Régulièrement, un élève a besoin de mémoriser rapidement. une nouvelle formule, la définition d'un concept ou l’orthographe d’un terme qui vient de lui avoir été présenté. Pour ce faire, il va commencer par focaliser son attention, se vider l’esprit de toute pensée distractive. Il va alors lire attentivement l’expression. Il va y penser, se la répéter en tête quelque temps. Il lui faut pour un premier encodage de l'information pour une application pratique qu’il va en faire dans les secondes qui suivent.
(Photographie : Kristina Petrosiute)
Si l’un ou l’autre événement (extérieur ou intérieur) le dérange à ce
moment-là et détourne son attention ne serait-ce qu’un instant ou deux, il lui sera
nécessaire de répéter l’opération mentale.
Ce type d’expérience, aisé à
reproduire qui a amené les chercheurs à poser l’existence d’un type
spécifique de stockage d’information en mémoire appelée la mémoire à court terme. Elle est essentiellement vue dans les modèles plus récents de la mémoire comme une composante de la mémoire de travail ce qui fait que l'expression devient plus inusitée. Toutefois cette dimension mérite que nous nous y arrêtons dans une perspective scolaire.
Ce concept de mémoire à court terme est très proche de celui de mémoire de travail dont il est un sous-ensemble. Il y a un relatif consensus pour considérer le terme mémoire à court terme pour désigner le stockage simple et la mémoire de travail comme y incluant en plus à la manipulation de ces informations.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur la mémoire à court terme, sa capacité et les processus qui y sont liés. De même, ses implications pour les pratiques d’enseignement seront analysées en comparant les façons dont l’enseignement explicite et l’approche par découverte les prennent en compte ou non.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur la mémoire à court terme, sa capacité et les processus qui y sont liés. De même, ses implications pour les pratiques d’enseignement seront analysées en comparant les façons dont l’enseignement explicite et l’approche par découverte les prennent en compte ou non.
Caractéristiques et définition
La
mémoire à court terme gère le présent, elle n’est pas
un espace particulier de stockage des souvenirs, mais elle est un mécanisme
intégré qui concentre les ressources cognitives sur un petit ensemble de
représentations mentales.
Les informations transmises à la mémoire à
court terme proviennent :
- Soit de la mémoire sensorielle : un stimulus extérieur, non initié par notre système nerveux central.
- Soit de la mémoire à long terme : une pensée interne, initiée par notre système nerveux central; .
1. La mémoire à court terme traite l’information envoyée par la mémoire
sensorielle. Le codage en mémoire à court terme se fait sous différents formats tels des codes de type verbal, visuel et sémantique. Il y a une prise de conscience de l’information qui est susceptible d’être utilisée pour effectuer une opération (dans ce cas, nous préfèrons parler de mémoire de travail). Deux possibilités existent à ce
moment-là :
o Si l’information est particulièrement signifiante, marquée
émotionnellement, présente un intérêt, ou encore est reliée à des informations préalables déjà stockées en mémoire à long terme, alors elle est susceptible d’être stockée par cette
dernière.
o Si elle n’est pas signifiante, l’information sera dégradée et perdue à
jamais.
Dans l’approche par découverte, l’élève est confronté à la quantité importante d’informations accompagnant une mise en contexte qui se veut authentique. Il va devoir défricher et traiter l’information à travers un jeu de piste dont la finalité lui échappera jusqu’à ce qu’il l’ait construite. Il sera bien en peine dans les premières phases de distinguer ce qui est
signifiant de ce qui ne l’est pas. De même, les liens avec des connaissances
déjà présentes en mémoire à long terme ne seront pas évidents. Il est possible qu’il active des connaissances non pertinentes, qu’il n’active pas celles dont il a besoin. Il est même envisageable qu’il ne possède pas les connaissances préalables nécessaires.
À l’opposé, l’enseignement explicite insiste sur les liens avec les
connaissances antérieures réinvesties. Les objectifs sont précisés en amont et accessibles. La matière sera stratégiquement divisée
en unités plus petites, permettant une construction progressive des savoirs,
une mise en évidence du sens, où les liens avec les concepts déjà assimilés
sont activés.
2. La mémoire à court terme peut récupérer des informations stockées en mémoire à long terme. L’objectif le plus commun est d’analyser une information provenant de la mémoire sensorielle. Il s’agit par exemple de reconnaître un visage, de lire un texte ou de sélectionner la procédure de calcul à employer.
En approche constructiviste, cette dimension est
essentiellement laissée à l’initiative de l’élève, éventuellement étayée.
Dans l’enseignement explicite, les techniques d’évaluation
formative, les révisions intégrées, la pratique cumulative et les nombreux questionnements de l’enseignant vers les élèves assurent
que les élèves seront engagés pleinement dans ces démarches.
Capacité de stockage
La
capacité de la mémoire à court terme est d’environ sept éléments d’information,
plus ou moins deux éléments, soit de cinq à neuf éléments d’information
suivant les personnes.
Le principe des cinq à neuf éléments suppose qu’aucune manipulation ne doit être faite sur ces éléments, car il n’y a plus de ressources disponibles pour cela.
Dans cette logique,
lorsque l’information se présente sous la forme de mots plus longs, similaires
ou peu familiers, cette capacité diminue jusqu’à ce qu’elle ne porte que sur
quatre éléments.
Les recherches actuelles suggèrent que les jeunes adultes peuvent détenir de trois à cinq éléments (4 +/-1 selon le modèle de Cowan) d’information à la fois si aucune stratégie n’est utilisée.
Un fait intéressant, comme le rapporte André Tricot (2020), est que : notre capacité en mémoire de travail est plus faible que celle de nos cousins, les chimpanzés. C’est peut-être pour répondre à cette faiblesse que nous avons développé des connaissances.
L’enseignement explicite qui propose de présenter les
nouveaux contenus par petites étapes tient compte des capacités limitées de la
mémoire à court terme. Le guidage des élèves, ou le fait de « fournir des
aides pour les tâches difficiles » vont dans le même sens. L’enseignant évite que les capacités de la mémoire à court terme des élèves soient saturées de manière préventive.
L’approche par découverte ne tient pas compte de cette
limite de capacité. Cela peut générer la saturation de cette mémoire à court
terme. De même, la difficulté des questionnements réflexifs peut amoindrir les
capacités de cette même mémoire. L’enseignant peut intervenir dans cette pédagogie, mais uniquement quand les élèves sont perdus, ce qui correspond à une situation de saturation de leur mémoire à court terme.
Durée de stockage
La recherche a montré que la mémoire à court terme dure de 12 à 30 secondes sans répétition.
Après cela, la mémoire semble se décomposer, se dégrader ou disparaître
rapidement.
Située, semble-t-il, en grande part dans le lobe
préfrontal, la mémoire à court terme est en lien avec différentes autres parties liées à la mémoire à
long terme. La mémoire à court terme pourrait n’être qu’une forme d’index temporaire
de liens avec d’autres informations stockées en mémoire à long terme :
- Des souvenirs qui y sont formés et font l’objet d’un traitement signifiant seront transférés à un stockage plus permanent, en mémoire à long terme, dans d’autres régions du cerveau.
- Certains souvenirs, sans répétition ou sans traitement signifiant, se décomposeront. Au fur et à mesure, de nouveaux souvenirs seront ajoutés et les remplaceront.
Bon nombre des principes d’enseignement de Barak
Rosenshine : « Fournir des modèles », « Guider le travail
des élèves », « Vérifier la compréhension », « Pratique
autonome » et « Révisions hebdomadaires et mensuelles »,
tiennent compte des répétitions nécessaires de ces notions et leurs rappels.
Chaque élève à de multiples occasions d’apprendre, de progresser et de finalement acquérir les connaissances en mémoire à long terme. L’enseignant s’assure que ce processus arrivera à son terme en organisant une vérification de la compréhension distribuée et des récupérations fréquentes.
Chaque élève à de multiples occasions d’apprendre, de progresser et de finalement acquérir les connaissances en mémoire à long terme. L’enseignant s’assure que ce processus arrivera à son terme en organisant une vérification de la compréhension distribuée et des récupérations fréquentes.
Interférences
Cette mémoire peut être victime d’interférences comme lorsque l’attention
est détournée ou capturée par d’autres éléments d’information qui se
substituent à ceux en mémoire à court terme. Ceux-ci sont dès lors perdus.
L’interférence
dans la mémoire à court terme peut également se produire si la quantité
d’informations à détenir dépasse sa capacité.
L’information déjà présente dans la mémoire à court terme peut être
« poussée vers l’extérieur » pour faire place à de nouvelles
informations.
L’approche par découverte exige de l’apprenant qu’il
recherche dans une situation problème des informations pertinentes pour
élaborer une réponse, la démarche est propice à la création d’interférences.
Avec ce système à ce point limité, pourquoi ne remarquons-nous pas nos limites plus souvent ?
Il y
a au moins deux raisons si nous considérons strictement la mémoire à court terme.
L’encodage de l’information dans la mémoire à court terme, et donc ses
performances peuvent être améliorés grâce à la répétition de maintien et au tronçonnage :
La répétition de maintien
Nous savons par expérience que pour garder une
information en mémoire, il faut se la répéter plusieurs fois. Cette technique de mémorisation est appelée répétition de maintien.
Il arrive souvent que, quand quelqu’un se
présente et dit son nom, nous l’oublions aussitôt. La raison est que nous sommes distraits de la tâche de répétition nécessaire à l’acquisition d’un nouveau
souvenir.
Pour y remédier, il faut s’assurer d’encoder
et de répéter plusieurs fois le nom avec attention, avant de continuer la
conversation. Avec la répétition de
maintien, une personne continue simplement à prêter attention et à traiter l’information jusqu’à son éventuelle conservation en mémoire à long terme.
L’information
restera dans la mémoire à court terme jusqu’à ce que la répétition s’arrête.
Lorsque la répétition s’arrête, la mémoire s’effrite rapidement et est oubliée. Nous redémarrons chaque fois le temps de maintien de l’information.
Une meilleure façon de se souvenir d’une
information que d’utiliser la répétition de maintien est de l’associer à d’autres
informations directement disponibles à la mémoire sensorielle ou déjà stockées
dans la mémoire à long terme. En
impliquant des liens avec des éléments en mémoire à long terme nous induisons un stockage
plus permanent vers la mémoire à long terme.
Le tronçonnage (chunking) ou regroupement
Lorsque l’information que nous souhaitons acquérir est trop volumineuse pour être répétée, il reste alors la stratégie du tronçonnage.
Un tronçon (chunk) est une unité
significative d’information. Un tronçon peut être une lettre ou un chiffre,
un groupe de lettres ou de chiffres, un groupe de mots, voire une phrase entière.
Par exemple, la séquence 2-3-0-7-1-9-8-4 est
faite de huit chiffres qui peuvent, lorsqu’ils sont pris dans leur
individualité, saturer la capacité de la mémoire à court terme.
Selon les recherches menées par Dirlam (1972), quatre ou trois éléments d’information dans chaque morceau constituent la taille optimale pour celui-ci.
Le tronçonnage est le processus de groupement
d’éléments individuels :
- Soit en les groupant sur la base de la similarité ou selon un autre principe d’organisation
- Soit en les combinant en les associant à des informations stockées dans la mémoire à long terme.
Le tronçonnage est un élément clé de beaucoup
de méthodes mnémotechniques. C’est la raison pour laquelle nous regroupons les
numéros de téléphone par deux ou par trois chiffres. Autrement nous ne pourrions pas stocker un numéro entier en mémoire à court terme.
Les
performances de la mémoire à court terme peuvent ainsi être améliorées dans un
domaine précis et c’est un des enjeux de l’enseignement :
- Il s’agit de construire la capacité d’organiser un ensemble d’informations en tronçons.
- Un schéma de tronçonnage a une organisation hiérarchique : chaque schéma peut contenir des schémas plus élémentaires, qui sont eux-mêmes potentiellement constitués de sous-schémas, et ainsi de suite.
- Ces schémas peuvent encapsuler les liens logiques et associations d’idées entre les informations regroupées.
Le découpage est un processus fiable d'acquisition de connaissances et d'organisation de l'information. Gobet (2005) propose que les enseignants utilisent le découpage comme méthode pour segmenter le programme en éléments naturels. Un élève apprend mieux lorsqu'il se concentre sur les éléments clés d'une matière. Il est donc important de créer des segments qui mettent en évidence les informations importantes.
Dans le perspective de la mémoire à long terme (Gobet et coll, 2004), un chunk peut alors être défini comme une collection d'éléments ayant de fortes associations les uns avec les autres, mais de faibles associations avec des éléments au sein d'autres chunks.
Le chunking n'existerait que dans la mémoire à long terme, il aide à la réintégration et est impliquée dans le rappel d'informations dans la mémoire à court terme. Il peut être plus facile de rappeler des informations dans la mémoire à court terme si ces informations ont été représentées par des chunks dans la mémoire à long terme.
Dans le cadre d’un enseignement explicite, nous allons fournir des modèles, des organisateurs graphiques, des problèmes résolus, de présenter les nouveaux
contenus par petites étapes et étayer les tâches difficiles. Ces démarches s’inscrivent dans la direction d’une facilitation de l’organisation
hiérarchique des connaissances au sein des schémas.
Nous pouvons citer Jonnaert et Vander Borght (2003, « Créer
des conditions d’apprentissage », De Boeck). « L’élève
construit ses connaissances à partir de ce qu’il sait déjà dans une dialectique
qui s’établit entre les anciennes et les nouvelles connaissances ». Dans la démarche d’un enseignement socioconstructiviste, l’élève est responsable de l’élaboration de ses
propres stratégies de regroupement et de tronçonnage dans la construction de
son savoir. Nous comprenons que le processus sera de fait moins efficient.
Chunking et expertise
Les
limites de la mémoire à court terme semblent s’évanouir quand nous sommes face à une
situation familière.
Les experts dans un domaine peuvent retenir de
grandes quantités d’informations, en optimisant le tronçonnement dans leur
mémoire à court terme. Les experts ont tendance à faire de multiples
regroupements et des catégories hiérarchisées. Ils perçoivent ce qui est
pertinent de ce qui ne l’est pas. Cette
capacité est liée à leurs larges connaissances organisées et à leur
savoir-faire dans le domaine.
Il ne
s’agit pas d’une compétence que nous pouvons exercer indépendamment. Des
recherches ont montré dans différents domaines que des experts ne peuvent pas
faire de regroupement dans des tâches déconnectées de leur
expertise. Leur mémoire à court terme reste limitée à 7 informations en moyenne. Mais pour des tâches liées à leur domaine d’expertise,
ils peuvent mémoriser jusqu’à 20 voire 30 informations dans leur mémoire à court terme en les regroupant.
Les
mécanismes de tronçonnage sont des connaissances mémorisées en mémoire à long
terme : les regroupements doivent être mémorisés avant d’être utilisables. Les
différences de performance entre experts et novices proviennent en partie de
la mémorisation d’un grand nombre de regroupements spécifiques à ce domaine.
Comparés aux novices, les experts dominent et traitent plus de faits et établissent plus d’interconnexions ou de relations entre eux.
Un
novice distingue avec difficulté les éléments pertinents. Même s’il connaît les
procédures à mettre en œuvre, elles restent pour une part importante liées au
contexte de surface (inflexibles). Ses capacités de hiérarchisation et de regroupement sont
limitées, ce qui a pour effet de remplir rapidement sa mémoire à court terme.
Les conclusions de la recherche sur les caractéristiques
de la mémoire à court terme chez les experts (dans lesquels se classent les
enseignants eux-mêmes) par rapport à celles des novices (que sont les élèves) sont formelles. L’approche par découverte ne semble pas optimale en ce qui concerne la
mémoire à court terme.
Le développement de l’expertise et des compétences de
haut niveau est directement corrélé au développement d’un large spectre de
connaissances dans un domaine considéré.
Un des enjeux principaux de l’enseignement est un
transfert de connaissances. Celles-ci sont une condition préalable et
nécessaire au développement de capacités de transfert et de l’esprit critique
chez les élèves.
L’enseignement explicite s’emploie à maintenir une
relation harmonieuse avec la mémoire à court terme qui est notre interface avec
le monde. En ce sens, il correspond aux enjeux démocratiques et égalitaires de
l’éducation.
L’approche par découverte, si nous la considérons à travers
le spectre de la mémoire à court terme, ne semble optimale que lorsque les
apprenants disposent déjà de larges connaissances dans le domaine considéré. Ce critère est rarement vérifié dans le cas dans l’enseignement fondamental et secondaire.
(mise à jour le 06/04/20)
Bibliographie
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