Un support de cours ou une application multimédia bien conçus peuvent avoir un impact significatif sur l’apprentissage des élèves. À l’opposé, certaines approches de l’utilisation du multimédia peuvent nuire à l’apprentissage.
(Photographie : Glenn Nielson)
Rien n’est noir ou blanc avec le numérique. Ce qui importe est de le considérer comme un outil intégré à une pratique et d’évaluer en situation celle-ci. Si son efficacité est confirmée, il s’agit alors d’évaluer l’étendue de son champ d’application, analyser l’apport du numérique et en fonction de cela étudier et accompagner son déploiement. Malheureusement dans le secteur éducatif, il ne semble pas que ce soit la voie privilégiée.
Première partie d’une exploration et de digressions autour du très instructif rapport de Benoit Galand et nécessaire work-in-progress sur la question du titre en fonction d’autres lectures à venir.
Deux positions polarisées s’affrontent sur le numérique
Comme beaucoup de sujets en éducation, les usages du numérique ne font pas consensus. Il existe d’un côté un discours puissant et dominant, en faveur d’un usage accru du numérique en éducation. Il est porté par les défenseurs d’innovations et sur la constatation que l’école a un retard numérique face aux besoins de la société. Leurs développements vont en tous sens et en sont partie prenante toute une série de nouveaux métiers : spécialistes de l’e-learning, technopédagogues, digital learning designers, etc.
À son opposé, nous trouvons un discours contestataire affirmant que l’usage des outils numériques serait loin d’être la panacée escomptée. Ce courant suggère plutôt des avancées à pas mesurés et prudents, agite parfois le spectre de conséquences graves pour le développement social et cognitif, ou témoigne d’une extrême méfiance.
À la croisée des chemins apparaissent des questions bien légitimes, telles qu’abordées par les enseignants, lorsqu’il s’agit d’envisager une expansion raisonnée des usages du numérique en éducation :
- Quelles compétences liées au numérique, représentent une priorité pour l’éducation, afin de répondre aux défis éducatifs d’aujourd’hui et de demain ?
- Quels usages du numérique peuvent rendre les pratiques enseignantes, l’évaluation et l’apprentissage des élèves plus efficaces ?
- Quels usages du numérique sont à proscrire, car inefficaces ou néfastes pour le développement cognitif ou social des élèves ?
- De quelle manière, le rôle de l’enseignant est-il transformé par le développement du numérique ? Si oui quelles sont les nouvelles compétences à développer dans le cadre d’un développement professionnel ?
- Comment déployer et développer le potentiel du numérique et comment accompagner les enseignants dans l’évolution de leurs pratiques ?
- Quel est le rapport coût/bénéfice économique et environnemental lié au déploiement de matériel informatique (ordinateurs portables, smartphones, tablettes, tableaux interactifs ou réalité virtuelle) ?
- Quels sont les impacts potentiels de la différenciation numérique selon les matières et âges des élèves ?
- À quels choix de société répondent les usages du numérique et leurs apprentissages dédiés ?
Des résultats contradictoires et un manque de rigueur dans la recherche sur les usages pédagogiques du numérique
Différentes études avancées par les opposants au numérique sur les usages spontanés et parfois excessifs par des élèves tendent à mettre en évidence des effets négatifs sur le développement cognitif, le bien-être et les résultats scolaires.
À l’opposé, d’autres études avancées par les partisans vantent les effets bénéfiques du numérique pour l’enseignement et l’apprentissage des élèves.
Il en résulte confusion, cacophonie ou un dialogue de sourds. Où se situer ? Qui dit vrai ?
Comme le rapporte Benoit Galand (2020), beaucoup d’études à propos des effets du numérique souffrent de problèmes méthodologiques. Ceux-ci en limitent fortement la validité.
Dans de nombreux cas, les chercheurs ne se sont pas assurés que le groupe d’apprenants ayant accès à l’outil numérique et le groupe contrôle n’y ayant pas accès (quand il existe), bénéficient :
- Du même temps d’apprentissage
- De consignes et de supports de qualité identique
- D’enseignants tout aussi motivés
- D’activité d’apprentissage de même nature.
La variable numérique n’est pas dans ce cas isolée. Ces études, qui observent des effets positifs de l’utilisation d’outils numériques sur l’acquisition de connaissances, perdent toute validité en matière d’interprétation et d’évaluation de leur efficacité.
Cependant, certaines méta-analyses ont écarté les études non valides et se sont concentrées sur des études ou ces différentes contraintes étaient respectées, leur assurant une validité. En voici trois, rapportées par Benoit Galand et une quatrième synthèse proposée par Robert Slavin.
Par rapport aux études écartées, ce qui est marquant est que directement, les résultats obtenus deviennent bien moins favorables.
Résultats de méta-analyses sur les usages pédagogiques du numérique
Une méta-analyse de 1995 par Fletcher-Flinn et Gravatt a montré que l’enseignement assisté par ordinateur n’avait aucun bénéfice comparé à l’enseignement traditionnel, lorsque les études :
- Étaient de longue durée
- Tenaient compte de la qualité des enseignants
- Assuraient une équivalence des supports fournis
Une méta-analyse de 2006, par Sitzmann, Kraiger et Stewart & Wisher, comparant l’enseignement en présentiel et l’enseignement en ligne indique que :
- Les démarches pédagogiques (interaction, entraînement, rétroaction, etc.) comptent bien plus que le format de cours.
- L’enseignement en ligne semblait 6 % plus efficace que l’enseignement en classe pour l’enseignement des connaissances déclaratives
- Les deux modes de prestation étaient tout aussi efficaces pour l’enseignement des connaissances procédurales.
- Les apprenants étaient tout aussi satisfaits de l’enseignement en ligne que de l’enseignement en classe.
Une méta-analyse de 2011 par Stizmann indique que pour les jeux de simulation sur ordinateur les résultats sont quelque peu plus positifs. Pour les apprenants ayant suivi des cours à l’aide de jeux de simulation, par rapport à un groupe contrôle :
- L’auto-efficacité post-formation était supérieure de 20 %
- Les connaissances déclaratives étaient supérieures de 11 %
- Les connaissances procédurales étaient supérieures de 14 %
- La rétention était supérieure de 9 %
Les apprenants ont appris davantage, lorsque :
- Les jeux de simulation transmettaient le matériel de cours de manière active plutôt que passive.
- Les apprenants pouvaient accéder au jeu de simulation autant de fois qu’ils le souhaitaient.
- Le jeu de simulation était un complément à d’autres méthodes d’enseignement plutôt qu’un enseignement autonome.
Les apprenants ont moins appris des jeux de simulation que des méthodes d’enseignement comparatif lorsque le groupe contrôle a reçu une instruction qui les a fait participer activement à l’expérience d’apprentissage.
Robert Slavin et ses collègues (2019) ont passé en revue différentes méta-analyses sur l’impact des méthodes imprégnées de technologie sur la lecture, les mathématiques et les sciences, dans les écoles primaires et secondaires.
Ils obtiennent en moyenne un d=0,05, ce qui est faible. En ce qui concerne les mois d’apprentissage supplémentaires, il obtient un mois pour le primaire et zéro pour le secondaire. Robert Slavin conclut que si la technologie peut être utile pour améliorer les résultats de l’apprentissage traditionnel, elle n’a pas encore eu un impact révolutionnaire sur l’apprentissage de la lecture ou des mathématiques.
Cependant, elle reste inféodée à l’approche pédagogique choisie et aux compétences des enseignants qui les utilisent. La technopédagogie reste avant tout de la pédagogie.
Par conséquent, il est impossible d’affirmer que les apports technologiques à l’enseignement et à l’apprentissage sont intrinsèquement positifs. Ils vont dépendre du contexte d’utilisation et de la plus-value qu’ils peuvent apporter en tant qu’élément intégré à une pédagogie. Il n’y a dès lors pas lieu de parler de révolution numérique ou de solution miracle en ce qui concerne l’éducation. Le numérique peut enrichir les pratiques pédagogiques. Il est peu probable qu’il puisse les révolutionner dans les conditions actuelles.
Mise à jour le 04/09/2022
Bibliographie
Benoit Galand, Le numérique va-t-il révolutionner l’éducation ? 2020, les cahiers du Girsef n° 120 https://ojs.uclouvain.be/index.php/cahiersgirsef/article/view/54253
Fletcher-Flinn, C. M., & Gravatt, B. (1995). The Efficacy of Computer Assisted Instruction (CAI): A Meta-Analysis. Journal of Educational Computing Research, 12(3), 219–241.
Sitzmann, T., Kraiger, K., Stewart, D., & Wisher, R. (2006). The comparative effectiveness of web-based and classroom instruction: A meta-analysis. Personnel Psychology, 59(3), 623–664.
Sitzmann, T. (2011). A meta-analytic examination of the instructional effectiveness of computer-based simulation games. Personnel psychology, 64(2), 489–528
Robert Slavin, A Powerful Hunger for Evidence-Proven Technology, 2019, https://robertslavinsblog.wordpress.com/2019/11/14/a-powerful-hunger-for-evidence-proven-technology/
Les méta-analyses dont Robert Slavin fait mention :
- Baye, A., Lake, C., Inns, A., & Slavin, R. (2019). Effective reading programs for secondary students. Reading Research Quarterly, 54 (2), 133-166.
- Inns, A., Lake, C., Pellegrini, M., & Slavin, R. (2019). A synthesis of quantitative research on programs for struggling readers in elementary schools. Available at www.bestevidence.org. Manuscript submitted for publication.
- Inns, A., Lake, C., Pellegrini, M., & Slavin, R. (in preparation). A synthesis of quantitative research on elementary reading. Baltimore, MD: Center for Research and Reform in Education, Johns Hopkins University.
- Pellegrini, M., Inns, A., Lake, C., & Slavin, R. (2019). Effective programs in elementary mathematics: A best-evidence synthesis. Available at www.bestevidence.com. Manuscript submitted for publication.
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