision. Il est important qu'ils prennent consciences de ces principes.

Dès lors la nécessité de se former soi-même en tant qu'enseignants à l’utilisation et à la transmission de ces stratégies est une évidence. Pour donner un enseignement adéquat sur ces stratégis en milieu éducatif, les enseignants doivent d’abord connaître, comprendre et appliquer ces stratégies d’apprentissage eux-mêmes.

Les stratégies d’apprentissage ne doivent donc pas faire partie d’un programme d’études caché que les futurs enseignants sont censés découvrir par magie par des « essais et erreurs quotidiens ». Elles doivent être adressées d'emblée comme des compétences spécifiques essentielles pour les enseignants et pour les élèves.

Un souhait désirable serait que ces stratégies soient inscrites et intégrées dans la structure, le contenu et l’organisation même des manuels scolaires.

Les enseignants font face à des choix difficiles lorsqu’ils ont besoin d'enseignent une grande quantité de matière et qu’ils n’ont pas le sentiment d’avoir le temps suffisant pour en soutenir un apprentissage effectif auprès de leurs élèves. La recherche est sans pitié à ce sujet. Elle démontre que la matière qui n’est pas suffisamment mise en pratique et révisée régulièrement sera facilement oubliée. Ce qui compte est ainsi bien plus la qualité et la durabilité, plutôt que tout voir en un survol.

À ce titre, une bonne planification d’un cours demande tout d’abord une bonne compréhension des mécanismes liés à l’effet d’espacement et à l'effet test :
  • Une façon de le mettre en œuvre est de découper les matières en différents blocs non plus vus les uns après les autres, mais répartis au fil de l’année. Cela aurait pour conséquence que les contenus vus en début d’année devront continuer à être mobilisés jusqu’à la fin de celle-ci. 
  • Une approche plus pragmatique et structurelle serait de mobiliser les connaissances et compétences précédemment enseignées en offrant aux élèves des opportunités de pratique de récupération. Celles-ci peuvent prendre la forme de devoirs, des quiz ou des évaluations formatives à échéances régulières, avec un aspect cumulatif. La recherche a révélé que même au niveau secondaire, les classes qui avaient des évaluations hebdomadaires ont obtenu de meilleurs résultats aux examens finaux que les classes qui en avaient seulement une par mois ou moins.




Mis à jour le 03/08/2022



Bibliographie


Tim Surma, Kristel Vanhoyweghen, Gino Campa, Paul A. Kirschner, The coverage of distributed practice and retrieval practice in Flemish and Dutch teacher education textbooks, Teaching and Teacher Education, Volume 74, August 2018, Pages 229–237

Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

Rosenshine, Barak, Principles of Instruction: Research-Based Strategies That All Teachers Should Know, American Educator, v36 n1 p12-19, 39 (2012).

Virginia Heffernan, Drill, Baby, Drill, 2010, https://www.nytimes.com/2010/09/19/magazine/19fob-medium-heffernan-t.html

0 comments:

Enregistrer un commentaire