jeudi 26 juillet 2018

Pratique distribuée et effet d'espacement : définition, principe et mécanismes

La pratique distribuée et son mécanisme qu’est l’effet d’espacement sont des facteurs clés et incontournables d’un apprentissage durable et efficace. Son pilotage demande de comprendre les rouages de son fonctionnement de manière à engranger les bénéfices escomptés. C’est l’objet de cet article.


(Photographie : Tyler Healey)



Est-ce que passer plus de temps à apprendre est toujours la meilleure solution pour réussir ?

Un élève qui obtient de mauvais résultats à un examen est susceptible de promettre de passer plus de temps à étudier la prochaine fois, mais le temps n’est pas extensible.

Un enseignant qui voit ses élèves patauger pour saisir les nuances d’un concept difficile ou assimiler complètement une procédure est susceptible de passer plus de temps à enseigner ce concept à l’avenir.

Si la pratique de la récupération est la clé d’un apprentissage réussi, sa répartition dans le temps l’est tout autant. C’est là qu’intervient la pratique distribuée.



Une définition de la pratique distribuée


La pratique distribuée (distributed practice) décrit le fait de répartir dans le temps les apprentissages liés à une matière spécifique, plutôt que de les concentrer sur une période donnée (bachotage, cramming, drill, massed practice).

La pratique distribuée intervient pour des savoirs et savoir-faire pour lesquels une pratique guidée et autonome a déjà eu lieu. À un moment, l’élève a maîtrisé une procédure donnée ou connaissait un savoir. De fait, elle s’inscrit dans le cadre de la pratique autonome, dans celle des devoirs, des quiz, des évaluations formatives et dans tout apprentissage autonome réalisé par les élèves.

En ce qui concerne l’apprentissage autonome des élèves, l’idée générale est de créer une planification de l’étude qui répartit les temps de travail en plusieurs sessions espacées pour une même matière. Il s’agit d’étudier et de récupérer l’information (en étudiant à nouveau ce qui n’a pas pu l’être) à des intervalles croissants ou égaux, avant un examen. L’enjeu est d’éviter une étude massive et longue en une seule session juste avant un examen, car celle-ci est peu profitable à un apprentissage durable.

(source : Hughes, 2019)

La figure ci-dessus représente un exemple théorique d’une pratique distribuée :
  1. Une habileté cible est enseignée jusqu’à l’acquisition initiale et immédiatement suivie d’une séance de pratique massée de 20 minutes en vue d’atteindre le surapprentissage.
  2. Trois activités de pratique de 10 minutes sont distribuées et complétées à travers quatre intervalles d’une semaine se terminant par une évaluation finale.

En règle générale, nous prévoyons un dernier épisode de récupération juste avant l’évaluation. 



L’effet d’espacement


Cet effet, largement mis en évidence par la recherche en psychologie cognitive, a des implications profondes à la fois pour le mode d’enseignement et pour les stratégies d’étude des élèves.

Graham Nuthall, qui a consacré de nombreuses recherches à ce sujet, a montré que les élèves ont souvent besoin de trois à quatre expositions à l’apprentissage — généralement sur plusieurs jours. Celles-ci sont nécessaires avant qu’il y ait une probabilité raisonnable qu’ils apprennent durablement.

Les élèves dans des conditions de pratiques espacées obtiennent de meilleurs résultats en ce qui concerne un apprentissage, durable et à long terme, que dans des conditions de pratique en masse.

John Hattie lui attribue un d = 0,71 dans son livre Visible Learning (2008), pour le réduire à d = 0,6 en 2017, ce qui reste toutefois un facteur d’efficacité important.



Une étude remarquable


Dans une étude réalisée par Kristine C. Bloom et Thomas J. Shuell (1981), des élèves américains des trois dernières années du secondaire ont appris des mots de vocabulaire français par le biais de trois exercices en classe. Ceux-ci impliquaient la récupération et l’utilisation de leur connaissance du français.

Deux conditions ont été testées :
  • Orange : les exercices ont eu lieu le même jour durant 30 minutes.
  • Vert : les exercices ont eu lieu une fois par jour durant 10 minutes, pendant trois jours.
7 jours après la fin des leçons, tous les élèves ont été soumis à un test inattendu.





Les élèves qui ont effectué les exercices sur trois jours (vert) ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui les ont effectués le même jour (orange).

Même si les deux groupes d’élèves ont passé le même temps à apprendre la matière, le groupe qui a étalé ce temps sur des jours différents l’a appris nettement mieux.



Limites au bachotage


Quand les élèves se mettent à étudier la veille d’une épreuve sommative en dernière minute et empiètent sur leur temps de sommeil, ils peuvent s’en sortir.  Le stresse de la dernière ligne droite leur permet de focaliser toute leur attention et d'éviter les risques de distraction et de procrastination.

Mais dans le faits, suite à ce bachotage, quelle quantité de matière étudiée sera encore récupérable quelques jours plus tard ? De l’aveu même des élèves, pas grand-chose et c’est un réel souci.

Lorsque les élèves rencontrent des informations de manière répétée au cours d’une même session, celles-ci deviennent rapidement familières — ce que nous appelons une forme d’illusion de connaissance.

Mais lorsque l’information est rapidement acquise, elle est souvent rapidement oubliée, car l’apprentissage n’est que superficiel.  L'élève devient performant, superficiellement et très temporairement. 

Le bachotage consiste à tout étudier durant une session de travail unique est prolongée avant une évaluation. Il est plus aisé à mettre en oeuvre facile que la pratique espacée. La pratique espacée qui consiste à distribuer son temps de travail entre un temps d'étude initial et des sessions de révision isolées, le tout étant réparti sur plusieurs journées ou plusieurs semaines avant une évaluation. 

La grosse difficulté avec la bachotage est que bien qu'il permet d'apprendre, les informations acquises sont généralement temporaires et peu profondes, donc rapidement oubliées. Les connaissances acquises lors d'une pratique espacées deviennent durables et plus approfondies, sans que le temps total alloué soit au total nécessairement supérieur.

Le problème principal du bachotage est que cette tactique intense et massée a tendance à générer peu d’associations avec des contenus assimilés antérieurement en mémoire à long terme. Peu de liens solides se forment avec les connaissances préalables.

Comme la plupart des informations étudiées de cette façon seront oubliées, les prérequis ne seront pas accessibles lors de la suite des apprentissages. Cela va demander aux élèves un surcroit de travail ultérieur. Le bachotage est un très mauvais investissement à long terme car les lacunes s'accumulent. La pratique espacée est un très bon investissement à long terme car les connaissances s'accumulent rendant progressivement plus aisé l'acquisition de nouvelles connaissances.  Le bachotage est un mauvais investissement à long terme, la pratique espacée est un très bon investissement à long terme. 

Une autre victime du bachotage est le sommeil, la veiller d'une évaluation. Cependant, le sommeil est très important pour consolider l’apprentissage. De plus, le manque de sommeil augmente le risque de toute une série de problèmes de santé. Il a également des conséquences sur l’attention, sur la capacité à résoudre des problèmes et à prendre des décisions. Ce dont il faut prendre conscience c’est que même un manque de sommeil léger peut causer ces effets. Ainsi, si un élève se contente de dormir six heures par nuit en période d’examen, son fonctionnement cognitif risque d’être substantiellement impacté.

De plus, avoir une nuit de sommeil complète après l’apprentissage augmente la performance plus tard, spécifiquement en ce qui concerne la compréhension et la résolution de problèmes.

Dans le domaine de l'apprentissage autonome des élèves, la capacité à espacer son étude est avec la pratique de récupération deux facteurs clés essentiel pour faire la différence et améliorer les résultats scolaires.



Comprendre l'importance de la pratique distribuée grâce à la courbe de l’oubli d’Ebbinghaus


Une pratique distribuée prend la forme d’un apprentissage initial où un élève s’assure de comprendre et d’apprendre des contenus, suivi de temps de récupération espacés de ces mêmes contenus en différentes sessions de travail. Ces sessions de travail sont réparties sur plusieurs jours ou plusieurs semaines.

Cette pratique est à l’opposé du bachotage qui consiste à étudier ces mêmes contenus en une seule session étendue avant l’évaluation correspondante. 

La pratique distribuée favorise l’acquisition de connaissances bien plus durables et profondes que le bachotage qui soutient un apprentissage superficiel et très fragile face à l’oubli.

Dans le cas de la pratique distribuée, nos souvenirs sont renforcés, car :
  1. Nous attendons un certain temps avant de reprendre l’étude, plutôt que de répéter l’exercice immédiatement.
  2. Nous faisons l’effort de récupérer nos connaissances en mémoire à long terme avant d’en vérifier la qualité. 
Ce processus n’a rien de neuf. Cet effet d’espacement a été mis en évidence en 1885 par Hermann Ebbinghaus. Hermann Ebbinghaus était un philosophe allemand (1850 - 1909) souvent considéré comme le père de la psychologie expérimentale de l’apprentissage. Il est connu pour avoir mené un certain nombre d’expériences avec sa propre mémoire.

Dans le cadre de ses expériences, il s’est employé à apprendre une liste de pseudo-mots qui n’avaient aucune signification particulière. Ebbinghaus a mis en évidence que dans un premier temps, à la suite d’un apprentissage initial, il est possible de reproduire presque complètement tous les éléments mémorisés. 

Cette capacité à récupérer toutes les informations chute alors rapidement au fil du temps. Au plus nous attendons pour vérifier notre mémorisation des contenus, moins nous devenons capables de les récupérer.

Cette expérience a abouti à ce que nous appelons communément la courbe d’oubli d’Ebbinghaus. Elle a été reproduite et vérifiée à de maintes reprises. Nous pouvons en voir l’allure générale sur l’illustration ci-dessous.



Hermann Ebbinghaus ne s’est pas arrêté là. En utilisant la courbe d’oubli, il a montré l’impact de la révision du contenu d’apprentissage (récupération suivie d’une nouvelle étude des éléments oubliés), avec des espacements de plus en plus longs. Elle représente un mécanisme performant pour l’établissement de la mémorisation à long terme. 

Le contenu qui a été appris, oublié puis réappris devient mieux mémorisé et s’oublie ensuite plus lentement. Si nous permettons qu’un certain oubli se produise avant d’examiner le matériel à apprendre, la courbe de l’oubli tend à s’aplatir de plus en plus (voir schéma).

À chaque nouvelle étude (récupération en mémoire et nouvel apprentissage des éléments oubliés), la vitesse à laquelle s’oublient les éléments initialement oubliés va ralentir. Ce processus permet d’espacer de plus en plus les sessions de récupération.

Hermann Ebbinghaus a mis en évidence que l’oubli est un paramètre crucial pour l’apprentissage. Il est la voie vers un meilleur apprentissage. Le fait de récupérer des connaissances et de les étudier à plusieurs reprises alors qu’elles ont commencé à être fragilisées par l’oubli les renforce durablement en mémoire.

Se souvenir très bien de connaissances et les oublier complètement sont les deux facettes complémentaires du processus d’apprentissage.



Le concept de difficultés désirables


Le concept de difficultés désirables (desirable difficulties) a été introduit en 1994 par Robert Bjork et Elizabeth Bjork. Ce concept inscrit dans le cadre de la théorie sur la mémoire et l’oubli de Bjork & Bjork, « New Theory of Disuse » (1992). Elle est aussi appelée en français « théorie de l’encodage en mémoire à long terme » ou « nouvelle théorie du manque d’utilisation ». 

Le concept de difficultés désirables explique comment l’introduction de certaines difficultés dans le processus d’apprentissage peut grandement améliorer la rétention à long terme de la matière apprise. 

Le terme "difficultés désirables" désigne plus précisement les types de tâches qui exigent un niveau d'effort susceptible d'améliorer les performances à long terme. Selon ce concept, l'esprit se comporte comme un muscle. La clé est de trouver le bon niveau de défi : ainsi, tout comme soulever un poids léger ne développera pas beaucoup de masse musculaire, entreprendre des tâches qui ne demandent pas beaucoup de réflexion n'encouragera pas le développement de l'esprit. Dans la notion de difficulté désirable, le mot désirable est important. En effet, bon nombre des difficultés qui peuvent être créées pour les élèves ne sont pas désirables ou souhaitables. 

Seule l'introduction de certaines difficultés dans l'apprentissage peut favoriser la mémorisation à long terme. Lorsqu'ils traitent des informations en profondeur et lorsqu'ils réfléchissent sérieusement, les élèves aboutissent à un meilleur encodage de leurs connaissances. Les difficultés désirables le sont parce qu’elles encouragent les activités d’encodage ou de récupération qui favorisent l’apprentissage.

Les difficultés désirables ont une particularité qui les rend contre-intuitives. Elles correspondent à des stratégies d'apprentissages qui font que les élèves réussissent moins bien à court terme, mais mieux à long terme. Cela rend leur adoption par les élèves moins évidente car elles ne sont pas directement perçues comme efficaces. 

Une autre limitation des difficultés désirables c'est qu'elles dépendent d'un apprentissage préalables suffisant. Lorsqu’un élève n’est pas armé, en vertu de ses connaissances préalables et des indices présentés, pour surmonter avec les efforts demandés, une difficulté qui serait autrement désirable,  devient indésirable. Si les élèves n'ont pas compris l'apprentissage au départ, l'introduction de difficultés supplémentaires peut ne servir qu'à les embrouiller davantage.

Trois grandes difficultés désirables ont été dans un premier temps identifiées et leurs effets positifs sur la rétention à long terme ont disposent de données probantes pour les soutenir : 
  • L’effet d’espacement ou pratique distribuée.
  • L’effet du test ou pratique de récupération qui consiste à générer ses propres réponses (plutôt que de les recevoir).
  • L’interférence contextuelle ou entremêlement
Deux autres conditions ont été par la suite elles-mêmes qualifiées de difficultés désirables :
  • La rétroaction intermittente, plutôt que continue, délivrée aux élèves. En effet, les erreurs sont un élément clé de la difficulté souhaitable et elles doivent être présentées comme telles, plutôt que comme un échec.
  • La variation des conditions d’apprentissage, plutôt que leur maintien constant et prévisible.
La pratique distribuée remplit la condition des difficultés désirables. L’espacement est un facteur favorable à l’apprentissage. Paradoxalement, il est utile de laisser oublier en partie par les élèves ce qu’ils apprennent, en introduisant des difficultés désirables. L'apprentissage espacé perturbe le flux de l'apprentissage, permettant aux élèves d'oublier, avant de leur demander de récupérer le matériel précédemment enseigné et appris. De cette manière, ils engagent des efforts d’attention pour se rappeler et récupérer leurs connaissances. Ce processus a pour bénéfice d’ancrer plus solidement ces connaissances dans leur mémoire à long terme.

Cette manière d'envisager les stratégies cognitives liées à l'apprentissage est l'une des plus récentes à émerger au sein des sciences cognitives. 

Les preuves de l'impact dans le cadre sa mise en oeuvre en classe, pour chaque matière et chaque niveau d'élèves sont actuellement assez limitées. Ce qui est disponible se concentre sur les groupes d'âge plus élevés. 

Les enseignants doivent faire preuve de prudence lorsqu'ils cherchent à intégrer cette approche dans leur pratique quotidienne, en réfléchissant soigneusement à son adéquation avec la tâche, le moment et les élèves auxquels ils enseignent. Bien paramétrées, les difficultés désirables sont largement bénéfiques pour l'apprentissage des élèves.



La force de récupération et la force de stockage dans le cadre de l’apprentissage


Bjork & Bjork (1992) introduisent et distinguent les notions de force de récupération et de force de stockage dans le cadre de leur « New Theory of Disuse » pour expliquer comment se forment des apprentissages durables.

1) La force de stockage :

  • La force de stockage mesure du nombre de fois où des connaissances données ont été accédées de manière significative en mémoire long terme.  
  • La force de stockage est une mesure qui permet de savoir si l’information est profondément et durablement apprise.
  • La force de stockage reflète le degré d’ancrage ou d’association d’une représentation de la mémoire avec des connaissances et des compétences connexes et proches. 
  • Par hypothèse, la force de stockage ne peut pas diminuer, elle ne fait que croître au fil des nouvelles utilisations.
Cependant, nous ne stockons pas copie littérale des informations que nous mémorisons, comme le ferait un ordinateur. Nous codons et stockons ces nouvelles informations en les reliant à ce que nous connaissons déjà. Nous mettons les nouvelles informations en correspondance et en lien avec des informations qui existent déjà dans nos mémoires. Les nouvelles informations sont stockées en fonction de la signification que nous leur attribuons. Ce sens se traduit dans leurs relations avec d’autres informations présentes dans notre mémoire à long terme. 

Le stockage d’informations, plutôt que de simplement utiliser la capacité de notre mémoire à long terme, crée en réalité des possibilités de stockage supplémentaire. Il étend nos capacités d’apprentissage. Au plus nous avons des connaissances dans un domaine, au plus facilement nous pouvons en acquérir de nouvelles.

Une autre implication importante de cette force est que des connaissances ne disparaissent jamais complètement de notre mémoire à long terme, elles deviennent simplement de moins en moins accessibles. La preuve est qu'il est plus facile d'apprendre quelque chose que nous avons appris par le passé et pensons avoir complètement oublié.


2) La force de récupération :  

  • La force de récupération (ou force de rappel) est une mesure de l’accessibilité immédiate, c’est-à-dire du degré d’activation de certaines connaissances à un moment donné dans notre mémoire à long terme. 
  • Notre capacité d’accéder à une connaissance stockée particulière à un moment donné est entièrement déterminée par sa force de récupération. 
  • La force de récupération est fortement influencée par des facteurs tels que les indices situationnels et le caractère récent de l’étude ou de l’exposition aux connaissances concernées.
  • Au contraire de la force de stockage qui ne fait qu’augmenter, la force de récupération croit avec l’utilisation et s’estompe avec le temps en cas de non-récupération des connaissances considérées.
Les processus de récupération qui caractérisent la mémoire humaine sont également uniques et diffèrent de celles d’un disque dur. La recherche d’informations est inférentielle et reconstructive plutôt que littérale. Elle est également faillible, en partie parce que ce qui est accessible à partir de la mémoire dépend fortement des indices actuels, notamment des indices environnementaux, interpersonnels, de l’état du corps ou de l’humeur. 

Ce qui est fondamental est que l’acte de récupérer des informations est en soi un événement d’apprentissage efficace. Les informations récupérées, plutôt que d’être laissées dans le même état qu’avant leur rappel, en ressortent renforcées. Elles deviennent plus récupérables par la suite qu’elles ne l’auraient été autrement. Les informations concurrentes associées aux mêmes indices peuvent devenir moins récupérables à l’avenir. L’utilisation de nos souvenirs par leur récupération les altère.



Combiner la force de récupération et la force de stockage pour renforcer l'apprentissage


La performance à un moment donné est entièrement fonction de la force de récupération actuelle. Or, ce qui nous intéresse n'est pas tant la performance à un moment donné mais l'apprentissage durable.

Nous n'avons pas d'accès direct à la forme de stockage mais elle est essentielle pour un apprentissage durable et nous pouvons la mettre en évidence :
  • La force de stockage ne peut pas être mesurée directement, mais elle peut être déduite indirectement de la facilité avec laquelle une information peut être réapprise si elle est oubliée. 
  • Quand nous réétudions quelque chose que nous avons déjà étudié puis oublié, cela devient plus facile. C’est une preuve de l’existence rémanente d’une force de stockage même si la récupération n’est plus possible. 
L'enjeu de l'apprentissage est d'augmenter le force de stockage :
  • Ce qui permet un apprentissage durable, c’est l’obtention d’une force de stockage élevée. 
  • Nous voulons que nos élèves développent des compétences et des connaissances qui puissent être facilement mobilisées à l’avenir, dans toute situation où elles seront nécessaires. 
  • La force de stockage agit pour retarder l'inaccessibilité (l'oubli) et augmenter le gain (réapprentissage) de la force de récupération. 
Dans une perspective d’enseignement, l’objectif est de créer des conditions qui favorisent le stockage et améliorent la récupération ultérieure des connaissances par nos élèves, non seulement à retardement, mais aussi dans de multiples contextes. Nous voulons créer un accès durable et flexible aux informations et procédures à apprendre.


La relation entre la force de récupération et la force de stockage est  particulière : 
  1. Lorsque nous nous rappelons correctement d’une information, la force de récupération et la force de stockage augmentent.
  2. Après avoir étudié cette information, plus la force de stockage est élevée, plus la perte de force de récupération sera lente (l’oubli se ralentit).
  3. Lors de la nouvelle étude des informations, l’augmentation de la force de stockage est inversement proportionnelle à la force de récupération actuelle :
    • Plus la force de récupération est faible à ce moment-là (plus il est difficile de se souvenir, mais nous y arrivons tout de même), plus la force de stockage augmente (c.-à-d. l’apprentissage).
    • Plus la force de récupération est forte à ce moment-là (plus il est facile de se souvenir sans effort), moins la force de stockage augmente (c.-à-d. l’apprentissage).
Les conditions qui augmentent le plus rapidement la force de récupération diffèrent des conditions qui maximisent le gain de la force de stockage. En d’autres termes, si les élèves interprètent la force de récupération actuelle comme une force de stockage, ils sont susceptibles de privilégier de moins bonnes conditions d’apprentissage à de meilleures conditions d’apprentissage.

En conclusion : les difficultés qui altèrent la performance immédiate de rétention peuvent améliorer l’apprentissage à long terme des mêmes informations. Les contextes qui rendent la récupération d’informations plus difficile induisent des difficultés désirables. Ce sont par exemple, le fait de se tester, d’espacer l’apprentissage, d’entremêler, d’élaborer ou de s’expliquer des contenus. Ces démarches augmentent plus la force de stockage que le faire de relire, souligner ou recopier son cours



Implications pour l’apprentissage et l’enseignement


En conclusion, l’amélioration de la capacité de stockage (ou l’apprentissage) n’est donc pas seulement une simple question de temps passé à étudier.

Lorsque la force de récupération est élevée, il est facile de se rappeler et de mobiliser des informations. Se tester n’a alors qu’un effet limité sur l’augmentation de la force de stockage et la mémorisation à long terme. 

Ce qui explique que lorsque nous étudions durant une longue période continue une matière donnée, lorsqu’il devient facile de récupérer l’information, au-delà du surapprentissage, il n’y a plus d’enjeux à continuer à étudier. Nous ne parvenons plus à augmenter la force de stockage, c’est-à-dire à rendre les connaissances plus durables.

Par contre, lorsque la force de récupération devient plus faible, cela va nous demander plus d’efforts pour récupérer les informations. Par conséquent, la récupération augmente de manière beaucoup plus nette la force de stockage. Cela rend les connaissances beaucoup plus durables, ce qui est l’effet désiré. 

L’apprentissage se révèle particulièrement efficace lorsqu’il concerne des informations qui ont à la fois une force de stockage et de récupération qui sont toutes les deux faibles.  

Ce sont les conditions d’une étude espacée qui maximisent cet effet et sont les plus susceptibles de produire un apprentissage durable. Elles augmentent à la fois la force de stockage et la force de récupération. Dans le cas d’un bachotage, la force de récupération est améliorée, cependant, la force de stockage n’évolue que peu ce qui entrainer un oubli ultérieur rapide. 

Nous avons par conséquent tout intérêt à étudier de façon espacée ! 

De même en classe, lorsque les élèves ont vingt exercices du même type à réaliser, dès qu'ils commencent à les réaliser sans difficultés, la force de récupération est élevée et la force de stockage n'augment plus. Il vaut mieux arrêter. Il vaut mieux reprend les exercices quelques jours plus tard. À ce moment-là, il sera plus difficile pour les élèves de récupérer les information mais cette démarche leur permettra d'augmenter la force de stockage ce qui se traduit par des gains en ce qui concerne la durabilité des apprentissages.

En conclusion, pour maintenir la force de récupération, il est crucial de revenir à intervalles réguliers sur les informations contenues en mémoire. Celles-ci ont été apprises précédemment. L’enjeu est d’augmenter leur force de stockage ce qui permet de rendre plus durable leur force de récupération. 



Le facteur temps dans l’effet d’espacement


Au plus un élément est récupéré, au plus les répétitions peuvent être espacées.

Si les récupérations sont trop peu espacées, la force de récupération est forte. Un laps de temps trop court (par exemple, revoir un cours le jour même plutôt que le lendemain) rendra la révision plus facile. En effet, l’oubli ne s’est encore que très peu manifesté et la force de récupération reste élevée. Par conséquent, l’efficacité ne sera que minime et il y aura un gaspillage de temps.

Si les récupérations sont trop espacées, avec un délai trop long, l’oubli risque d’être trop important et la force de récupération sera faible et nécessitera beaucoup d’efforts. Elle ne s’avèrera que guère plus efficace.

L’enjeu est de déterminer la longueur optimale des intervalles entre deux rappels.

Le meilleur moment pour s’entraîner correspond au moment où nous sommes sur le point d’oublier l’information revue, mais nous ne l’avons pas encore perdue. Malheureusement, ce moment n’est pas quantifiable, ni aisément localisable, car cela dépend de différents facteurs propres à la personne, au contexte et à la nature de l’information considérée.

L’efficacité de la durée de l’espacement est liée à la complexité et à la difficulté des tâches :
  • Des effets plus forts ont été constatés pour les tâches simples avec des périodes de repos relativement courtes. Comme l’apprentissage initial a été aisé, il a demandé peu d’efforts, la force de stockage initiale est faible.
  • Des périodes de repos plus longues étaient nécessaires pour les tâches plus complexes. Comme l’apprentissage initial a été difficile, il a demandé beaucoup d’efforts, la force de stockage initiale est élevée.



Comment l’expliquer ?


Notre cerveau ne peut pas garder toutes les informations qu’il reçoit. Il effectue un tri, tout n’est pas transféré en mémoire à long terme et tout ce qui est stocké en mémoire à long terme n’y est pas maintenu.

Lorsque nous avons appris quelque chose et que nous pensons avoir tout oublié, la recherche a montré que le réapprentissage est plus rapide que le premier apprentissage. Tout se passe comme si les informations oubliées n’étaient pas totalement perdues et effacées de la mémoire, des traces dans le cerveau facilitent les réapprentissages ultérieurs.

De nombreux facteurs interviennent dans la récupération, en voici quatre :



1) La variabilité du contexte


Le contexte détermine en partie la probabilité d’une récupération réussie. L’augmentation de la durée de l’intervalle de temps entre l’étude initiale et la révision augmente la différence dans les éléments contextuels encodés dans les deux cas. Cela augmente ainsi la probabilité que les contextes codés correspondent à ceux de l’évaluation finale. En effet, le fait de se rappeler d’informations mémorisées lors d’une évaluation est sensible aux associations contextuelles qui vont faciliter la récupération.

Le fait de fournir des intervalles espacés entre les tentatives de pratique augmente le nombre de séances de pratique uniques complétées et offre plus de possibilités de variabilité lors de l’encodage de l’information pratiquée. La variabilité peut porter sur la question de récupération où sur le cadre dans lequel elle se déroule.

Lorsque nous multiplions les récupérations, nous enrichissons les éléments contextuels, ce qui entraîne un rendement amélioré lors de l’évaluation.



2) Le renforcement


Chaque nouvelle rencontre avec l’élément étudié rappelle la rencontre précédente et la renforce. Lorsqu’une nouvelle présentation du contenu à apprendre amène à rappeler de la mémoire à long terme vers la mémoire de travail les éléments des apprentissages précédents, ceci représente une récupération qui favorise la consolidation de la mémoire.

De plus, ce bénéfice est d’autant plus important, que le fait de se rappeler d’éléments précédemment étudiés demande un effort.

Les oublis qui se manifestent entre deux moments de révisions demandent des efforts supplémentaires qui participent à une sorte de protection ultérieure accrue contre de nouveaux oublis. L’oubli aide à se souvenir. Installer des intervalles de temps entre les séances de pratique permettent d’oublier une partie de ce qui a été appris lors des séances précédentes. Il y a alors un intérêt à tenter activement de récupérer ou de ramener l’information perdue lors de la pratique antérieure. Cela permet d’éviter que la pratique ne devienne une simple répétition par cœur.

L’arrêt et le démarrage ultérieur d’une activité augmentent l’attention et la concentration des élèves qui réapprennent partiellement le contenu d’une session à l’autre. Lorsque les élèves maintiennent ou augmentent leur concentration sur les caractéristiques importantes d’un problème, l’information est conservée avec exactitude pendant de plus longues périodes.



3) L’amorçage


Lorsque les éléments sont présentés dans une pratique de drill ou de bachotage, la deuxième occurrence est similaire à la deuxième occurrence, le phénomène se répète pour les suivantes. Ce processus entraîne une réduction du traitement perceptuel dès la deuxième présentation et plus encore lors des suivantes.

À l’opposé, le fait de compléter cinq séances distribuées donne aux élèves cinq occasions de commencer et de terminer une activité de pratique. Il n’y a qu’un seul début et une seule fin dans le cas d’une seule séance lorsque nous utilisons la pratique de bachotage ou de drill.

Les effets d’amorçage de la récupération sont réduits lorsque le décalage entre les répétitions est réduit, ce qui mène à une mémorisation moins durable. Ils sont quasiment absents en cas de bachotage ou de drill.

Lors d’une présentation à intervalles de temps plus long, un traitement plus important de l’information est nécessaire. Cela favorise la consolidation.

Une constatation fréquente dans les études sur la pratique distribuée est que la quantité d’information oubliée entre les séances diminue graduellement, tout comme l’effort et la frustration ressentis par les participants.



4) La suppression neurale


Comme le rapportent Hughes et Lee (2019), des études de pratique distribuée dans lesquelles l’imagerie par résolution magnétique fonctionnelle (IRMf) a fourni des informations supplémentaires sur le lien entre l’attention et la mémorisation :
  • Lorsque des apprenants bénéficient d’une pratique sans interruption, ils ne retiennent pas le contenu ou la compétence aussi bien que lorsque la pratique distribuée est utilisée et donne lieu à une répartition sur plusieurs séances. La pratique distribuée assure le même nombre de tâches ou de problèmes, mais avec des interruptions entre les séances de pratique. 
  • Les analyses par IRMf ont documenté, que lorsque la pratique en masse (bachotage, drill) était utilisée, l’énergie dépensée par le cerveau diminuait rapidement. Les neuroscientifiques appellent ce phénomène « suppression neurale ». 
  • Essentiellement, la quantité d’énergie dépensée par le cerveau diminue rapidement lorsque les apprenants se retrouvent à plusieurs reprises devant le même type de problème sans aucun espacement. Cependant, lorsque les séances sont espacées, il n’y a pas de suppression neurale. Le cerveau reste actif à mesure que les tâches sont accomplies, et l’attention accrue entraîne un plus grand apprentissage.




mise à jour, le 02/08/2022

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