dimanche 6 mai 2018

Enseigner, une profession plus qu'une vocation ou un métier

Lorsque nous écoutons distraitement les conversations en salle de profs, resurgit de temps à autre l’inévitable question nostalgique sur ce qui a amené au départ un enseignant à choisir cette voie.

(Photographie : Holly Lynton)



Essentiellement, deux camps se rencontrent sur le terrain du parcours personnel :
  • D’un côté, il y a ceux qui y sont arrivés directement, dont la vocation était une évidence depuis longtemps.
  • De l’autre, il y a ceux qui n’y sont arrivés que dans un second temps, après avoir travaillé dans un autre domaine ou après une bifurcation de choix d’étude. Pour ceux-là, le choix n’était pas d’emblée évident, mais s’est traduit par un changement de métier. Souvent, nous trouverons derrière des raisons pragmatiques comme un échec dans le premier choix d’étude, le chômage, le fait d’être parent, des questions de choix de vie ou d’attentes.

Parallèlement à ces deux voies habituelles, un mouvement se dessine progressivement en direction d’une professionnalisation plus marquée de l’enseignement.

Notamment, en Fédération Wallonie-Bruxelles, nous assistons à la concrétisation progressive et pratique du Pacte d’excellence. Avec celui-ci s’installe une culture de l’évaluation et de l’amélioration avec en ligne de mire une volonté d’efficacité qui l’accompagne. Par ce biais, arrive, en droite ligne du Canada (plus précisément via l’Ontario), le concept de communauté d’apprentissage professionnelle (CAP) dont pas mal d’écoles s’emploient actuellement à trouver une mise en place pratique.

Ces constats sont l’occasion de se plonger dans différents écrits de Maurice Tardif qui a exploré cette question triple de l’enseignement et de la voie qui mène, plus ou moins difficilement, à la professionnalisation :



Introduction


L’enseignement est confronté de toutes parts à des pressions récurrentes. Celles-ci prennent la forme d’attentes de la société qui fluctuent en fonction de l’actualité, de volontés politiques. Ces dernières dépendent de cycles électoraux, ou des résultats d’enquêtes internationales (PIRLS, PISA, TIMSS) et de leur prise en compte ultérieure. En outre, les écoles n’ont pas d’autre choix que de s’adapter à un environnement économique et social devenu en permanence plus complexe, mouvant et incertain. De phénomènes comme la pandémie et le réchauffement climatique accentuent le besoin ressenti de changement.

De même, un mouvement se manifeste de plus en plus clairement à travers les décennies. Il s’agit de plus en plus aujourd’hui de faire passer l’enseignement du statut de métier à celui d’une profession. Il y a en filigrane une visée à long terme d’un niveau d’exigence et d’études qui pourraient tendre vers ceux de professions comme la médecine, le droit et l’ingénierie.

Cependant, à travers la pénurie, le manque de reconnaissance et les contraintes administratives, la réalité du terrain reste très contrastée. L’enseignement n’évolue pas au même rythme partout et des formes anciennes de conception de celui-ci coexistent avec d’autres, plus contemporaines, d’une école à l’autre et même au sein d’une équipe enseignante.

Parmi les formes plus anciennes, nous retrouvons l’enseignement comme vocation ou comme métier. Ces deux formes subsistent conjointement. Elles cohabitent donc avec le mouvement de professionnalisation, engendrant ainsi des tensions, voire des contradictions au sein de l’évolution sociale de l’enseignement.



Enseigner comme vocation


L’idée d’enseigner comme vocation se retrouve dans des formes de réalisation et d’organisation qui remontent à quelques siècles et se traduisent par une forme de constance. On peut évoquer l’ensemble des écoles fondées au départ par des congrégations religieuses. L’enseignant y remplit avant tout un rôle social dans une société qui recherche une stabilité.

Considérer le fait d’enseigner comme étant une vocation est une conception normative que nous pouvons encore de nos jours mettre en évidence dans les deux tendances suivantes :
  1. Actuellement, les enseignantes forment la majorité de la main-d’œuvre enseignante. Ce phénomène de féminisation remonte au XIXe siècle. Il se maintient depuis lors et peut même s’accentuer dans certains secteurs.
  2. Un grand nombre d’enseignants reproduisent parfois inconsciemment en classe les pratiques pédagogiques de leurs prédécesseurs, parfois même plus sûrement que celles auxquelles ils ont été formés initialement. Devenir enseignant par vocation fait appel aussi à la notion de modèle, que peuvent avoir été l’un ou l’autre enseignant que nous avons croisés et que nous avons idéalisés. Cela peut se traduire aussi par un attachement à des pratiques pédagogiques traditionnelles ou à l’opposé, cela peut se manifester par une vision plus romantique et idéalisée propre à l’Éducation nouvelle. 
Dans le sens de la vocation, enseigner est une activité à temps plein qu’il s’agit d’incarner physiquement et psychologiquement. C’est une occupation à laquelle nous consacrons notre vie active. C’est par la même, une sorte de profession de foi, de conviction qui peut donner l’impression de se transcender en quelque sorte.

Dans cette perspective historique, la mission est double. Nous devons d’un côté instruire, et de l’autre moraliser ou émanciper. À ce titre, l’enseignant joue un rôle de modèle ou d’exemple.

Dans la perspective de l’Éducation nouvelle, il y a le principe du progrès global de la personne humaine. L’engagement est total. L’enseignant a le souhait de partir des centres d’intérêt de l’enfant et il s’efforce de susciter l’esprit de découverte et de coopération. L’apprentissage de la vie sociale, par la coopération, y est essentiel.

Considérer l’enseignement comme une vocation plutôt que comme un choix de carrière ou une profession peut placer automatiquement les revendications et les conditions matérielles (salaire, statut, tâches, etc.) au second plan. Il peut aussi les placer dans un engagement à des valeurs ou à un idéal sociétal. Cette conception hiérarchise, rétrécit et limite l’autonomie des enseignants ou le transforme en un militant.



Enseigner comme métier


La notion de métier apparaît avec la mise en place de réseaux d’enseignement gérés par les pouvoirs publics et va de pair avec l’enseignement obligatoire et sa démocratisation.

La fonction enseignante étant peu à peu intégrée aux structures et responsabilités étatiques, le rapport à l’enseignement devient contractuel et salarial. Les enseignants travaillent pour faire carrière et obtenir un salaire, même si la mentalité de service reste très présente.

La contrepartie du métier est l’exigence d’une formation initiale certifiante. L’enseignant doit posséder des connaissances qui sont des prérequis au niveau des contenus, mais surtout également une technique. L’expérience concrète du travail reste au cœur du savoir enseigner.

L’apprentissage du métier passe par la pratique, l’imitation et la maîtrise des routines établies dans les écoles par les enseignants chevronnés, ainsi que par le respect des règles scolaires.

Cette notion de métier établit une relation de confiance entre l’état et les enseignants. L’état leur délègue une certaine autorité pédagogique et reconnaît leur compétence à faire la classe.

En principe, les enseignants sont responsables de leurs classes, de la gestion des élèves, des choix pédagogiques liés à la matière et aux activités d’apprentissage, de la discipline, etc. En réalité, les enseignants sont liés à des programmes et à des prescrits administratifs.



Enseigner comme profession


Nous pouvons nous demander ce qui définit une profession et la manière dont ces conditions sont respectées dans le cadre de l’enseignement.

Une profession doit répondre aux conditions suivantes :
  1. L’existence d’une base de connaissances scientifiques qui soutient et légitime les jugements et les actes professionnels
    • Cette base de connaissances est acquise dans le cadre d’une formation de haut niveau intellectuel. 
    • Elle nécessite de fréquentes mises à jour afin d’incorporer les résultats de recherche les plus récents, c’est-à-dire d’une formation continuée.
    • Concrètement, cela signifie que la formation continuée et le perfectionnement sont considérés comme des obligations professionnelles.
  2. La présence d’un ordre professionnel reconnu par l’état, ou par des organismes mandatés par l’état, regroupant des membres dûment qualifiés et socialisés aux valeurs de la profession :
    • Cette corporation défend les droits du public et non de ses membres comme le fait un syndicat.
    • Elle est composée exclusivement de professionnels.
    • Elle exerce son activité disciplinaire en se fondant sur le mécanisme du jugement par les pairs : un médecin est évalué par d’autres médecins. Un enseignant devrait être évalué par d’autres enseignants.
    • Pour les enseignants, elle prend essentiellement la forme des conseillers pédagogiques et de l’inspection. 
  3. Une éthique professionnelle orientée vers le respect des clients :
    • Cette éthique ne se réduit pas à de grandes valeurs éducatives humanistes, mais porte sur des actes professionnels spécifiques.
    • Elle correspond donc à ce que nous appelons un code déontologique, une éthique procédurale.
  4. L’autonomie professionnelle :
    • C’est la reconnaissance, à la fois juridique et sociale, que le professionnel est le mieux placé pour décider des actes qu’il doit accomplir.
  5. La responsabilité professionnelle qui découle de l’autonomie : 
    • Un professionnel peut être évalué par son ordre, voire accusé de faute professionnelle.
    • Il est responsable de son activité, notamment des moyens qu’il utilise.

Cette professionnalisation va de pair avec le développement de groupes d’experts, que nous pouvons appeler des professionnels ou des spécialistes et qui interviennent de plus en plus dans la gestion des institutions, pratiques, difficultés humaines et sociales.

Ces groupes professionnels créent et contrôlent la connaissance théorique et pratique nécessaire aux décisions, aux innovations, à la planification des changements sociaux et à la gestion de la croissance économique et technologique.

Leur existence est en bonne partie liée à l’essor des universités modernes. À partir du XIXe siècle, les universités ont de plus en plus pour mission de former des professionnels dont la pratique se base sur des connaissances issues de la recherche scientifique. La professionnalisation est donc intimement liée à un enseignement universitaire, y compris pour l’enseignement.

 

Mis à jour le 14/07/2024

Bibliographie


Tardif, M. (2013). « Où s’en va la professionnalisation de l’enseignement ? ». Tréma, Revue internationale en sciences de l’éducation et didactique, Université de Montpellier, n° 40, décembre 2013, p. 43-60.

Tardif, Maurice « DE L’USAGE POLITIQUE DES DONNÉES SCIENTIFIQUES » (2017) http://plus.lapresse.ca/screens/a913a92c-9428-4b96-bc53-75bae0704f91%7C_0.html

Jarraud, François. Maurice Tardif : Résister à l’école à deux vitesses (2017) http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/1211MauriceTardif.aspx

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