samedi 18 août 2018

Enseigner explicitement en utilisant un langage limpide, économe et précis : clarté et effet de redondance

Quel enseignant n’a pas eu d’appréhension en début de carrière lors des premières heures de cours qu’il a données ? En tant qu’enseignants, nous progressons dans nos capacités d’anticipation et de compréhension de la psychologie et de l’apprentissage de nos élèves. Nous développons petit à petit notre expérience dans ces domaines.


(Photographie : Aaron Canipe)



Malgré tout, donner cours s’apparente régulièrement à faire face à l’inattendu, à se livrer à une course d’obstacles. Ceux-ci peuvent surgir aléatoirement et vont nous demander des ajustements qui demandent de l’expertise. Un groupe d’élèves n’est pas l’autre et certains élèves plus que d’autres vont nécessiter une attention accrue.

Chaque parole, chaque attitude de l’enseignant est susceptible de provoquer des quiproquos, des erreurs d’interprétation ou des incompréhensions chez les élèves. La clarté de l’enseignant, dans ses explications et dans son comportement, est une composante essentielle de son authenticité. C’est le premier point abordé dans cet article.

Pour bon nombre d’enseignants, le bon sens suggère qu’en présentant la même information sous des formes multiples, à la fois orale, textuelle ou graphique, l’apprentissage des élèves s’en trouvera forcément amélioré. Cependant, les recherches effectuées dans le cadre de la théorie de la charge cognitive indiquent qu’il y a là une faille : des informations redondantes entravent l’apprentissage plus qu’elles l’améliorent. C’est l’effet de redondance. C’est le second point abordé dans cet article.



Double importance de la clarté des explications


Il existe une relation positive et significative entre la clarté des explications, la précision des consignes données par l’enseignant et la réussite des élèves.

Premièrement, des consignes précises aident les élèves à demeurer engagés sur une tâche au cours d’une pratique autonome. Sachant exactement ce qu’ils doivent faire, ils se mettent au travail plus facilement et plus naturellement. Cette attitude contribue à mettre en place une atmosphère de travail sereine et apaisée.

Deuxièmement, des explications claires permettent d’éviter que les élèves ne développent des conceptions erronées qui risquent d’être fixées durablement en mémoire à long terme. Des difficultés chez les élèves peuvent dériver de définitions ambiguës et d’explications confuses, imprécises ou incomplètes.



Pratiques liées à la clarté des explications


Diverses démarches pratiques peuvent être mises en lien avec la clarté, comme le fait de :
  • Employer des termes adaptés au niveau attendu des élèves, pas inutilement compliqués
  • Être précis dans les explications et définitions, ne pas utiliser de termes vagues, ambigus ou montrer des hésitations
  • Limiter l’usage de synonymes s’ils n’ont aucune utilité concrète
  • Avoir une prononciation claire
  • Répéter explications et instructions de façon à ce qu’elles soient comprises par tous les élèves.
  • Souligner les aspects importants et cruciaux des contenus
  • Utiliser des exemples et des contre-exemples
  • Évaluer la compréhension de tous les élèves
  • Mettre en évidence et opérationnaliser les objectifs pédagogiques



Caractéristiques d’un enseignant clair et efficace


Un enseignant clair et efficace est :
  • Un expert dans sa branche : il a une bonne maîtrise de la matière enseignée qui se traduit par l’utilisation constante de termes précis et l’absence de termes ambigus ou variables.
  • Un expert en enseignement : les enseignants formés à utiliser des démarches explicites sont plus conscients de ce qu’ils enseignent, des raisons pour lesquelles ils enseignent et de ce qui est attendu de la part des élèves.
  • Un enseignant expérimenté va droit au but et ses présentations sont factuelles, elles ont pour fonction de clarifier le contenu des cours.
Les enseignants jugés les plus efficaces parleraient moins que les autres enseignants : avec l’expérience et à force d’entraînement, certains enseignants développent un usage économique et efficace du langage.



L’effet de redondance dans le cadre des explications et supports d’apprentissage


L’effet de redondance se produit lorsque différentes sources d’une même information sont compréhensibles séparément sans qu’il soit nécessaire de les intégrer mentalement.

Par exemple, utiliser un texte écrit ou une intervention orale pour décrire un diagramme auto-explicatif qui peut être entièrement compris sans l’un ou l’autre.

Autre exemple, une présentation PowerPoint est utilisée comme support de cours et elle contient quasiment tout le contenu verbal de la présentation sous une forme écrite. Elle sert d’aide-mémoire à l’enseignant.

Dans ces deux situations, l’intégration des deux éléments n’est pas bénéfique pour les élèves. Il n’y a aucune raison de supposer que l’apprentissage sera amélioré par l’association des deux sources. L’une des deux est chaque fois superflue pour la compréhension et nuit à son établissement.

De telles conditions peuvent nuire à l’apprentissage en imposant une charge cognitive extrinsèque. Par conséquent, l’information redondante devrait être omise afin d’éviter une augmentation de la charge cognitive externe.

En effet, les élèves vont concentrer inutilement leur attention sur deux formes d’information redondantes. Le travail d’intégration qui en découle n’offre aucune valeur ajoutée pour eux. Il se contente de consommer des ressources mentales.

Lorsque des explications orales sont utilisées en même temps que le même texte écrit, les élèves vont malgré eux chercher à relier et combiner les informations. Ils vont chercher à faire le lien entre l’information écrite et orale. Cette recherche de coordination n’apporte rien du tout à leurs apprentissages.

Pour évider la redondance, il faut que chaque élément renforce l’autre, sans le répéter. Si ce n’est le cas, le résultat est une dissociation de l’attention à impact négatif sur l’apprentissage.



Clarté et économie dans le cadre de l’effet de redondance


Une illustration dans un document est redondante si elle n’est pas nécessaire pour comprendre le texte.

De même, une explication qui reprend des informations que les élèves connaissent déjà ne présente pas d’intérêt.

Si des informations essentielles sont fournies en même temps que des informations inutiles, les éléments associés aux informations inutiles sont susceptibles d’être traités, ce qui entraîne une charge de mémoire de travail supplémentaire qui ralentit l’apprentissage.

Cela peut aussi diminuer l’apprentissage, car moins d’informations pertinentes seront dès lors transférées à la mémoire à long terme.

Seules les informations essentielles devraient être présentées aux élèves afin de maximiser leur apprentissage.



Paradoxes et risques liés au trop-plein d’informations


L’apprentissage est amélioré si le matériel est présenté sous une forme seulement et privilégie l’essentiel. Lorsque nous enseignons, nous avons donc tout intérêt à aller droit au but. 

Les élèves peuvent apprendre davantage à partir des résumés de cours qu’à partir de notes de complètes et exhaustives. On rappellera ici toute la pertinence des organisateurs graphiques.

Des problèmes mathématiques peuvent devenir plus difficiles à résoudre si des renseignements concrets supplémentaires inutiles sont inclus dans les énoncés. Ajouter des images dans des notes de cours ou dans un questionnaire d’examen, diminuent l’apprentissage ou la performance si elles n’ont pas de valeur ajoutée.

De même présenté aux élèves qui apprennent à lire, un mot associé à une image est moins efficace que le mot seul.

Le trop-plein d’informations fait détourne une partie des ressources de la mémoire de travail.



Être vigilant face au risque de redondance


La décision d’utiliser deux sources ou une seule source dépend de la relation entre les deux sources et du degré de complexité de la matière enseignée.

Par exemple, certains énoncés géométriques ne peuvent être compris sans référence à un diagramme et doivent être présentés sous forme orale ou écrite en accompagnement. Leur coexistence est nécessaire à une compréhension globale.

En revanche, les descriptions de la circulation du sang dans le corps par exemple, ou le cycle de l’azote dans les écosystèmes peuvent se suffire à eux-mêmes sous forme graphique.

Si le degré de complexité de la matière est peu élevé, l’effet de redondance a également moins de chances de se produire.

Pour que l’effet de redondance se produise, l’une ou l’autre source d’information doit être intelligible séparément. Si une source d’information (textuelle ou graphique) est entièrement intelligible en soi et présente un certain degré de complexité, alors toute source d’information redondante supplémentaire devrait être retirée du matériel didactique plutôt que d’y être intégrée.

Tout cela nécessite donc une attention particulière de la part de l’enseignement lors de sa planification, de manière à éliminer tout superflu qui pourrait nuire à l’efficacité de l’apprentissage.

L’élimination d’une source d’information redondante peut être bénéfique pour l’apprentissage, mais tout lien de complémentarité logique doit être conservé.



Équilibrer l’usage des présentations PowerPoint 


Le développement de tableaux blancs interactifs et l’utilisation de présentation PowerPoint, s’ils sont tous deux confortables pour l’enseignant, présentent un danger.

L’usage de présentations PowerPoint a facilité la présentation simultanée de textes parlés et écrits, déjà introduite plus tôt par les rétroprojecteurs. Par effet de redondance, certaines utilisations de ces technologies peuvent ralentir l’apprentissage des élèves.

Il faut toutefois rester nuancé et ne pas en conclure d’emblée qu’il faut éviter l’usage de présentations visuelles et se contenter de l’oral ou de l’écrit.

En effet, une information longue, complexe et parlée peut générer elle-même une lourde charge de mémoire de travail et peut avoir des effets négatifs sur l’attention.

La présentation continue de longues descriptions textuelles peut contribuer à installer une charge cognitive trop élevée, forçant les élèves à relier et à concilier de nombreux éléments d’information auditive et visuelle dans un laps de temps limité. Les limites de la mémoire de travail peuvent se trouver dépassées.

Une présentation PowerPoint a tout intérêt à se concentrer sur des informations non redondantes, apporter des respirations en rebondissant sur l’exposé oral. Elle est bénéfique quand elle présente des éléments de structures ou des concepts clés essentiels. Ceux-ci aident les élèves à avoir une vue d’ensemble, et à se situer dans le déroulement de la présentation.

Une présentation PowerPoint doit être conçue pour apporter une valeur ajoutée au discours de l’enseignant, et non comme une trame de la présentation, une béquille pour l’enseignant.

Réduire le texte à l’écran à de courtes listes structurées des mots-clés et les expliquer oralement en détail peut fournir une meilleure technique de présentation.



Conjuguer clarté des explications et segmentation


La segmentation du texte et une alternance de sources (orales, audiovisuelles, textuelles) peuvent éliminer les effets négatifs des longueurs tout en évitant la redondance.

Des moments de pauses, des ponctuations, une remise en perspective de l’avancement, peuvent faciliter chez les élèves l’emprunt et la réorganisation de schémas cognitifs.

Si le texte ou un exposé :
  • Sont divisés en segments séquentiels logiquement complets et faciles à gérer avec des pauses temporelles entre eux
  • Éliminent toute redondance dans les explications
  • Privilégient l’intégration d’éléments visuels et verbaux
  • Évitent une narration avec présentation visuelle simultanée
  • Ne partagent pas l’attention
  • Viennent accentuer des éléments cruciaux…
… Alors ils sont susceptibles d’améliorer l’apprentissage.


Pour plus d’informations sur l’effet de redondance :



Mis à jour le 07/00/2022

Bibliographie


Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. [2013]. Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

Sweller John, Ayres Paul, Kalyuga Slava, Cognitive Load Theory, Springer, 2011

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