mercredi 10 juin 2020

Une correction en quatre parts des évaluations formatives

Les plus grandes améliorations dans l’apprentissage des élèves se produisent lorsque les enseignants utilisent l’évaluation formative minute par minute et jour par jour dans le cadre de l’enseignement régulier. Elle ne doit pas être déconnectée du processus d’enseignement ou n’apparaitre que dans sa dernière phase.

(Photographie : Guillem Vidal)


Dans ce cadre, elle recouvre la vérification de la compréhension et tout ce qui a trait à la pratique de récupération, les devoirs et autres travaux à domicile. Elle concerne également les tâches et évaluations formatives ou sommatives intermédiaires.




Le risque d’une dilapidation du temps


Le risque est que lorsque l’enseignant s’investit pleinement dans l’évaluation formative pour favoriser l’apprentissage de ses élèves, il se retrouve à passer un temps parfois excessif à corriger des copies d’élèves et à y adjoindre des commentaires personnalisés.

Le danger est que cette dépense de temps est coûteuse pour l’enseignant. Elle peut se faire au détriment de la préparation d’autres activités pédagogiques. Elle peut se révéler souvent peu rentable pour l’apprentissage et les résultats ultérieurs des élèves si elle ne même pas à une rétroaction et à des actions concrètes.

Nous pouvons postuler que l’enseignant peut perdre son temps lorsqu’il corrige les erreurs et explicite les lacunes d’une production l’élève. C’est particulièrement le cas si l’élève ne doit pas la retravailler, ne va pas s’engager dans un travail supplémentaire ou ne va plus être interrogé à nouveau sur les mêmes contenus.

Le grand risque est que la rétroaction délivrée à propos de productions passées risque de n’avoir aucun effet sur les résultats ultérieurs des élèves. La condition est qu’ils s’en servent de manière délibérée pour orienter leurs stratégies d’apprentissage. 

Mettre en évidence les lacunes ou les erreurs chez un élève est inutile si cela ne l’amène pas à retravailler sur les causes qui en sont la source. L’enseignant attire l’attention de l’élève sur les conséquences pour qu’il les répare. Mais s’il ne s’adresse pas aux causes exactes, les conséquences se reproduiront de manière très vraisemblable à l’avenir.

L’enseignant doit plutôt orienter vers l’apprentissage que l’élève va devoir réaliser pour s’améliorer lui-même. Comme l’a dit Douglas Reeves, la différence entre une bonne rétroaction et une rétroaction inutile, « c’est comme la différence entre un examen médical et un examen post-mortem ». Le second ne change rien au futur de l’individu concerné.

Une autre image frappante est l’idée que l’enseignant et l’élève doivent tous deux regarder de l’avant à travers le pare-brise. Ils ne doivent pas regarder dans le rétroviseur, comme c’est malheureusement trop souvent le cas avec une correction détaillée rédigée avec application par l’enseignant et ignorée négligemment par l’élève.




Une correction en quatre parts


Bien que le retour d’information soit potentiellement l’un des moteurs les plus efficaces de l’apprentissage, mal géré, il peut être inutile et même contre-productif.

Une première piste à investiguer est celle de la rétroaction à l’ensemble de la classe. 

Voir articles :

Cet article en explore une seconde, la correction en quatre parts. 

Dylan Wiliam (2017) propose cette alternative à la correction systématique de toutes les productions formatives auxquelles un enseignant soumet ses élèves.

Il suggère qu’à l’échelle d’un enseignant, d’une équipe pédagogique ou même d’un établissement, soit adoptée une norme culturelle de correction en quatre parts. Il recommande d’en avertir les parents, les élèves et les autres enseignants.

Cette approche se conjugue à l’établissement d’attentes élevées et s’appuie sur le modèle de l’évaluation formative.

L’ensemble des tâches formatives auxquelles sont soumises les élèves et qui étaient à l’origine corrigées de manière détaillée par un enseignant sont maintenant réparties en quatre parts distinctes.





Le quart de corrections complètes 


Un quart des productions faites par les élèves, que ce soit des travaux à domicile, ou des tâches ou évaluations formatives faites de manière autonome en classe, fait l’objet d’une correction complète.

Elles font également l’objet d’une rétroaction détaillée pilotée par l’enseignant.



Le quart d’auto-évaluation


Un quart des productions formatives seront corrigées par l’élève lui-même avec l’aide d’un correctif de référence, d’une grille ou d’un modèle de résolution.

Les enseignants contrôlent que le travail initial est réalisé puis vérifient brièvement la qualité de cette auto-évaluation.

L’idée est qu’il est plus judicieux que l’élève soit amené à détecter, repérer, comprendre et corriger ses erreurs lui-même. L’apprentissage sera plus élevé que s’il effectue la lecture de sa copie corrigée par un enseignant.



Le quart d’évaluation par les pairs


Un quart des productions d’élèves sont vérifiées en collaboration avec leurs pairs. Des modèles ou un corrigé sont éventuellement disponibles pour aider les élèves, si nécessaires. Les élèves peuvent également mettre en commun leurs productions pour se corriger entre eux et arriver à une production commune de plus haute qualité.

L’idée est que les élèves comparent la qualité de leurs solutions et se les expliquent mutuellement afin de résoudre les difficultés rencontrées par certains.

Un élève ne va pas corriger une copie d’un autre élève. Chaque élève est activé comme ressource pour l’amélioration de l’apprentissage des autres membres de son groupe.

L’enseignant effectue un contrôle de la qualité de cette évaluation par les pairs. Il s’assure que chaque élève a reçu une explication claire sur les difficultés qu’il a pu rencontrer.



Le quart non corrigé 


Un quart des productions de l’élève peut ne pas être corrigé du tout par l’enseignant.

Néanmoins, des modèles et des corrigés peuvent être mis à disposition des élèves et celui-ci peut s’assurer que la production a été effectivement réalisée.

L’enjeu est ici d’activer les élèves comme détenteurs de leurs propres apprentissages, de favoriser leur sens de l’autonomie, leur prise de responsabilité et leur capacité d’autorégulation.

Les élèves reçoivent les réponses et notent leur propre travail et ne le disent même pas à l’enseignant, sauf s’il le demande. La meilleure personne pour corriger un test est celle qui vient de le passer. C’est le principe des quiz d’entrée de cinq minutes en début de cours où l’enseignant pose quelques questions sur la matière en cours et les matières passées. L’enseignant donne par la suite la bonne réponse à l’ensemble de la classe et chaque élève est libre de corriger sa copie personnelle.




Objectif d’ensemble de l'approche des quatre quarts


L’objectif d’ensemble de l’approche des quatre parts est de trouver un régime équilibré entre les différents types de correction et d’évaluation. Elle n’est pas à appliquer brutalement, mais doit accompagner un processus de réflexion profonde sur la pratique de l’évaluation formative et sa planification.

L’enseignant ne cherche pas à en faire moins. Il cherche surtout à ce que ses élèves s’engagent plus et prennent progressivement la responsabilité de la qualité de leurs productions. Il leur apprend à développer des stratégies d’autorégulation.

En agissant de cette manière, l’enseignant peut faire profiter tous ses élèves des avantages de l’évaluation formative sans se surcharger lui-même d’un surplus de travail inutile. Ses élèves sont amenés à devenir des apprenants indépendants sans jamais être abandonnés à eux-mêmes. 

En agissant de cette manière, l’enseignant contribue à exprimer des attentes élevées envers ses élèves. Il leur transfère peu à peu la responsabilité de l’apprentissage, en favorisant leur prise d’autonomie, leur interdépendance et leur collaboration.

Ce faisant, l’enseignant peut privilégier la qualité et la pertinence de la correction et de la rétroaction à sa quantité. Il pilote de cette manière la qualité et la quantité de travail des élèves dans le but d’améliorer leurs apprentissages.

L’approche des quatre parts marque la conviction qu’il y a de meilleures utilisations scolaires, bien plus profitables aux élèves, du temps de l’enseignant que celle d’une correction systématique de tout ce que produisent les élèves. 

Il part du postulat que lorsqu’un enseignant corrige tout et fournir une rétroaction systématique, cela conduit à un enseignement de moindre qualité. Cette situation se traduirait en un apprentissage inférieur, à une situation où les élèves manquent d’autonomie. Elle aboutit à un moindre niveau de réussite général.



Responsabiliser les élèves face à leurs erreurs durant l’apprentissage


Lors de l’apprentissage d’une matière donnée, les élèves doivent acquérir la responsabilité de leurs propres apprentissages et apprendre à s’autoréguler. 

Il est important que les élèves apprennent progressivement à éviter les erreurs typiques. Ils doivent repérer quand ils se trompent et se corriger, pour à terme ne plus faire ces erreurs.

Dans une première phase, l’enseignant doit repérer ces erreurs pour eux. Il doit déterminer s’il s’agit d’un manque de vigilance ou d’attention de leur part, ou d’un manque de compréhension.

S’il s’agit d’un manque ou d’une erreur de compréhension, l’élève va bénéficier d’une correction détaillée et d’un nouvel enseignement de la part de l’enseignant pour améliorer son apprentissage. Il s’agit alors de donner des tâches d’apprentissage supplémentaires pour offrir à l’élève suffisamment de pratique.

Cependant, si l’élève a compris ce qu’on attend de lui, mais commet l’erreur par distraction ou par manque de vigilance, corriger pour lui ses erreurs cesse d’être judicieux. Il doit apprendre à les éviter et à les repérer. 

Simplement donner la bonne réponse et attirer l’attention sur le point non maîtrisé permet à l’élève de se complaire dans une attitude passive impropre à l’apprentissage. À terme, l’enseignant peut se sentir impuissant, tout son travail aboutit à une impasse.
 
À partir du moment où l’élève répète la même erreur, dans la même production ou dans des productions successives, alors qu’il semble avoir compris ce qu’on attend de lui, il y a lieu de s’interroger. Il y a un déficit de mobilisation des connaissances à bon escient. Si l’enseignant passe son temps à signaler ces différentes occurrences de l’erreur à un élève en lui fournissant une correction détaillée, il dispense l’élève du même effort. 

Cela ne va pas lui permettre à l’élève de ne pas refaire l’erreur par la suite. Une autre manière d’agir s’impose.

Dès que l’erreur se répète et qu’elle ne peut être attribuée à de l’inattention, il y a d’autres priorités que de la corriger immédiatement. L’élève doit apprendre à mieux mobiliser cette connaissance.

À ce stade, plutôt qu’une correction des erreurs de ses élèves, l’enseignant doit privilégier la pose d’un diagnostic et d’une solution qui se traduira par des actions délibérées de la part de l’élève.

L’enseignant peut :
  • Dans un premier temps, demander à l’élève de corriger ses propres erreurs :
    • Souligner l’erreur de l’élève, mais sans la corriger en lui demandant de le faire.
    • Signaler à l’élève l’existence de l’erreur et son nombre d’occurrences et lui demander de les repérer.
    • Mettre à disposition un correctif et demander à l’élève de se corriger.
  • Dans un second temps, donner une tâche équivalente à l’élève qui lui demande de mobiliser la connaissance à bon escient.
En agissant de la sorte, nous apprenons à l’élève à déterminer quand il est pertinent de mobiliser cette connaissance. Nous améliorons ses capacités de discrimination. Parallèlement, nous le responsabilisons quant à la nécessité d’être responsable de son apprentissage.

Dans tous les cas de figure, la démarche vise à améliorer l’apprentissage. Dès lors, il sera nécessaire d’offrir ultérieurement d’autres opportunités à l’élève de récupérer et de mobiliser cette connaissance à bon escient, de manière à la rendre durable.



Favoriser un apprentissage effectif grâce à la rétroaction


En toute logique, l’enseignant a, face à ses élèves une posture d’expert liée à :
  • La connaissance de la matière qu’il enseigne
  • L’enseignement de celle-ci
  • Son apprentissage. 
L’expertise de l’enseignant va s’exprimer dans la manière où il va engager activement ses élèves dans un traitement cognitif pour les faire avancer et leur permettre d’apprendre efficacement.

Si nous abordons le sujet d’une rétroaction formative, dans cette perspective d’expertise, des commentaires vagues ou une simple correction détaillée d’un travail d’élève risquent de n’avoir que peu d’impact. 

L’élève a besoin que son enseignant lui communique précisément ou qu’il lui permette d’analyser :
  • Les objectifs d’apprentissage actuellement maîtrisés
  • Les objectifs d’apprentissage actuellement non maîtrisés :
    • Les contenus encore à apprendre
    • Les actions (tâches) à réaliser pour développer les compétences spécifiques manquantes.
Il est difficile pour un élève de s’approcher de l’excellence s’il ne sait pas à quoi elle ressemble ni comment exactement il peut s’en approcher. Quand un élève n’a pas acquis une compétence, il peut ne pas exactement déterminer quelles actions précises lui permettront de la développer avec succès. L’enseignant lui le sait et possède par conséquent la responsabilité de l’en informer. Au plus l’élève rencontre des difficultés, au plus il aura besoin de soutien et d’une rétroaction explicite lui dise quoi faire.

L’enjeu pour l’enseignant est d’exprimer des attentes élevées envers ses élèves et de développer une culture de l’apprentissage pour les y faire adhérer. 

Cela consiste, lorsque nous avons diagnostiqué un type d’erreur spécifique ou une lacune évidente chez eux, à leur donner l’occasion de s’engager dans des tâches qui permettront de combler l’écart. De cette manière, ils peuvent réellement améliorer leur apprentissage de manière ciblée et efficace.

Dans la mesure où l’élève n’est pas capable de se réguler, il est utile d’introduire la rétroaction dans un cadre. Ce cadre assure que l’élève s’engage naturellement dans son traitement et ne peut pas en passer à côté. Nous devons soutenir le développement de bonnes habitudes liées à la prise en compte de la rétroaction par les élèves. Une fois que ces bonnes habitudes sont présentes, les élèves auront de bons réflexes liés à la prise en compte de la rétroaction.

Si les grilles critériées sont des outils utiles, elles doivent être construites en rapport avec les objectifs d’apprentissage dans la perspective d’un alignement curriculaire. Dans ce cas, le lien avec les tâches d’apprentissage correspondantes est facilité. Les grilles critériées doivent être des outils concrets et spécifiques et ne pas être basées sur des compétences abstraites ou générales. 

Dans la même logique, il est plus profitable pour les élèves, d’accéder à des tâches supplémentaires avec éventuellement des corrigés. En voyant des exemples concrets de réussite (ou des problèmes résolus) et en s’engageant dans des tâches ciblées, les élèves pourront mieux visualiser leurs objectifs d’apprentissage personnels et le travail qu’il leur reste à faire.

Dylan Wiliam propose également une règle générale pour aider les enseignants à se faire une idée de leur gestion du temps. Selon lui, les enseignants devraient toujours consacrer deux fois plus de temps à la planification de l’enseignement qu’à la correction de productions de leurs élèves.


Mise à jour le 07/09/2022

Bibliographie


Dylan Wiliam, in Carl Hendrick and Robin MacPherson, What does this look like in the classroom, John Catt, 2017

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