vendredi 29 mai 2020

Un modèle de construction des représentations de l’apprentissage en mémoire à long terme

Comprendre les principales caractéristiques des deux grands systèmes de mémoire que sont la mémoire de travail et la mémoire à long terme, leurs limites et leurs interactions, est important. Cela permet de prendre des décisions judicieuses en ce qui concerne l’utilisation des stratégies mises en œuvre dans des activités d’enseignement et d’apprentissage.


(Photographie : Georges Salameh)


Pour ce faire, il est utile de posséder un modèle de représentation des connaissances dans la mémoire à long terme. En voici un développé et proposé par Efrat Furst (2018).



Étapes et représentations de l’apprentissage d’un nouveau concept dans le modèle de construction des représentations de l’apprentissage en mémoire à long terme


Le modèle comprend 4 niveaux : reconnaître, comprendre, appliquer et maitriser.

1) Reconnaître


La première étape de l’apprentissage d’un concept est la rencontre initiale.

Elle a lieu lorsqu’un élève voit ou entend pour la première fois un concept complètement nouveau (mot, objet, etc.) qui n’a jamais été rencontré auparavant. C’est le cas lorsqu’il consulte un document le décrivant ou lorsqu’un enseignant le lui explique.

L’élève manifeste un comportement d’attention plutôt passive avec peu d’inférence, peu de réflexion et peu de traitement cognitif.

Auparavant, le concept n’était pas représenté dans sa mémoire à long terme.

Après la première rencontre, le nouveau concept peut être représenté dans le cerveau par des connexions formées entre les neurones pour créer un réseau.


Comme il s’agit d’un niveau de représentation très faible, il permet une reconnaissance potentielle, mais guère plus que cela. L’information nouvelle est faiblement connectée.

Par la suite, l’élève peut être en mesure de reconnaître ce concept dans un avenir proche lorsqu’il est présenté à nouveau de manière explicite. Si lors du cours suivant, l’enseignant revient sur ce concept, il semblera familier à l’élève.

Si nous nous arrêtons là, le concept est familier pour un temps pour l’élève. L’oubli va faire son œuvre dans la plupart des cas et le rendre progressivement inaccessible.



2) Comprendre


Lorsque l’élève est amené à s’engager dans un traitement cognitif au sujet du concept, son travail se diversifie et gagne en profondeur. Il pose des inférences, fait des liens avec des connaissances préalables, élabore autour de celui-ci. Nous passons du fait de reconnaître à celui de comprendre.

Si le concept était précédemment reconnaissable, maintenant l’élève devient capable de l’expliquer en relation avec certaines de ses connaissances préalables. Connecté à d’autres connaissances, le concept fait sens, il devient significatif.

Il se retrouve associé à d’autres concepts (mots, objets, procédures, etc.) que l’élève connaît, comprend, utilise et maitrise déjà. Intégré à des schémas cognitifs, le concept gagne en sens.
L’élève peut maintenant comprendre la signification du nouveau concept et l’expliquer. Chacun des concepts préalables associés peut servir de porte d’entrée pour récupérer ce nouveau concept lié.

Comme le dit Efrat Furst (2018), reconnaître et comprendre peuvent être vus comme des composantes d’un même élément : 
  • Reconnaître est une collection de concepts isolés représentés dans le cerveau 
  • Comprendre représente les connexions qui se forment entre eux.



3) Appliquer


Une fois que l’élève reconnaît un concept, qu’il peut l’expliquer, car il le comprend, il doit maintenant apprendre à l’utiliser, à l’appliquer.

Il s’agit de mettre en pratique ce qui a été appris pour établir l’accessibilité et la consolider.

L’objectif est de construire des parcours dans lesquels l’élève sera appelé à récupérer le concept et à l’utiliser dans différents contextes au fil du temps.

Une pratique distribuée, entremêlée, cumulative et diversifiée est le moyen d’y parvenir.

Au fur et à mesure, l’élève enrichit sa palette d’indices de récupération pour le concept concerné. Il apprend à mieux le discriminer. Chaque fois que nous récupérons le concept dans de nouvelles situations, des chemins d’accès sont construits ou entretenus.

L’élève devient capable d’utiliser le concept, qu’il comprend et connaît. Il le mobilise et l’applique dans des situations.



4) Maitriser


Au fur et à mesure, la compréhension s’approfondit. De nouveaux liens pertinents avec d’autres concepts s’installent. Des occasions de pratiquer et d’utiliser celui-ci sont rencontrées et répétées au fil du temps.

Les schémas cognitifs s’organisent, se complexifient, deviennent fluides et s’automatisent. L’élève devient capable de maitriser le concept au sein d’un ensemble cohérent.

Il devient capable de l’utiliser facilement, rapidement, même automatiquement dans le cadre d’un schéma cognitif.



L’effort mental en fonction de chacune des quatre étapes du modèle de construction des représentations de l’apprentissage en mémoire à long terme


Tout le processus que nous venons de décrire n’a rien d’automatique et n’est jamais gagné d’avance.

Le niveau de représentation dans la mémoire à long terme influence grandement l’effort mental nécessaire et disponible pour manipuler l’élément de connaissance dans la mémoire de travail.



1) Reconnaître  


  • L’effort mental se manifeste lorsque nous nous retrouvons face à un mot et que nous ne savons pas ce qu’il signifie. Il s’agit soit d’un nouveau terme de vocabulaire, d’un concept absolument nouveau ou d’un mot dans une langue étrangère. 
  • Le même phénomène se passe lorsque nous allons dans un lieu nouveau ou que nous rencontrons de nouvelles personnes.
  • Lorsqu’un élève reconnaît un concept, un élément, la seule manipulation possible est l’identification sur présentation. 
  • La reconnaissance n’est pas un processus exigeant, ni très productif. Elle se contente de signaler un sentiment de familiarité avec le concept.



2) Comprendre


  • Le fait de comprendre va ouvrir la porte vers la manipulation et l’utilisation de ce concept. Pour ce faire, l’élève va devoir être capable d’activer en mémoire de travail le concept et sa signification.
  • L’effort mental se manifeste dans le fait d’attacher un sens au mot donné et comprendre ce qu’il signifie.  
  • Cette étape est très exigeante en matière d’effort mental. 
  • Par exemple : 
    • Elle se manifeste par exemple lorsque nous lisons une phrase dans laquelle se trouve un terme que nous ne comprenons pas. 
    • Le mot peut être familier, nous le reconnaissons, mais nous ne le comprenons pas.
    • Dès lors, le sens de la phrase nous échappe. 
    • Nous consultons alors un dictionnaire pour découvrir la définition du terme. Nous accédons alors à sa compréhension. 
    • Cette compréhension se manifeste lorsque le sens du terme nous permet de comprendre la signification de la phrase.
    • Cette opération n’est pas aisée et demande que nous y consacrions toute notre attention. 
    • Si plusieurs termes nous échappent dans la phrase, nous sommes obligés de les traiter séquentiellement, un à un.



3) Appliquer


  • Le fait d’avoir compris une phrase avec un nouveau mot de vocabulaire de manière unique ne suffira pas à générer un apprentissage.
  • Cette compréhension doit être exercée, appliquée, répétée de multiples fois à travers une pratique efficace. 
  • Au fur et à mesure de la pratique, il devient plus facile d’utiliser le concept dans des situations pratiques. La charge cognitive sur la mémoire de travail est parallèlement réduite.
  • Par exemple, le nouveau mot de vocabulaire devra réapparaitre au fil du temps dans différentes phrases. 



4) Maitriser


  • Une fois le concept maitrisé, son utilisation devient automatique et sans effort, et elle nécessite encore moins de ressources en mémoire de travail.
  • Dans cette situation, les ressources peuvent être pleinement utilisées pour déchiffrer les informations entrantes, même si elles sont complexes.
  • Par exemple, le mot de vocabulaire entre dans le langage et ne provoque plus de difficulté à la lecture.



Interactions entre la mémoire à long terme et la mémoire de travail selon le modèle de construction des représentations de l’apprentissage en mémoire à long terme


La mémoire à long terme et la mémoire de travail interagissent lors de l’apprentissage.

Deux contraintes apparaissent au niveau de l’apprentissage :
  • La répétition et la distribution d’un traitement cognitif vont permettre le développement d’un apprentissage durable vers la maitrise.
  • Un autre facteur entre en ligne de compte. C’est celui de la profondeur du traitement cognitif. Il y a peu de chances qu’un traitement cognitif faible puisse aboutir à un apprentissage en profondeur.   

Au début de l’apprentissage, la profondeur du traitement sera faible, car la mémoire de travail ne bénéficie pas de l’activation de connaissances en mémoire à long terme.

Au fur et à mesure que l’apprentissage se développe, au plus la profondeur de traitement pourra être exploitée. La mémoire de travail pourra se reposer de plus en plus sur des connaissances activées en mémoire à long terme.

C’est la profondeur du traitement cognitif qui permet de développer et d’enrichir des représentations adéquates en mémoire à long terme.

Au fur et à mesure de l’apprentissage de concepts, la mémoire de travail va devenir de plus en plus performante. De plus en plus, elle pourra se reposer sur la mémoire à long terme. Elle sera dès lors apte à répondre à des traitements plus exigeants de l’information.

Plus les connaissances sont établies, moins il faut de ressources de traitement et plus il est facile de les traiter en profondeur et d’apprendre vite. Les recherches montrent que l’apprentissage de nouvelles informations sur la base d’un schéma bien établi est beaucoup plus rapide et plus facile.



Implications pédagogiques du modèle de construction des représentations de l’apprentissage en mémoire à long terme


Le niveau de complexité des tâches doit augmenter au fur et à mesure pour pouvoir atteindre le niveau de maitrise. Aller trop vite empêche tout apprentissage et aller trop lentement peut mettre en péril l’acquisition de la maitrise.

Si nous nous plaçons dans une perspective d’enseignement explicite, nous pouvons déterminer les correspondantes suivantes :
  • Reconnaître et comprendre correspondent à l’étape du modelage
  • Pratiquer correspond à la pratique guidée
  • Maitriser correspond à tout ce qui est de l’ordre de la pratique autonome, de récupération, cumulative et distribuée. 

Nous pouvons considérer que le fait de connaître, comprendre et pratiquer correspond à la phase initiale d’apprentissage où les priorités doivent être :
  • La création de liens significatifs avec les connaissances préalables
  • Des explications claires sur le comment ou le pourquoi
  • Des exemples concrets

À ce stade, garder à l’esprit les informations apprises peut nécessiter d’importantes ressources en matière de gestion des connaissances. Les élèves doivent réaliser des tâches simples dans un premier temps pour répondre à la fois aux limites de la mémoire de travail et aux exigences de l’apprentissage.

Les tentatives d’introduire des activités plus complexes peuvent donc entraîner une surcharge de la mémoire de travail et se solder par un échec au niveau de l’apprentissage.

Il convient dès lors de tenir compte des recommandations de la théorie de la charge cognitive.

Lorsque nous parlons de maitriser, nous pensons plus à des notions d’automatisation, d’unitisation, de durabilité et de transfert des connaissances. Il s’agit chaque fois d’objectifs à long terme et d’entretien des connaissances avec à la clé un approfondissement progressif. Lorsque nous passons à cette phase, des difficultés désirables vont favoriser le développement de la profondeur et de la durabilité des apprentissages.

Un exemple intéressant est celui proposé par le Groupe de travail pour la Psychologie en Milieu Scolaire et Éducatif (2015) :

Il est important de prendre le temps de se concentrer sur des concepts profonds et sous-jacents dans un domaine précis et promouvoir l’apprentissage par la compréhension. Il est moins utile de se fixer sur des éléments superficiels dans le cadre de l’apprentissage ou en mémorisant des éléments spécifiques.

Pour vraiment maitriser, un élève doit comprendre et appliquer.

Un exemple parlant est en biologie le fait de se souvenir des propriétés physiques des veines et des artères. La paroi des veines est extensible. Celle des artères est épaisse et élastique. Il n’y a aucun sens à ce qu’un élève mémorise ses informations sans comprendre pourquoi elles ont ces propriétés dans le cadre de la circulation sanguine. En effet, les veines ont pour rôle de récupérer le sang et le ramener au cœur tandis que les artères se chargent de le distribuer sous pression à partir du cœur. La pratique va demander à l’élève de réfléchir sur ces liens, dans des situations de plus en plus complexes.



Mis à jour le 01/09/2022

Bibliographie



Efrat Furst, Learning in the brain, 2018, https://sites.google.com/view/efratfurst/learning-in-the-brain

Groupe de travail pour la Psychologie en Milieu Scolaire et Éducatif, Les 20 principes fondamentaux de psychologie pour l’enseignement et l’apprentissage dans les classes primaires et secondaires, 2015, American Psychological Association

1 commentaire:

  1. Contenu très intéressant. Tout en lisant l'article je le projetais sur l'enseignement des mathématiques à tous les niveaux (par exemple les identités remarquables au collège, la notion de dérivée au lycée, les séries au supérieur). Je le trouve très utile pour la formation initiale et continue des enseignants.
    Pour le niveau "reconnaitre", peut on faire appel à un autre domaine que celui du concept en question? (

    RépondreSupprimer