(Photographie : Christopher Holt)
Évaluer et soutenir la progression vers la maîtrise des apprentissages plutôt que la performance
Si à la suite d’une phase d’enseignement, un enseignant procède à une seule évaluation sommative, il mesure un niveau de performance auprès de ses élèves. Cette performance n’est pas suffisante pour établir réellement une maîtrise des apprentissages dans les meilleures conditions :
- Du point de vue de la maîtrise :
- Peut-être que ces connaissances sont encore fragiles et seront rapidement oubliées par ces élèves, la mesure étant ponctuelle.
- Du point de vue de l’évaluation formative ou d’un enseignement adaptatif :
- Peut-être que l’enseignant se rendra compte qu’il a surestimé la compréhension et l’apprentissage de ses élèves, en négligeant les dimensions formatives de l’évaluation et adaptatives de l’enseignement.
- Du point de vue de l’autorégulation des apprentissages :
- Peut-être que les élèves n’ont pas de bonnes compétences métacognitives et ont posé un jugement biaisé sur leurs apprentissages, ce qui marque également un échec en ce qui concerne le transfert de responsabilité des apprentissages.
Pour contourner ces faiblesses, il est utile de disposer de plusieurs temps d’évaluation avant l’évaluation sommative finale. Trois cas de figure sont possibles :
- Les évaluations intermédiaires sont sommatives.
- En l’absence d’un dispositif d’évaluations formatives, les enseignants mettent en place des évaluations sommatives, sous forme de tests réguliers et notés, qui parfois prennent la forme d’un travail journalier. Ils évaluent les acquis de leurs élèves chaque fois. Le cours de l’année est ponctué par des évaluations sommatives parfois qualifiées de certificatives et des examens plus conséquents en fin de période, qui clôturent définitivement une matière.
- L’ensemble des notes est assemblé en une moyenne. La difficulté dans ce cas est de documenter les progrès et de considérer les accidents de parcours. Combiner des notes obtenues à différents moments n’informe pas précisément sur le niveau de maîtrise final.
- La perspective du résultat chiffré est souvent vue comme une contrainte pour inciter les élèves à étudier et à s’impliquer. Les élèves vont travailler pour avoir des points dans le but de réussir. Tel est souvent le mode de réflexion sous-jacent.
- Dans ce processus, peu d’attention est accordée au processus d’apprentissage mobilisé par un élève. Rien de spécifique n’est mis en place pour aider spécifiquement chaque élève à progresser face à ses difficultés ni pour le supporter dans le développement d’une panoplie de techniques d’étude ou dans sa capacité d’autorégulation.
- Les évaluations intermédiaires sont formatives.
- Les évaluations intermédiaires ne génèrent pas de notes, mais une rétroaction, qui est destinée à informer l’enseignant et l’élève sur ses apprentissages.
- En absence de note, comme c’est généralement le cas pour une évaluation formative, les élèves pourraient ne pas travailler spontanément ou régulièrement.
- Le danger de ce type de démarche est que tous les élèves ne se responsabilisent pas forcément face à une évaluation formative. Ils peuvent ne pas s’y préparer s’ils ne perçoivent pas de conséquences, ce qui hypothèque son utilité et peut se révéler frustrant pour l’enseignant.
- Les évaluations intermédiaires s’inscrivent sur un continuum entre formatif et sommatif :
- Elles responsabilisent les élèves et s’accompagnent d’une rétroaction actionnable qui indique les initiatives à prendre pour améliorer les apprentissages.
- Elles documentent les apprentissages au fur et à mesure du processus selon le principe d’une note constructive telle que développée par Raphaël Pasquini. Des traces répétées de performance peuvent servir de preuve à une maîtrise.
- En misant sur une note à haute valeur informative, cette démarche permet d’échapper au système de renforcement ou de punition déterminé par la note de l’élève.
- Si les deux autres approches peuvent soutenir l’adoption d’objectif de performance ou d’évitement, le modèle de la note constructive est le plus à même de soutenir l’adoption d’objectifs de maîtrise.
Ce système est le plus à même de permettre à l’enseignant de conserver une pleine maîtrise d’un processus d’évaluation directement intégré à ceux de l’apprentissage et de l’enseignement. En effet, dans les deux autres systèmes, il n’y a que deux façons pour un enseignant d’aider concrètement un élève qui échoue dans un premier temps. Soit il lui donne une occasion supplémentaire de passer une évaluation sur les mêmes contenus, soit, il baisse le niveau et fait preuve d’indulgence. Le risque dans cette situation c’est que les élèves peuvent n’apprendre que peu. Ils vont plutôt focaliser leurs efforts sur leur performance en ciblant le moment des évaluations. Ils ne vont pas non plus améliorer leurs capacités d’autorégulation ou leurs stratégies d’apprentissage autonome.
Ce qui importe lors d’une évaluation, c’est de documenter qualitativement l’apprentissage dans le temps et non de rendre compte quantitativement d’une performance ponctuelle. C’est qui importe également, c’est la qualité des processus d’apprentissage et d’enseignement. Évaluer c’est à la fois développer une vue d’ensemble, échantillonner l’apprentissage et soutenir la progression de l’élève.
Dans un processus d’évaluation, nous ne devons pas laisser trop de place à la chance, au hasard et à l’indulgence, mais nous devons être justes, soutenir et responsabiliser les élèves.
Dans ces processus, des examens finaux récapitulatifs gardent du sens. Les élèves doivent être testés sur le même ensemble du programme, en même temps, avec la même aide. Ils sont notés selon le même ensemble de normes préétablies. Néanmoins, dans l’établissement du résultat qui en découle, il est important d’avoir documenté au fil du temps la progression de manière à obtenir une meilleure estimation de la maîtrise des objectifs d’apprentissage.
Sortir de l’impasse des moyennes faites à partir d’évaluations sommatives intermédiaires
Néanmoins, l’épreuve certificative qui va tester les connaissances des élèves sur l’ensemble d’une période va être vécue par beaucoup d’élèves comme une épreuve stressante, ponctuelle et d’un niveau de difficulté inédit.
Ils ont le souci d’être performants à cette occasion et vont miser sur la chance ou le talent. Ces sentiments sont quelque peu en contradiction avec l’idée d’échantillonner un apprentissage et d’en acquérir des preuves. Les élèves ne devraient pas faire mieux ou moins bien lors d’un examen que ce qu’ils ont fait généralement au cours de l’année. L’évaluation devrait simplement une mesure du niveau atteint, pas une course contre le chronomètre.
La valeur d’évaluations sommatives intermédiaires n’a que peu de sens dans cette perspective-là, car il est surtout souhaitable d’avoir une mesure standardisée d’un apprentissage au terme d’un programme d’enseignement. L’idée est qu’une suite de mesures positives de la performance permet de valider un apprentissage.
De plus, des évaluations sommatives intermédiaires portant sur des volumes de matière réduits n’offrent que peu de garanties de réussite à l’examen. Ce dernier présente une échelle et un volume de matière très différents.
À chaque évaluation sommative, l’élève est incité à viser la performance instantanée, comme un sprint sur une courte distance, plutôt que l’apprentissage durable, qui est une course de fond sur une longue distance. Ce qui compte souvent c’est de faire des points.
Les élèves tendent à concevoir les évaluations sommatives comme des sprints ponctuels à enjeux maitrisables.
Ceux-ci motivent leur comportement comme un jeu de carotte et de bâton. Il s’agit de fournir le travail nécessaire pour réussir, car souvent les parents veillent. Il n’y a pas d’emblée une réflexion sur la façon de procéder. L’accent est sur la performance et n’est pas sur l’apprentissage durable.
La seule manière de transformer le système est de lier complètement les processus d’évaluation aux objectifs pédagogiques et aux critères de réussite. La pondération se construit sur ces derniers et non directement sur une somme de points obtenus grâce à des réponses à des questions.
C’est ce genre de démarche que soutiennent les modèles de l’évaluation formative, défendu par Dylan Wiliam ou le modèle de la note constructive de Raphaël Pasquini. En reliant les résultats obtenus à des apprentissages spécifiés évalués plusieurs fois dans le cadre du parcours avec une dimension cumulative au cours de l’année, nous pouvons établir une note finale à haute valeur informative. Dans ce cadre, les moyennes n’ont plus de sens, les attendus sont clarifiés, l’accent est sur la maitrise et l’apprentissage, et nous échappons aux risques d’un effect compensatoire.
Rendre les épreuves sommatives significatives pour l’apprentissage
La rétroaction sur les performances à une épreuve sommative est une impasse
Les enseignants peuvent partir du postulat que lorsque les élèves vont recevoir en retour leurs évaluations sommatives corrigées, ils vont les utiliser pour guider leur apprentissage futur. C’est souhaitable et dans l’idéal cela devrait se passer ainsi.
En réalité, si l’accent est centré et perçu par l’élève sur l’angle de la performance, il est peu probable qu’il va considérer comme naturel d’agir de suite. Il ne peut pas revenir en arrière et corriger les erreurs du passé. Par conséquent, il va plutôt attendre l’échéance sommative suivante pour faire mieux et se concentrer sur les contenus à maîtriser plutôt que de retravailler des aspects sur lesquels sa performance ne sera plus mesurée à brève échéance.
En réalité, si l’accent est centré et perçu par l’élève sur l’angle de la performance, il est peu probable qu’il va considérer comme naturel d’agir de suite. Il ne peut pas revenir en arrière et corriger les erreurs du passé. Par conséquent, il va plutôt attendre l’échéance sommative suivante pour faire mieux et se concentrer sur les contenus à maîtriser plutôt que de retravailler des aspects sur lesquels sa performance ne sera plus mesurée à brève échéance.
Ce phénomène est d’autant plus favorisé que les résultats des différents tests sommatifs sont additionnés pour en extraire une moyenne. Dans un sens seul comptent les prochaines performances qui dépendront de paramètres nouveaux.
Espérer que des évaluations sommatives aident les élèves à s’améliorer est peu probable. En cas de difficultés, le résultat sera plutôt de redoubler d’efforts pour réussir la suivante qui ne portera probablement pas sur les mêmes contenus.
Le danger est que ce genre de démarche a pour résultat de saper l’apprentissage des élèves en le rendant morcelé plutôt qu’intégré, partiel plutôt que complet. En effet, un apprentissage de qualité exige l’établissement de larges connaissances spécifiques. Celles-ci se créent grâce à beaucoup de pratique délibérée et entremêlée dans l’utilisation de larges connaissances.
Les enseignants ne souhaitent pas que leurs élèves soient uniquement capables de résoudre des tâches isolées, déconnectées les unes des autres. L’enjeu est la réalisation de tâches complexes et de problème divers et celui-ci n’est réalisable que par la globalisation et l’intégration de larges pans de connaissances spécifiques. Celles-ci doivent être rendues pour cela mobilisables et fluides en mémoire à long terme.
Par conséquent, au niveau d’une épreuve sommative, l’accent ne devrait pas être mis sur la performance, mais sur l’apprentissage.
Mettre l’accent sur l’apprentissage lors des épreuves sommatives
La notation des productions d’élèves doit être gérable, significative et motivante.
Donner un retour d’information significatif aux élèves est un levier essentiel pour améliorer les progrès des élèves, mais aussi une des principales contraintes de temps pour les enseignants.
La notation exercée dans le cadre d’une évaluation sommative ne doit pas être post-mortem. Elle ne doit pas être équivalente à une autopsie.
Ce dont nous avons besoin, c’était d’un diagnostic précis sur la manière d’aider l’élève pendant qu’il en est encore temps et qu’il a encore l’opportunité d’être évalué sur le sujet.
Cela implique de bien concevoir les procédures d’évaluation et de notation écrites. À ce titre, le lien entre la tâche évaluée et un objectif d’apprentissage précis est crucial.
La démarche facilite la rétroaction et la détache du cas particulier de la tâche. Elle porte sur la maîtrise de l’objectif d’apprentissage et en cas de non-maîtrise les supports d’apprentissage deviennent la référence pour les démarches à entreprendre.
Étant donné qu’un apprentissage est validé par une suite de performance répétée, l’importance du résultat d’une performance singulière dans la progression globale est rarement cruciale. Ce qui compte est la tendance générale. Si un objectif d’apprentissage n’est pas maîtrisé, peu importe le stade, il s’agit toujours de s’engager dans des démarches similaires le concernant.
La rétroaction est dépendante du jugement porté sur l’objectif d’apprentissage et non sur une performance à un moment particulier. De plus, le meilleur moment pour réagir dans la foulée est le moment qui suit la mise en évidence du déficit. La rétroaction est donc un catalogue de mesures disponibles en fonction de la situation de l’élève, ce qui permet une évaluation formative plus aisée à mettre en place et plus réactive.
Le retour d’information n’a pas pour but d’améliorer le travail, mais d’améliorer l’apprenant.
Il ne doit pas s’agir d’une dissection post-mortem du travail passé, mais plutôt de fournir des informations compréhensibles sur la manière de s’améliorer la prochaine fois et d’inciter à l’action.
Pour que le retour d’information soit efficace, l’élève doit s’y intéresser, y réfléchir, chercher à le comprendre et agir en conséquence. Il importe de réfléchir à la manière dont les pratiques de retour d’information engagent l’élève en tant qu’apprenant autorégulé dans une démarche d’amélioration continue. Un bon retour d’information travaille à sa propre redondance, il doit être ciblé et économe.
Le difficile équilibre entre segmentation et cumul de l’évaluation sommative
Souvent, elles sont utilisées pour concevoir des découpages de matière qui permettent aux élèves d’apprendre et de démontrer la maitrise d’une partie de la matière à un moment donné.
Le danger est de ne pas globaliser et de ne pas créer d’apprentissage durable. Le fait d’avoir soumis les élèves à une évaluation sommative pour une partie de la matière dispense l’enseignant de la mobiliser à nouveau dans les semaines qui suivent. Comme cette matière elle-même n’a été travaillée que durant un nombre réduit de semaines, elle aurait encore besoin de récupérations régulières. Ainsi, les élèves risquent d’oublier la majeure partie des contenus. Or ceux-ci seront pourtant à nouveau nécessaires lors de l’examen.
Nous nous retrouvons un peu dans la situation d’un sportif qui devrait effectuer un décathlon. Pour se préparer, il s’entrainerait un mois sur chaque discipline sans y revenir ce qui conduirait immanquablement à une piètre préparation. Or c’est souvent la situation dans laquelle des enseignants placent involontairement les élèves. Ainsi l’examen se met à ressembler à une épreuve extraordinaire, car la préparation n’a pas été réalisée de manière optimale en entremêlant, en espaçant et en intégrant les différents objectifs pédagogiques.
L’analogie permet également de pointer la limite d’une évaluation sommative qui deviendrait cumulative. En effet, un sportif ne va pas s’entrainer à un décathlon en effectuant de multiples décathlons. Ce serait épuisant et contreproductif. Or c’est pourtant ce que certains enseignants seraient tentés de faire.
Les examens, les évaluations sommatives et cumulatives sont des indicateurs de réussite. En tant que tels, ils mesurent l’apprentissage des élèves, mais ne leur apprennent rien. Cela ne contribue pas à une véritable maitrise approfondie du sujet. Entrainer trop les élèves en classe à répondre à des questions d’examen pose le même problème. Paradoxalement, ce genre de démarche revient pour l’enseignant à réduire ses attentes. Plutôt que de leur apprendre la matière en profondeur, il leur apprend uniquement à affronter l’examen.
Une évaluation sommative ne remplace pas une évaluation formative
Le principal malentendu de l’évaluation sommative est de croire qu’elle peut jouer le même rôle que l’évaluation formative. L’évaluation formative contribue à identifier les lacunes dans l’apprentissage des élèves et à les guider dans les démarches à suivre pour y remédier.
Une évaluation formative a une conception fondamentalement différente de l’évaluation sommative. Plutôt que d’évaluer une finalité, elle est purement diagnostique et sans enjeux en matière de notation.
Si nous posons une question typique d’examen comme on le fait lors d’une évaluation sommative, par exemple un problème ou une tâche complexe, certains élèves n’y répondront pas parce qu’il leur manque certaines connaissances. L’enseignant peut avoir des difficultés à déceler lesquelles. En outre, simplement voir la solution attendue du problème ne va pas aider forcément l’élève en difficulté, car celui-ci aurait besoin d’être encadré spécifiquement pour développer un apprentissage lié à ses faiblesses.
Une évaluation formative est préconçue pour que l’enseignant puisse facilement déduire où se trouve exactement l’élève et lui apporter une aide en fonction.
Les systèmes de notation des examens sont adaptés à leur objectif. En appliquant la même démarche à une évaluation sommative, nous n’aidons pas l’élève à s’améliorer. L’enseignant doit se concentrer sur la façon d’aider ses élèves à progresser, pas simplement leur communiquer l’information selon laquelle ils sont actuellement en situation de réussite ou d’échec.
Plutôt que de mettre en place une évaluation sommative, il est beaucoup plus porteur et utile de développer une démarche d’évaluation formative. Elle permet de recueillir des preuves de la compréhension des élèves, ce qui permet aux enseignants et aux élèves de prendre de meilleures décisions quant aux prochaines étapes.
Les enseignants qui n’utilisent pas les évaluations formatives se basent sur des suppositions ou des planifications génériques, plutôt que de fonder leurs décisions d’enseignement sur des données.
Les enseignants qui utilisent les évaluations dans une perspective formative ciblent leur enseignement sur les besoins des élèves. Cette utilisation systématique de la fonction formative de l’évaluation se traduit par un meilleur apprentissage et une meilleure utilisation du temps en classe. Une piste alternative est de combiner les fonctions formative et sommative dans le cadre de l’approche de la note constructive.
Mis à jour le 23/09/2024
Bibliographie
Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018
Daisy Christodoulou, Making good progress?, 2016, Oxford
Douglas Fisher and Nancy Frey, Formative assessments in secondary schools; 2011, http://www.betterevidence.org/uk-edition/issue-7/formative-assessments-in-secondary-schools/
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