jeudi 19 novembre 2020

Rendre les élèves actifs et leur faire élaborer pour optimiser l’apprentissage  

Lorsque des connaissances identifiées doivent être enseignées à des élèves en classe, la première question qu’un enseignant doit se poser concerne le choix des tâches qui constitueront le meilleur moyen d’apprendre.  

(Photographie : Yamasaki Ko-ji)

Un élève apprendra mieux lors de la réalisation d’une tâche s’il comprend ce qu’il fait et pourquoi il le fait. S’il lui donne le sens voulu. Un premier postulat est qu’un lien clair, direct et établi doit chaque fois exister entre une tâche donnée et une intention d’apprentissage définie.



La mise en activité nécessaire à l'apprentissage


Il y a un consensus sur le fait qu’apprendre pour un élève lui demande d’être en activité. Cette forme d’activité impose l’établissement d’un traitement cognitif qui se traduit à travers des échanges entre l'élève et son environnement d’apprentissage, soit sous la forme d’un support ou d’un enseignement qui lui est prodigué.

L’élève a besoin d’une forme d’interaction qui lui impose périodiquement de générer une forme de réponse ou une production qui seront vérifiées. Sans cela, il est peu probable que le traitement cognitif dans lequel s’engage un élève perdure et aboutisse automatiquement à une compréhension approfondie ou complète et par la suite à un apprentissage. 

Pour l’enseignant, l’enjeu est d’assurer la mise en activité de ses élèves, de manière régulière, pertinente et puis répétée de manière espacée. C’est un impératif de qualité des apprentissages.

La question porte sur la nature et le forme de la mise en activité des élèves optimisant la compréhension et l’apprentissage qui en résultent.

Deux points de vue coexistent et sont conjugables. L’un consiste à faire manipuler, à rendre les élèves visiblement actifs pour qu’ils apprennent. L’autre s’emploie à les faire réfléchir, élaborer et à stimuler leur activité mentale. Différentes questions en découlent.

Une mise en activité des élèves peut-elle être purement mentale ? Les élèves doivent-ils au contraire avant tout manipuler dans des contextes authentiques ? Bénéficieront-ils plus de la découverte des contenus par eux-mêmes que de leur réception ? Doivent-ils plutôt reproduire et imiter ce qu’on leur montre ? Comment envisager une pratique pour qu’elle puisse être efficace ?



La charge cognitive liée à la manipulation


Certaines tâches scolaires sont particulièrement exigeantes et complexes. Il sera souvent nécessaire de les enseigner de façon structurée et progressive, de procéder à une mise en œuvre, étape par étape. Sans ce travail de conception, l’apprentissage actif risque de devenir un obstacle à l’apprentissage et mener à la confusion et au déraillement.

Le fait de demander aux élèves de manipuler d’emblée va constituer à un cout cognitif additionnel. 

Les recherches dans le domaine semblent converger vers l’idée que pour être efficace, la manipulation doit être :

  • Pertinente, c’est-à-dire en lien direct avec l’apprentissage, lorsqu’elle est une part non négligeable de sa finalité.
  • Mobiliser de manière modérée les capacités cognitives des élèves. À partir d’un certain seuil, les ressources attentionnelles mobilisées par la manipulation peuvent devenir trop importantes. Il peut ne plus subsister de ressources mentales pour réfléchir et apprendre. 

Apprendre en manipulant est parfois efficace et parfois non. Un facteur critique réside dans les connaissances précédemment acquises par les élèves : 

  • Avec les élèves déjà plus avancés dans un apprentissage donné, au plus la manipulation et la mise en activité pure deviennent efficaces. Les élèves gagnent alors à s’engager dans une pratique délibérée et autonome. 
  • Avec les élèves moins avancés face à un apprentissage donné comme c’est régulièrement le cas en contexte scolaire, une mise en activité trop ouverte et trop directe est souvent défavorable. Les élèves gagnent alors à s’engager dans une pratique guidée, accompagnés pas à pas par leur enseignant. 

Selon la théorie de la charge cognitive, l’apprentissage par l’action va représenter un cout cognitif supplémentaire. Les élèves risquent de mobiliser leur attention et leurs ressources sur ce qu’il y a à faire et moins sur ce qu’il y a à apprendre. S’il y a peu à apprendre, c’est sans réelle importance, mais souvent les apprentissages sont neufs et conséquents.



Distinguer l'activité cognitive de l'activité physique


Une première difficulté dans la conception pédagogique est de bien prendre conscience de la différence entre :

  • Une activité physique : la manipulation d’objets, le mouvement, le comportement visible, l’engagement manifeste.
  • Une activité cognitive : le fait de penser ou de réfléchir, l’intériorisation, un traitement non directement visible extérieurement.

Dans la plupart des apprentissages scolaires, ce qui est réellement crucial, c’est que les élèves réfléchissent aux contenus, l’activité cognitive. Il s’agit pour eux d’élaborer mentalement et de penser en profondeur, pas nécessairement de manipuler et d’agir physiquement.  

Il est toutefois important de distinguer les apprentissages qui portent sur des savoirs et ceux qui portent sur un savoir-faire. De même, parmi ceux qui portent sur un savoir-faire, certains sont des apprentissages moteurs qui justifient pleinement un entrainement à la manipulation, d’autres sont de pures opérations mentales. D’autres savoir-faire plus mentaux vont de même nécessiter une activité. Résoudre un exercice en mathématiques demande souvent d’écrire sur du papier et est avant tout de l’ordre de la réflexion.

L’important pour apprendre, c’est d’abord d’être actif cognitivement, plus que physiquement. 



Ne pas confondre les dimensions du moyen et de la finalité dans la mise en activité des élèves


Une seconde difficulté se trouve dans la confusion entre l’action comme moyen d’apprendre et la maîtrise de l’action comme objectif ou finalité de l’apprentissage. 

Par exemple, dans l’enseignement des sciences, la manipulation tient un rôle important :

  • Il faut apprendre à manipuler les instruments de mesure et d’analyse, les outils techniques.
  • Il faut appréhender l’expérience tacite du phénomène considéré, en récolter la perception avec nos sens.
  • Il faut pouvoir exploiter et comprendre ce qu’ils permettent de révéler, saisir la dimension abstraite et plus générale. 

Ces aspects sont à la fois dépendants et indépendants :

  • Dépendants dans le sens où ces connaissances se complètent et se mêlent. 
  • Indépendants dans le sens où ces aspects ne sont pas forcément utiles ou optimums, à mener de front en permanence, dans le cadre des apprentissages. 

Nous courons le risque d’une surcharge cognitive lorsque les élèves doivent assurer à la fois la manipulation et en même temps percevoir et réfléchir. Il peut y avoir un apprentissage conceptuel plus important lorsque des élèves observent un enseignant manipuler plutôt que d’assurer le protocole expérimental eux-mêmes. C’est la notion du modelage en enseignement explicite.

Ce qui est crucial est que l’enseignant soit au clair sur l’adéquation entre les objectifs d’apprentissage et la conception pédagogique qu’il met en place pour les atteindre. 

Le danger réside dans une confusion possible entre le but, l’apprentissage que nous visons, et le moyen, c’est-à-dire la façon de l’atteindre. Il ne suffit pas de faire pour apprendre. Nous ne pouvons confondre moyen et finalité.

La performance technique n’implique pas toujours ni n’entraine automatiquement une compréhension approfondie. Elle peut l’empêcher. De manière surprenante, l’activité peut être susceptible de représenter un obstacle, un frein à l’apprentissage. 

Faire manipuler est directement pertinent quand la connaissance à apprendre est un savoir-faire, plus particulièrement moteur. Il s’agit d’apprendre à réaliser un geste, un mouvement, un déplacement. Dans ce cas, le moyen équivaut à la finalité. Il s’agit d’apprendre à réaliser un geste, un mouvement, un déplacement. 

Dans le cadre scolaire, c’est rarement le cas, la manipulation est alors un moyen et non une fin. Le savoir-faire visé n’est souvent pas moteur. Il s’agit d’apprendre à lire ou d’apprendre à compter, par exemple. Dans ce cadre, l’effet de la mobilisation du corps et de la manipulation d’objets est parfois positif, d’autres fois non. 



Distinguer les apports de la manipulation et de l'élaboration


Dans une méta-analyse de 43 articles de recherches portant sur l’apprentissage par problème réalisées dans l’enseignement supérieur et menées dans des classes réelles, Filip Dochy et ses collaborateurs (2003) ont abouti aux conclusions suivantes :

  • L’apprentissage par la résolution de problèmes a un effet positif important sur les compétences des étudiants, sur leur savoir-faire. 
  • Le niveau d’expertise de l’étudiant est associé à la variation de la taille de l’effet. Au plus les étudiants ont des connaissances dans un domaine, au plus la résolution de problèmes est bénéfique.
  • Néanmoins, un effet négatif se manifeste sur les connaissances des étudiants. Des étudiants qui s’engagent dans un apprentissage par la résolution de problèmes vont acquérir moins de connaissances.

Quand l’objectif est de comprendre, d’apprendre une connaissance notionnelle, alors ce n’est pas tant le fait de manipuler qui est important. Ce qui compte avant tout est d’être actif cognitivement, de réfléchir, de se poser des questions, de faire des hypothèses et d’élaborer.

Les recherches de Chi et Wylie (2014) montrent qu’au lieu de leur demander de manipuler, il est plus efficace de faire réfléchir les élèves. Il s’agit de les amener à se poser des questions ou à formuler des hypothèses. Il s’agit de les conduire à comprendre plus que ce que nous leur présentons explicitement. 

Proposer des activités qui engagent cognitivement les élèves, leur faire se poser des questions, chercher des explications, établir des liens et aboutir à des réponses semble bien constituer un enjeu majeur de l’enseignement. Cela reste vrai, peu importe la forme pédagogique choisie. 



Privilégier l'engagement dans un traitement cognitif signifiant


S’il n’y a pas de traitement cognitif, il n’y a pas d’apprentissage. Une première évidence est que si les pratiques d’enseignement permettent aux élèves d’être passifs et ne les amènent pas à s’engager dans un traitement cognitif signifiant, alors elles sont vaines. Il n’y a pas d’apprentissage passif.

Pour autant, l’apprentissage actif ne se caractérise pas forcément par une activité physique observable extérieurement. Un élève passif physiquement, mais actif mentalement peut apprendre de manière efficace. À l’opposé, ce n’est pas parce que les élèves sont actifs qu’ils apprennent forcément. 

Michelene Chi (2009) qualifie les modes d’engagement passifs dans les apprentissages comme des situations où les élèves sont orientés vers ce qu’il y a à apprendre. Ils sont attentifs. Ils sont focalisés sur les explications de leur enseignant ou sur un document à étudier. Nous ne les voyons rien faire d’autre. 

Parfois, les élèves sont inactifs physiquement, mais très mobilisés et attentifs. Parfois, ils sont inattentifs et ne suivent pas. L’enjeu pour l’enseignant porte alors sur l’engagement cognitif, sur la manière de l’assurer.

Si le traitement cognitif n’est pas opportun, en décalage avec l’objectif pédagogique, inconséquent, ou s’il est trop complexe par rapport à celui-ci, il n’y a que très peu ou pas d’apprentissage signifiant.

  • L’activité est un moyen de mobiliser les élèves. En matière de gestion du comportement, elle permet de favoriser l’engagement ou de stimuler leur intérêt. Dans ce cas, elle prend en compte essentiellement le fait que les élèves sont occupés et attentifs à ce qu’ils font.
  • L’activité est un moyen de faire apprendre. Dans ce cas, elle prend en compte essentiellement la possibilité d’un traitement cognitif signifiant. 



Les caractéristiques importantes d'un texte informatif


La lecture et la compréhension de texte constituent des éléments majeurs de l’expérience scolaire. Il est important de connaitre quelques clés et stratégies pour maximiser le bénéfice que les élèves peuvent en tirer.  

La lecture d’un texte est en quelque sorte une manipulation d’un objet, une mise en activité de l’élève. Ce qui est intéressant est de voir comment favoriser un traitement élaboratif et cognitif. 

Une recherche de Loxterman et ses collègues (1994) a mis quelques aspects intéressants en évidence. Ils montrent que la mesure dans laquelle un lecteur comprend un texte dépend de l’interaction entre la nature du texte et les connaissances et les capacités de traitement du lecteur.

Ce qui est important à prendre en compte est que la mesure dans laquelle un lecteur comprend un texte. Cela dépend de l’interaction entre la nature du texte, les connaissances, les capacités de traitement et les stratégies mobilisées par le lecteur. Il est intéressant de s’interroger sur les caractéristiques qui optimisent un texte au niveau de l’information qu’il contient. Qu’est-ce qui le rend informatif ? 

Un texte informatif gagne à suivre certaines règles. 

Les enjeux du texte informatif sont d’aider le lecteur 

  • À relier les éléments d’information contenus dans le texte
  • À combiner ces informations avec ses connaissances préalables
  • À développer une représentation cohérente et globale des contenus

Afin d’être optimisé et de le rendre plus informatif, un texte gagne à :

  • Être restructuré en séquences logiques, présentées sous forme de paragraphes dans une progression logique. C’est la clarification. 
  • Avoir ses idées implicites rendues explicites. C’est l’explication du contenu.
  • Avoir les liens mis en évidence. C’est l’explicitation des liens.



Privilégier des stratégies de traitement actif


Pour un enseignant, l’enjeu est de stimuler les processus de réflexion dans lesquels les élèves s’engagent lorsqu’ils se lisent un texte. Il s’agit d’éviter que la lecture devienne une manipulation en mode automatique qu’elle devienne superficielle. L’enjeu est que les élèves apprennent à adopter un traitement spécifique et élaboré lors de la lecture.

Ces stratégies de traitement des lecteurs participent à la métacognition. C’est-à-dire à la prise de conscience, à la surveillance et à la régulation des processus cognitifs dans lesquels s’engage un individu. 

Parmi les exemples de stratégies métacognitives qui aident la compréhension, on peut citer :

  1. La recherche de la source d’une difficulté compréhension
  2. La reconnaissance des idées implicites d’un texte
  3. Des stratégies compensatoires comme la relecture ou un retour en arrière sur les passages confus.
  4. L’interrogation élaborative et l’auto-explication

L’utilisation de ces différentes stratégies provoque un traitement cognitif ciblé qui facilite la compréhension de la lecture. La métacognition rend les élèves conscients des processus mentaux impliqués dans la lecture et les équipes de stratégies de traitement qui les aident à progresser. 

Loxterman et ses collègues (1994) ont exploré une forme d’auto-explication qui est la pensée à voix haute. Il s’agit d’une verbalisation qui implique une prise de conscience des processus mentaux pendant la lecture. L’enseignant demande aux élèves d’exprimer ce qu’ils pensent pendant la lecture afin d’exposer le fonctionnement de leurs processus. Plus que d’être simplement une stratégie de vérification de la compréhension, penser à haute voix facilite la compréhension.

En procédant de la sorte, les élèves gardent à l’esprit l’objectif de la lecture en tant que recherche active de sens. Demander aux élèves de s’arrêter et de réfléchir à voix haute sur ce qu’ils lisent maintient l’objectif de la lecture comme construction de sens.  

Dans leurs expériences, Loxterman et ses collègues (1994), des élèves de 11/12 ans ont été soumis à quatre conditions : 

  • Dans une condition, les élèves lisent le texte original en silence
  • Dans une deuxième condition, les élèves lisent le texte original en réfléchissant à voix haute 
  • Dans une troisième condition, les élèves lisent le texte optimisé en silence
  • Dans une quatrième condition, les élèves lisent le texte optimisé en réfléchissant à voix haute. 

La procédure de réflexion à voix haute a été conçue pour interrompre les élèves à des endroits comparables dans les textes originaux et révisés. Là où il semblait qu’ils auraient avantage à s’arrêter pour réfléchir à ce qu’ils lisaient. À chaque point d’interruption, l’examinateur demandait aux élèves : « Qu’est-ce qui vous est venu à l’esprit ? ». Après avoir lu le texte, les élèves des quatre conditions ont été invités à se rappeler ce qu’ils avaient lu et à répondre à une série de questions ouvertes. 

De la condition 1 à la condition 4, une amélioration significative des résultats s’est manifestée. 

Une conclusion intéressante est que le facteur qui a le plus d’impact est l’optimisation du texte. L’effet de la pensée à voix haute s’est révélé plus important pour le texte optimisé que pour le texte original. 

Le degré d’amélioration a été fortement influencé par une combinaison de texte optimisé et de réflexion à voix haute.

Les élèves qui ont lu le texte optimisé ont eu tendance à relier les informations dont ils se souvenaient. Les élèves qui ont lu le texte original ont eu tendance à énumérer les informations dont ils se souvenaient. 

Il semble donc que la valeur de la réflexion à haute voix doive être considérée en conjonction avec la nature du texte lu. L’enjeu est d’optimiser le traitement cognitif qu’elle génère et la qualité de l’élaboration qu’elle entraine. Les élèves gagnent à travailler avec un texte qui relie explicitement les informations et fournit des explications adéquates. 

Dans une recherche similaire, McKeown et Beck (1994) ont demandé à des élèves de grade 5 (âgés d’environ 11 ans) d’étudier un document en cours d’histoire. Il leur a suffi d’interrompre la lecture du document de temps en temps. Ils ont alors demandé aux élèves d’échanger par deux à propos de ce qu’ils avaient compris jusque-là. Leur compréhension s’en est trouvée améliorée. 



Conclusion


Si un élève ne pense pas et ne traite pas en profondeur les informations pertinentes, l’apprentissage ne suivra pas.

Si l’élaboration est la clé de l’apprentissage des élèves, elle ne s’obtient toutefois pas sur un claquement de doigts. 

Elle repose sur la conception de supports d’enseignement informatifs qui vont l’optimiser. Elle repose également sur une mise en activité judicieuse des élèves qui va la mobiliser. À ce titre, les stratégies qui favorisent l’élaboration en cours de lecture d’un document sont précieuses.


Mis à jour le 21/03/2023


Bibliographie


André Tricot, L’innovation pédagogique, 2017, Retz

Loxterman, Jane A., et al. “The Effects of Thinking Aloud during Reading on Students” Comprehension of More or Less Coherent Text.’ Reading Research Quarterly, vol. 29, No. 4, 1994, pp. 353–367

McKeown, M. G. & Beck, I.L. Making sense of accounts of history, in Teaching and Learning in History by Ola Hallden, 1994

Filip Dochy, Mien Segers, Piet Van den Bossche, David Gijbels, Effects of problem-based learning: a meta-analysis, Learning and Instruction, Volume 13, Issue 5, 2003

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