L’idée d’un renforcement du professionnalisme chez les enseignants est un vœu souhaitable tout en étant un point essentiel dans la perspective d’une revalorisation souhaitable de la fonction.
C’est l’idée de poser des choix responsables sur des pratiques éducatives en tenant compte de l’éclairage de par la recherche. Nous visons par là l’efficacité des pratiques et leur pouvoir d’amélioration sur la qualité de l’expérience éducative des élèves dans une perspective qui vise l’équité et l’inclusion.
Les spécificités du métier d’enseignant
- Le métier suppose une capacité de maîtrise de l’objet transformé.
- La profession sous-entend plutôt le fait de maîtriser une panoplie de pratiques et de les utiliser.
- Dès lors, plutôt qu'un métier, l'enseignement est une profession qui traite avec l'humain, une dimension où l'on n'est jamais maître du résultat, puisque c’est la élèves eux-mêmes qui apprennent et se développent.
- Entre différentes alternatives, il va opter pour ce qu’il considérera comme le meilleur traitement, à un moment donné entre diverses possibilités. Il se fonde sur diverses observations et symptômes, et sur une base de connaissances scientifiques.
- Si l’approche A ne fonctionne pas, en tant que professionnel, il connaîtra toujours des options B, C et même souvent D. Le traitement en lui-même respectera un protocole strict que le médecin prescrit.
La différence pour l’enseignant est que celui-ci ne propose pas un traitement, mais une pratique éducative :
- Il va l’appliquer avec plus ou moins de fidélité, en raison de la complexité, toujours en partie insaisissable de son contexte.
- De plus, l’enseignant ne s’adresse pas à un patient, mais à une classe complète d’élèves et sa capacité à individualiser et à personnaliser les pratiques et les contenus est limitée.
La difficulté dans la profession d'enseignant se trouve également dans le fait qu'il n'y a pas de base de connaissances scientifiques en éducation qui fassent consensus et soient partagées par tous.
Par exemple, la réflexion sur la pratique d'enseignement en lien avec les divers processus cognitifs de l’apprentissage ne semble que rarement être la motivation initiale pour être enseignant. Un enseignant choisit cette carrière plutôt pour les dimensions sociales et de transmission de connaissances de la fonction, de même que pour l’épanouissement et l’émancipation des enfants. Celles-ci ont lieu par le biais d’échanges concrets, d’humains à humains, en situation de classe.
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L’enseignant en début de carrière est un novice
Par essence, un enseignant est au départ, en début de carrière, toujours un amateur ou un novice. Il peut tendre par la suite vers plus ou moins de professionnalisme à travers tout un cheminement de réflexion et d’apprentissage. Ce trajet est renforcé grâce à une formation initiale puis continuée, nécessairement appuyée d’une pratique délibérée en classe et idéalement dans le cadre d’un travail collaboratif régulier avec ses collègues.
Si l’enseignant débutant est un amateur ou un novice, s’il est doté d’une liberté pédagogique, l’amateurisme pur, l’improvisation lui sont pour une part refusés. L’enseignant débutant est un amateur averti ou un novice titulaire d’une formation initiale, qui prend des responsabilités et a des comptes à rendre. Il existe dans un contexte, avec des missions et une culture d’établissement qu’il est appelé à adopter.
Le glissement vers le professionnalisme lié à la question d’une éducation éclairée par des données probantes
Nous pouvons réfléchir au niveau de la vocation, du choix de métier, des débuts en tant que novice dans un contexte et des priorités au niveau de la formation initiale. L’enjeu pour un nouvel enseignant est avant tout de répondre aux exigences d’une fonction. La notion de professionnalisme n’arrive que dans un second temps en parallèle. Elle a pour enjeu de dépasser la posture de l’artisanat où l’enseignant développerait ses compétences par essais et erreur en fonction des spécificités pures du terrain sur lequel il évolue.
Si la notion d’une éducation fondée sur des données probantes n’a pas été développée dans le cadre de la formation initiale, sa perception sera difficile dans le cadre de la formation continuée fort découpée. Au-delà, c’est un fait que pour la majorité des enseignants, la justification, l’intérêt ou l’attrait pour une éducation fondée sur des données probantes ne seront jamais la traduction d’un amour pour la démarche scientifique. Il y a toujours un grand écart entre ce qui se vit sur le terrain d’un côté et l’abstraction théorique ou la rigueur statistique de l’autre. Les enseignants n’ont pas suivi de formation à la recherche dans la plupart des cas et n’ont que des connaissances parcellaires de ces processus.
L’importance accordée à une éducation fondée sur des données probantes ne peut venir que de la prise de conscience de son impact concret et tacite, sur l’apprentissage des élèves lorsqu’elle est correctement investie par les enseignants. Elle doit se traduire dans la mise en œuvre délibérée d’expériences concrètes en classe.
Si l’enseignant passe d’amateur à artisan et qu’ensuite il développe son professionnalisme, il est également animé par un souci de ses élèves. Lorsqu’il remarque un élève ou plusieurs de ses élèves qui ne semblent pas progresser et apprendre correctement avec la pratique qu’il leur propose, il peut être enclin à essayer également de trouver d’autres approches. C’est là que le glissement entre amateurisme et artisanat s’opère vers le professionnalisme, si le cadre le permet et le favorise.
La complexité du pilotage du changement à l’échelle d’un enseignant
Comme l’a dit Dylan William, tout marche quelque part et rien ne marche partout. L’association entre le fait d’enseigner et d’apprendre est toujours incertaine et demande des évaluations et des ajustements en continu, pour s’approcher d’une meilleure adéquation. Les incertitudes que cela crée et les limites de notre expertise font que nous sommes toujours malgré tout à la fois amateurs, artisans et professionnels dans nos classes.
L’attrait d’une éducation fondée sur des données probantes vient pourtant du fait que certaines approches :
- Fonctionnent régulièrement mieux que d’autres
- Où fonctionnent généralement mieux dans certaines conditions.
L’enseignant gagne à analyser dans son contexte, les grands principes de l’enseignement efficace et les paramètres des modèles théoriques probants sur lesquels ses pratiques peuvent se fonder. De cette manière, l’enseignant devient plus capable de piloter son enseignement.
Nous n’avons pas à voyager dans le brouillard complet, dans la réinvention permanente, dans la posture idéologique ou dans l’innovation tâtonnante. Nous pouvons au contraire avoir un parcours éclairé, nous informer et nous former. Nous pouvons privilégier et sélectionner les approches les plus susceptibles de fonctionner et les plus adaptées à nos élèves dans notre contexte.
L’expertise des enseignants c’est finalement déterminer quelle décision est bonne à prendre à quel moment, quelle est la meilleure piste à suivre. C’est pouvoir justifier de la pertinence de nos choix pédagogiques. C’est conserver un esprit critique. C’est s’inscrire dans une démarche d’apprentissage professionnel, dans une pratique délibérée, qui nous permet de développer nos compétences. Tout ce processus se passe également à travers nos interactions, avec nos élèves et avec nos collègues. Cela peut nous transformer en de meilleurs enseignants. Tout ce processus fonctionne mieux également s’il se passe à échelle d’une équipe ou d’un établissement scolaire.
Mis en page le 04/01/2023
Bibliographie
Pedro De Bruyckere, Klaskit, 2017, Lannoo
Jacques Marpeau & Daniel Gostain, 2023, Un mot, un enjeu : « Profession » et « métier », https://www.cafepedagogique.net/2023/03/09/un-mot-un-enjeu-profession-et-metier
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