lundi 24 août 2020

La complexité du pilotage de l'amélioration

Le pilotage de l’amélioration recouvre toutes les démarches dans lesquelles les établissements scolaires s’investissent pour résoudre des difficultés, innover ou mettre en œuvre de nouvelles interventions et pratiques.

(Photographie : Howardƒ)




L’absence de recette miracle, mais l’existence de démarches dans le pilotage de l’amélioration


Il importe peu que des enseignants ou des institutions scolaires le souhaitent ou l’espèrent. Il n’existe pas de recette ou de solution miracle qui va fonctionner parfaitement partout et en toutes circonstances dans le cadre de l’éducation.

Il n’y a pas de façon d’enseigner, d’approche pédagogique, qui fonctionne mieux que tout autre dans n’importe quel contexte, pour n’importe quelle matière ou quel contenu, et avec n’importe quels élèves. Tout ne fonctionne pas toujours, pour tout le monde, pour chaque objectif, dans chaque contexte.

Toutefois, tout n’est pas sans espoir. Si presque toutes les approches éducatives ont un effet positif sur l’apprentissage, la recherche en éducation peut cependant se révéler très utile. Elle est capable de prouver et mettre en évidence d’établir des données probantes sur l’efficacité relative de certaines approches par rapport à d’autres. Certaines approches pédagogiques, dans certains contextes, avec certains types des contenus et face à certains types d’élèves, sont susceptibles d’avoir un effet plus grand sur l’apprentissage et la réussite des élèves.

La qualité de l’enseignement peut et doit être améliorée. Notre pratique professionnelle doit être éclairée par des preuves, par un examen rationnel de ce qui se passe dans les interactions complexes entre enseignants et élèves qui se déroulent en classe.

L’idée d’une éducation informée par la recherche est que sans elle les décisions n’ont plus comme supports que l’intuition, les hypothèses, les anecdotes ou l’idéologie.



La question ambigüe de l’innovation


Comment l’expriment Gauthier et ses collègues (2013), le terme innovation est connoté positivement dans nos sociétés contemporaines. Dans le contexte technologique, l’innovation est automatiquement liée à l’idée de progrès. Chaque génération d’appareils technologiques surpasse et déclasse la précédente en matière de performances.

Le sens de cette connotation positive tend à s’immiscer dans le domaine de l’éducation. Cependant, dans ce cadre, innovation ne signifie jamais automatiquement « nouveau » ou « amélioration ».

Sur le marché de l’éducation, de nombreuses innovations sont promues sans apporter de preuve de leur valeur ajoutée. Souvent, il n’y a pas d’inquiétude sur leurs effets mitigés, inexistants, voire négatifs, ni d’évaluation sur le rapport coût/bénéfice. 

Pourtant, il serait nécessaire de vérifier si une évaluation rigoureuse a été effectuée avant d’implanter une innovation et de la diffuser dans les écoles. C’est rarement le cas.

Sans l’établissement de l’efficacité et du bien-fondé des innovations proposées. Nous risquons souvent d’adopter des stratégies qui se révèleront contre-productives
.
Comme l’écrivent Pedro de Bruyckere et ses collègues (2015) si l’on introduit une innovation, il est souvent possible d’obtenir un premier succès, mais il risque d’être peu durable pour trois raisons :
  1. Il y a une grande différence entre un projet d’innovation et sa mise en œuvre au sein d’un établissement scolaire. Un projet d’innovation est souvent mené par un chercheur apte à fournir un soutien, des ressources et des conseils supplémentaires aux enseignants bénévoles et motivés. Une mise en œuvre ne bénéficie généralement pas de ces avantages ce qui fait que le résultat de la recherche ne se généralise pas automatiquement. 
  2. Une grande partie des recherches qui confirment qu’une innovation fonctionne sont souvent d’une qualité scientifique médiocre. Les objectifs sont biaisés, non explicites ou peu vérifiables. Si ce sont des enseignants bénévoles et motivés qui participent, ils ne sont pas représentatifs de l’enseignant moyen. Par conséquent, l’enseignant moyen n’aura pas la même mentalité ni le même résultat. Ils n’ont pas de véritables groupes de contrôle avec lesquels comparer l’intervention. Savoir que quelque chose a pu fonctionner n’est pas la même chose que de savoir que l’intervention est une innovation qui rend l’apprentissage plus efficace, plus efficient ou plus agréable.
  3. La troisième raison est l’effet Hawthorne. Il décrit la situation dans laquelle les résultats d’une expérience ne sont pas uniquement dus aux facteurs expérimentaux. Ils dépendent également du fait que les participants ont conscience de participer à une expérience dans laquelle ils sont évalués, ce qui se traduit généralement par une plus grande motivation et de l’enthousiasme. Cela se traduit par un effet positif temporaire qui retombe une fois que l’éclat de la nouveauté se ternit.



Ne pas confondre le pilotage de l’amélioration et l’innovation


Les systèmes éducatifs sont tenus à s’adapter à l’évolution de la société et de ses besoins. 

Il y a face à cette injonction deux pistes en réalité complémentaires et qui se superposent en grande partie : l’amélioration et l’innovation. 

L’amélioration ne peut advenir si l’enseignant n’apporte pas quelque chose de neuf à sa pratique et à ses habitudes. En ce sens, l’amélioration n’est possible que dans une démarche d’innovation pour l’enseignant, innovation par rapport à ses pratiques antérieures.

La notion de l’amélioration ajoute une condition. En ce sens, une innovation n’est bonne que si elle se traduit par une augmentation de l’apprentissage des élèves, de son efficacité.    

L’innovation pédagogique a dès lors lieu en classe. Elle intervient dans les pratiques mises en œuvre par les enseignants et dans les stratégies auxquelles sont formés les élèves. Pratiques et stratégies interviennent à différents niveaux, comme celui de l’organisation du temps, de l’espace, des échanges, des relations et des supports.

Toutefois, l’innovation pédagogique ne peut s’extraire des contraintes spatiales, relationnelles, cognitives et temporelles liées à l’apprentissage en milieu scolaire. 

L’innovation est la recherche constante d’améliorations de l’existant. Innover consiste à introduire quelque chose de nouveau pour remplacer quelque chose d’ancien dans un domaine quelconque. L’innovation pédagogique est hétérogène et connait deux faiblesses.

Elle possède une courte mémoire et se soucie généralement assez peu de la question de l’efficacité. Ainsi comme le dit André Tricot, certaines prétendues innovations existent depuis des décennies, parfois des siècles. L’innovation pédagogique a la capacité de faire passer des idées anciennes pour nouvelles. 

Parmi ces idées faussement nouvelles, il y a par exemple celles-ci : 
  • Faire manipuler permet de mieux faire apprendre
  • Les élèves apprennent mieux quand ils découvrent par eux-mêmes
  • S’appuyer sur l’intérêt des élèves améliore leur motivation et leur apprentissage

Dans cette posture, l’innovation s’oppose aux résistances auxquelles elle fait face et qu’elle identifie à de la pédagogie traditionnelle et passéiste. 

Au sujet de la question de l’efficacité dont elle se défausse régulièrement, l’innovation pédagogique tend à se compléter par des injonctions pédagogiques qui se défient régulièrement de la notion même de données probantes. 

Par exemple :
  • Les enseignants doivent inverser leur classe. 
  • Le numérique permet d’innover en pédagogie
  • Il faut enseigner par compétences.
  • Il faut miser sur les compétences du XXIe siècle.

Paradoxalement, dans cette perspective, l’innovation s’oppose à éducation éclairée par la recherche et au concept même de l’amélioration dans sa forme rigoureuse. 

L’innovation pédagogique est un vecteur de choix pour une sensibilité issue de l’Éducation nouvelle. Elle s’interroge souvent sur comment apprendre naturellement et sans contraintes pour l’élève, ce qui dans la perspective d’une éducation éclairée par des données probantes constitue une impasse. 

Ce faisant, elle perd sa finalité qui est l’amélioration de l’existant qui ne peut se faire qu’à travers l’évaluation de l’efficacité des changements proposés. L’innovation pédagogique implique de trouver des solutions aux problèmes de l’école.

Innover demande alors de la rigueur, demande de faire devoir de mémoire et de s’éclairer de données probantes :
  • Est-ce qu’une innovation proposée l’est vraiment ? N’est-elle pas un recyclage d’idées anciennes abandonnées ?
  • Est-ce qu’une innovation proposée permet aux enseignants de mieux enseigner et aux élèves de mieux apprendre ?

Dans cette perspective d’efficacité, l’innovation pédagogique demande à être accompagnée d’une formation continuée de qualité des enseignants pour améliorer sa mise en œuvre sur le terrain. 



Trois points essentiels de la réflexion sur l’efficacité des enseignants


Dans l’introduction de son libre « Embedded Formative Assessment » (2018), Dylan Wiliam pointe trois points cruciaux que doit prendre en compte tout processus visant l’amélioration de l’efficacité scolaire :
  • La qualité des enseignants est le facteur unique le plus important dans le système éducatif.
  • La qualité des enseignants est hautement variable.
  • La qualité des enseignants a un plus grand impact sur certains élèves plutôt que sur d’autres.
La recherche suggère qu’un bon enseignement exige une théorie sur ce qu’est l’apprentissage et comment il se produit.

La conclusion est que pour améliorer les résultats scolaires, il est nécessaire d’aider les enseignants en fonction à s’améliorer.



Les étapes d’un processus de gestion de l’amélioration





« Failing to plan is planning to fail » 
Allan Lakein


“Give me six hours to chop down a tree, and I will spend the first four sharpening the ax.” 
Abraham Lincoln


“If you don’t know where you’re going, you’ll probably end up someplace else.” 
Laurence Peter



La mise en œuvre d’une amélioration peut être décrite comme une série d’étapes liées à la réflexion, à la préparation, à la mise en œuvre et au maintien du changement (EEF, 2019).


1) Collecte de données :
  • Elle a pour but d’identifier l’état actuel en recueillant des données pertinentes : données chiffrées ou enquêtes.
  • Nous voulons déterminer de manière objective là où nous en sommes actuellement sur différents aspects.

2) Analyse de la situation et établissement des priorités :
  • Nous analysons la situation dans différents domaines susceptibles de se prêter au changement.
  • Nous analysons les données récoltées afin de situer les écarts entre notre situation actuelle et celle que nous souhaitons atteindre.
  • L’analyse peut amener à la conclusion que des données plus spécifiques, plus ciblées ou différentes peuvent être utiles à récolter. 

3) Identification des objectifs et des interventions :
  • Nous identifions une priorité clé qui se prête au changement.
  • Nous définissons des objectifs de résultats de manière à ce qu’ils soient SMART : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels
  • Nous explorons systématiquement les interventions (stratégies, programmes ou pratiques) potentiellement à mettre en œuvre.
  • Nous examinons leur adéquation et leur faisabilité avec le contexte scolaire.
  • Nous vérifions qu’elles soient fondées sur des données probantes et susceptibles de nous permettre d’atteindre nos objectifs de la manière la plus efficace possible.

4) Sélection d’une ou plusieurs interventions : 
  • La décision de l’adoption est prise : la préparation de la mise en œuvre a lieu.
    • Les stratégies sélectionnées doivent être écrites dans un plan d’action clair, logique et bien spécifié avec des objectifs alignés, des étapes, des ressources, un calendrier et des plans de communication
    • Nous évaluons l’état de préparation de l’école à la mise en œuvre du plan d’exécution.
    • Nous envisageons la préparation pratique : par exemple, formation du personnel, développement de l’infrastructure.

    5) Déterminer les indicateurs de résultats
    • Nous choisissons des indicateurs qui permettent de répondre aux questions suivantes :
      • Sommes-nous en train de mettre en œuvre le plan avec fidélité ?
      • La mise en œuvre a-t-elle l’impact souhaité sur les résultats des élèves ?

    6) Mise en œuvre et évaluation : 
    • Nous soutenons le personnel et résolvons les problèmes en utilisant une approche de leadership flexible.
    • Nous renforçons la formation initiale par un soutien de suivi au sein de l’école.
    • Nous utiliser les données de mise en œuvre pour favoriser une adoption fidèle et une adaptation intelligente.
    • Nous vérifions si nous atteignons nos objectifs ou si nous faisons des progrès suffisants pour les atteindre.

    7) Pérennisation, maintien et la stabilisation : 
    • Nous planifions le maintien et l’élargissement de l’intervention dès le début.
    • Nous reconnaissons continuellement les besoins de soutien et nous renfonçons les bonnes pratiques de mise en œuvre.
    • En cas de réussite d’un projet pilote, nous traitons l’éventuelle mise à l’échelle comme un nouveau processus de mise en œuvre.


    Mis à jour le 17/11/2022

    Bibliographie


    André Tricot, L’innovation pédagogique, 2017, Retz

    De Bruyckere Pedro, Kirschner Paul A., Hulshof Capser D., « Urban myths », Academic Press, 2015

    Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard, Enseignement explicite et réussite des élèves, 2013, De Boeck

    Dylan Wiliam, Embedding Formative Assessment, 2015, Learning Sciences International

    Education Endowment Foundation, Putting Evidence to Work — A School’s Guide to Implementation, https://d2tic4wvo1iusb.cloudfront.net/guidance-reports/a-schools-guide-to-implementation/EEF_Implementation_Guidance_Report_2019.pdf, 2019 

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