mercredi 11 septembre 2019

Habituation et gestion de classe

L’habituation est une forme d’apprentissage primitif qui trouve des répercussions jusque dans la gestion de classe. Le problème s’exprime dans le fait que les élèves peuvent s’habituer et se désensibiliser, dans certaines situations lorsqu’ils font face à des interventions disciplinaires sous-optimales. Voici une exploration de quelques pistes et phénomènes associés :

(Photographie : Martina Shenal)



Définition de l’habituation


L’habituation est une forme d’apprentissage non associatif et implicite dans lequel une réponse à un stimulus spécifique diminue en intensité ou en fréquence après des présentations répétées ou prolongées de ce stimulus. Cette réponse ne disparaît que temporairement.

L’apprentissage non associatif est un changement dans la réponse à un stimulus qui n’implique pas d’associer le stimulus présenté à un autre stimulus ou événement tel qu’une récompense ou une punition.

À l’opposé, des exemples d’apprentissage associatif comprennent le conditionnement classique et le conditionnement opérant.

L’habituation est une forme de mémoire biologique primitive. Il s’agit de diminuer l’ampleur ou la fréquence d’une réaction avec la répétition de la stimulation. Nous parlons d’une accoutumance. C’est la forme la plus primitive d’apprentissage. Les formes d’apprentissage non associatives telles que l’habituation ne produisent pas de nouvelles réponses (conditionnées), mais diminuent plutôt temporairement une réponse préexistante (innée).



Origine évolutive de l’habituation


L’habituation des comportements défensifs innés est adaptative chez l’homme. Par exemple, le phénomène se manifeste lors de la réaction de sursaut à un bruit soudain et fort. Si le bruit se répète, nous allons progressivement moins sursauter et même finalement ne plus du tout sursauter.

La raison biologique en est bien simple. Si le même phénomène surprenant — mais sans conséquence grave pour l’organisme — se manifeste de manière répétée, pour une question d’économie d’énergie, il peut être intéressant de diminuer l’intensité de la réaction. Malgré cette réaction défensive initiale et innée à un stimulus inconnu, la réaction s’habitue et régresse, si le stimulus se répète, mais ne cause aucun mal.



Phénomène de désensibilisation


Un phénomène voisin exploité en psychologie est la désensibilisation. Il s’agit d’une réponse émotionnelle moins réceptive aux stimuli après exposition répétée et prolongée.

La désensibilisation est un procédé principalement utilisé pour apprendre à un individu à ne plus craindre une phobie ou une anxiété spécifique. Une liste hiérarchique est établie qui classe les craintes et les phobies, des moins perturbantes aux plus perturbantes. Par la suite, l’individu apprend une technique qui le plonge dans une profonde relaxation et lui permet de se désensibiliser peu à peu des éléments de sa liste par ordre d’intensité croissante.



Phénomène de sensibilisation


Difficile de parler de désensibilisation sans évoquer son contraire qui peut être activé dans des contextes stressants comme le présente Céline Clément (2003) :

La sensibilisation est la baisse du seuil absolu de déclenchement d’une réponse en conséquence de :
  1. La présentation répétée d’un stimulus. Par exemple, lors d’une évaluation, un élève peut machinalement enclencher son stylo. Le fait de la faire une seule fois ne provoquera aucune réaction ? Mais s’il le fait systématiquement, tout le monde va se focaliser sur ce bruit répétitif et avoir du mal à se concentrer. 
  2. La présentation d’un autre stimulus. La présentation préalable d’un stimulus provoque une sensibilisation de l’organisme qui le rend réactif à un ou plusieurs stimuli auxquels il ne répondait pas précédemment. À la suite d’une altercation avec un élève, l’enseignant réagit au quart de tous à un bavardage de deux autres élèves, qu’il aurait probablement négligé en temps normal.



Lien entre habituation et alimentation


Une autre forme d’habituation est elle-même beaucoup plus omniprésente et constitue un élément essentiel de la relation avec notre alimentation.

Lorsque nous mangeons en quantité le même aliment au cours d’un repas, il présentera une certaine appétence au départ. Au fur et à mesure, nous commencerons à moins réagir positivement à l’aliment et nous diminuerons puis stopperons sa consommation.

Manger moins au cours d’un repas est généralement interprété comme une sensation de satiété, mais les expériences suggèrent que l’accoutumance joue également un rôle important. Ainsi, apporter de la variété dans un repas va augmenter la quantité consommée, probablement parce que nous déjouons l’accoutumance.





Le phénomène d’habituation lié aux punitions


En ce qui concerne le comportement humain, l’habituation peut être comprise comme une forme d’apprentissage adaptatif. 

Au départ, un individu est soumis à un stimulus qui amène à adopter un comportement spécifique. L’habituation se manifeste lorsqu’à la suite de la présentation répétée ou prolongée du stimulus, on assiste à une diminution graduelle (et relativement prolongée) de l’intensité ou de la fréquence d’apparition d’une réponse. L’individu réagit progressivement moins au stimulus et peut à terme cesser même d’y réagir. 

Plus spécifiquement en gestion de classe, l’habituation peut se manifester dans le cadre de stimulus aversifs comme des remarques, des punitions ou des sanctions que l’enseignant peut attribuer à la suite d’un comportement perturbateur. Concrètement, les conséquences prévues pour inhiber le comportement attendu cessent d’agir et ne parviennent plus à jouer leur rôle.

Ce phénomène potentiellement néfaste n’est pas sans implications en ce qui concerne la gestion du comportement.

Dans ces situations, l’attribution d’une conséquence face à un comportement perturbateur donné échoue à soutenir l’adoption et l’apprentissage du comportement attendu. Elle ne mène plus à une extinction durable, et progressive des comportements perturbateurs. 

L’enseignant n’a pas d’autre choix que de redonner la punition à nouveau lors d’un cours ultérieur. Petit à petit, celle-ci peut perdre tout effet contre le comportement perturbateur. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est recommandé que les punitions soient rares.

Lorsqu’un tel cycle se répète avec perte progressive de l’impact de la punition, il y a de grandes chances que nous nous trouvions dans une logique d’habituation. L’élève finit par se désensibiliser progressivement en ce qui concerne le lien entre la punition et le comportement perturbateur. La punition peut rester aversive, mais elle perd peu à peu son effet dissuasif.

La conséquence de ce phénomène est que pour maintenir le même niveau de comportement dans une démarche centrée sur la punition, l’enseignant est obligé d’en augmenter la sévérité ou la fréquence.

Dès lors, nous voyons que lorsque l’élève s’habitue à la punition et qu’elle perd de son influence, nous nous retrouvons sur une pente glissante. Si l’enseignant reste dans la même trajectoire et accentue ses punitions, nous entrons potentiellement dans une forme d’escalade à la fois au niveau des conséquences et des perturbations.

De tels phénomènes d’escalade, proche d’un cycle de coercition, n’ont pas d’issue heureuse. Ils peuvent progressivement mener à une détérioration du comportement de l’élève et des interactions en classe. Cela peut culminer par une exclusion de l’élève hors de la classe ou part un sentiment de fatigue pour l’enseignant. Les issues liées à l’habituation face aux conséquences sont contre-productives, car elles éloignent une forme de résolution souhaitable. Finalement, nous ne faisons que reporter le problème ailleurs. L’adoption d’un continuum d’intervention cohérent face aux perturbations est un moyen d’éviter l’occurrence d’un tel phénomène.



Lien entre l’habituation et les punitions graduelles


La punition apparait beaucoup moins efficace lorsque l’intensité du stimulus aversif est augmentée progressivement au lieu d’être initialement introduit à sa pleine intensité.

Par exemple, un élève discute avec son voisin en classe et son enseignant intervient et lui donne une punition. Quelque temps plus tard, il récidive et discute de nouveau avec son voisin. L’enseignant augmente la charge de la punition. Le lendemain, la punition n’est pas faite, l’enseignant augmente à nouveau sa charge.

Le problème est qu’avec une augmentation graduelle de l’intensité d’une punition, l’élève a la possibilité de s’habituer et de se désensibiliser à l’intensité de l’application précédente. Le sentiment d’injustice croît et la punition semble avoir une existence en elle-même presque détachée du comportement qui en est la cause initiale.

Une telle accoutumance graduelle peut éventuellement amener l’enseignant à administrer un niveau d’intensité bien supérieur à ce qu’il jugeait nécessaire à l’origine pour mettre fin au comportement répréhensible de l’élève. 

L’élève risque d’accumuler une charge de punition conséquente et disproportionnée. Celle-ci s’est construite graduellement et devient contre-productive. 

À l’opposé, une intervention d’intensité proportionnée, qui serait éducative, formative, symbolique et réparatrice, plus en relation avec la nature de l’écart serait susceptible de suffire.

Toute forme de punition en escalade d’intensité sans rapport avec les faits reprochés ne semble pas être toujours la meilleure option.




Risque lié au manque de spécificité des interventions face aux comportements inadéquats


Parmi les phénomènes liés à l’habituation, nous pouvons citer deux phénomènes opposés : la généralisation et la discrimination des stimuli.

La présentation de stimuli très semblables, même si légèrement différents, peut provoquer une habituation. Dans le domaine de l’apprentissage, ce phénomène est appelé généralisation.

Plus le nouveau stimulus est semblable au stimulus original, plus l’habituation qui sera observée sera grande.

Ce phénomène peut se mettre en route lorsqu’un enseignant s’énerve de façon relativement semblable, émet la même forme d’agacement ou de réaction, peu importe la source et la forme de la perturbation en classe. 

Il semble ne pas répondre spécifiquement à la cause visée avec des interventions ciblées, mais principalement exprimer son agacement envers certains élèves.

Ce faisant, il contribue lui-même à l’occurrence de perturbations au niveau de son propre enseignement, car il s’interrompt. Tous les élèves sont témoins de ces réactions répétées qui prennent la forme d’interruptions dans le vecteur principal du cours.

Le processus d’habituation se met en route. Les élèves s’y habituent et les réactions intempestives de l’enseignement perdent peu à peu de leur effet. Ses élèves tiennent de moins en moins compte de ses rappels à l’ordre. Ils sont très susceptibles de s’en amuser et même de provoquer intentionnellement l’enseignant, en cherchant à entretenir ce genre de réaction de sa part.

Cela peut mener à une impasse où l’enseignant s’offusque de manière régulière, quasi monotone, sans réellement avoir un impact en matière d’apaisement du climat de classe. Ce phénomène peut contribuer à installer une tension entre l’enseignant et ses élèves.




Importance de la clarté et de la spécificité dans les interventions en gestion des comportements


L’efficacité dans les interventions en gestion des comportements. La solution vient d’un sens de l’économie et de la discrétion dans les interventions de l’enseignant. Il s’agit de cultiver leur clarté, leur spécificité, et leur caractère ciblé et rapide. L’accent doit être mis sur le rappel ou l’enseignement du comportement attendu. 

Le processus opposé à la généralisation dans le domaine de l’habituation s’appelle la discrimination du stimulus. Il se manifeste quand l’accoutumance ne se produit pas pour des stimuli différents du stimulus original incriminé.

Le sujet concerné manifeste une habituation à un nouveau stimulus qui est semblable à l’original. Il ne la manifeste pas pour un stimulus différent du stimulus original. Le sujet montre une discrimination de stimulus ce qui permet d’échapper à l’habituation.

Pour favoriser la discrimination et atténuer le risque d’habitation en classe, l’enseignant gagne à développer une panoplie de réactions distinctes. Celles-ci sont fonction du type de perturbation qu’il constate. Il doit être le plus explicite possible sur la cause exacte de son intervention et exprimer clairement ses attentes. Si une punition est nécessaire, elle doit être ciblée et en rapport direct avec la perturbation manifestée au moment même.

La discrimination du stimulus est une des raisons pour lesquelles le rappel à la règle et l’enseignement du comportement ont souvent un effet plus bénéfique que de donner des punitions répétées. La punition entraine la généralisation et ne permet pas d’apprendre le comportement attendu, tandis que les deux autres favorisent la discrimination et le permettent.

La généralisation est bien moins probable lorsque chaque type de perturbation dispose d’un mode de traitement approprié.



Mise à jour le 21/10/2023

Bibliographie


Paul A. Alberto & Anne C. Troutman, Applied Behavior for teachers, p. 286, Pearson, 2013

Désensibilisation (psychologie). (2017, janvier 23). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 08:58, janvier 23, 2017 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=D%C3%A9sensibilisation_ (psychologie) & oldid=133906742

Habituation, https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Habituation&oldid=906140874 (last visited July 23, 2019).

Alain Lieury, Psychologie cognitive, Dunod, 2008

Ramus, F. (2019). De la perturbation à l’implication : comment faire adhérer les élèves ? Conférence à l’ISP-Faculté d’Éducation, Paris, 22/05/2019

Céline Clément, Conditionnement, apprentissage et comportement humain, 2003, Dunod

0 comments:

Enregistrer un commentaire