mardi 13 août 2019

Théorie de la charge cognitive : origine, principe et architecture cognitive

Pourquoi la théorie de la charge cognitive est-elle considérée comme une théorie de l’apprentissage essentielle à l’origine de principes directement applicables à l’enseignement et qui permettent d’en améliorer l’efficacité ?
(Photographie : Ki Choquette)


Importance pour l’éducation et fondements de la théorie de la charge cognitive


La théorie de la charge cognitive a été élaborée par John Sweller et Fred Paas à la fin des années 80. Elle vise à expliquer les échecs ou les réussites des personnes essentiellement en activité d’apprentissage. Elle s’est particulièrement intéressée dans ses premiers développements au cadre de la résolution de problèmes.

Elle a nourri et alimente encore de très nombreuses recherches, qui mènent à des développements supplémentaires signifiants. Elle s’intéresse en premier lieu aux implications pédagogiques des connaissances sur les processus cognitifs impliqués dans l’apprentissage.

Elle est utile aux enseignants et pédagogues, car elle leur donne des conseils facilement applicables en situation d’apprentissage.

Elle met en jeu la capacité de stockage d’informations en mémoire de travail et l’intégration de nouvelles informations en mémoire à long terme.

À la fin des années 1980, John Sweller a développé la théorie de la charge cognitive en étudiant la résolution de problèmes :
  • Les apprenants utilisent souvent une stratégie de résolution de problèmes peu efficace appelée analyse moyens-fins (voir article).
  • La résolution de problèmes par l’analyse moyens-fins nécessite une capacité de traitement cognitif relativement importante, qui peut ne plus être consacrée à la construction de schémas (voir article).
  • Certaines formes de résolution de problèmes peuvent interférer avec le processus de construction des schémas, au point d’empêcher l’apprentissage. C’est-à-dire que bien que l’apprenant ait résolu le problème qui lui a été soumis, il n’aura rien retenu de signifiant sur la méthode qui lui a permis d’y arriver. La théorie de la charge cognitive propose d’interpréter ce résultat en matière de dépassement des ressources disponibles, de surcharge cognitive.
  • Les concepteurs de matériel pédagogique doivent limiter toute charge cognitive inutile, appelée charge extrinsèque, qui ne contribue pas à l’apprentissage, lorsqu’ils élaborent du matériel didactique impliquant une forme de résolution de problèmes.



Expertise et charge cognitive au cœur de la théorie de la charge cognitive


La théorie de la charge cognitive considère une structure du système cognitif composé :
  • D’une mémoire de travail à capacité limitée dans laquelle ont lieu tous les traitements et pensées conscientes qui permettent les apprentissages
  • D’une mémoire à long terme à capacité illimitée possédant un nombre important de schémas automatisés

La théorie de la charge cognitive s’appuie sur la distinction entre connaissances biologiques primaires et secondaires avancée par David Geary (voir article).

Selon la théorie avancée par David C. Geary, la plupart des enfants acquièrent des compétences naturelles — comme apprendre à écouter et à parler une langue maternelle — sans école ni instruction. Nous avons spécifiquement évolué pour acquérir automatiquement de telles connaissances. C’est ce qu’on appelle les connaissances biologiquement primaires.

Mais il existe une autre catégorie de savoirs — les savoirs biologiquement secondaires, que nous n’avons pas évolué pour acquérir. Il comprend pratiquement toutes les matières enseignées dans les écoles, de la lecture et de l’écriture aux sciences et aux mathématiques.

La théorie de la charge cognitive concerne l’acquisition de connaissances secondaires.

De même, elle s’appuie sur les résultats des recherches sur le développement de l’expertise (voir article). Elle postule que l’organisation des connaissances en mémoire à long terme sous forme de schémas constitue une caractéristique fondamentale distinguant les experts des novices. À la différence de la théorie de l’expertise, elle s’intéresse principalement au rôle de la mémoire de travail dans l’acquisition et l’utilisation des schémas. 

La compréhension nécessite de maintenir les unités d’information actives simultanément en mémoire de travail. De même, l’apprentissage de connaissances secondaires passe par une réorganisation des connaissances maintenues actives en mémoire de travail. Pour cela, le maintien des éléments à apprendre en mémoire de travail est une condition nécessaire à l’apprentissage.

La théorie de la charge cognitive vise à expliquer les effets de la charge de traitement de l’information induite par les tâches d’apprentissage. Celle-ci peut affecter la capacité des élèves à traiter de nouvelles informations et à construire des connaissances en mémoire à long terme. Si les éléments à apprendre sont trop nombreux, alors l’apprentissage sera moins efficace. 

Du point de vue de la charge cognitive, l’apprentissage repose donc en grande partie sur :
  • La gestion efficace de la mémoire de travail pour y parvenir.
  • L’établissement d’une mémoire à long terme



Les difficultés d’acquisition des connaissances biologiques secondaires


Les élèves peuvent acquérir des connaissances secondaires de deux façons :
  1. Le plus facile et le plus rapide est d’écouter les autres ou de lire, d’apprendre par imitation.
  2. Si d’autres personnes ne sont pas disponibles, des connaissances secondaires peuvent être découvertes au cours de la résolution de problèmes, par exemple en faisant de la recherche. Cette approche même si elle fonctionne ne devrait être utilisée que lorsque nous ne pouvons pas obtenir d’autres personnes l’information dont nous avons besoin.
Quelle que soit la façon dont elle est acquise, la nouvelle information secondaire doit d’abord être traitée par notre mémoire de travail.



Rôles et limites de la mémoire de travail dans le cadre de la théorie de la charge cognitive


Nous utilisons la mémoire de travail lorsque nous prêtons attention à quelque chose. Mais cette ressource mémoire est très limitée en capacité et en durée.

La prémisse de base de la théorie de la charge cognitive est que le traitement cognitif humain est fortement limité par notre mémoire de travail. Celle-ci ne peut traiter qu’un nombre limité d’éléments d’information à la fois (voir articles sur la mémoire à court terme, la mémoire de travail et le pilotage de l’attention). 

Lorsqu’elle est confrontée à de nouvelles informations secondaires, la mémoire de travail ne peut traiter qu’environ deux ou trois éléments, voire quatre, nouvelles unités d’information à la fois et pendant seulement 20 secondes environ.

La charge cognitive est accrue lorsque des exigences élevées et parfois inutiles sont imposées au système cognitif. Si la charge cognitive devient trop élevée, elle entrave l’apprentissage et le transfert.

Une telle situation peut être entrainée par :
  • Une méthode d’enseignement inadéquate pour enseigner aux élèves un sujet
  • Des distractions inutiles de l’environnement.
  • La complexité intrinsèque de la matière enseignée. 



Rôle et importance de la mémoire à long terme dans le cadre de la théorie de la charge cognitive


Une fois que les nouvelles informations ont été traitées par la mémoire de travail, elles peuvent être transférées dans une mémoire à long terme.

Lorsqu’il s’agit d’informations familières et organisées conservées dans la mémoire à long terme (voir article), il n’y a pas de limite connue de capacité ou de durée pour la mémoire de travail. 

La disponibilité immédiate de grandes quantités d’informations organisées à partir de la mémoire à long terme fait que la mémoire de travail n’a effectivement pas de limitations lorsqu’il s’agit de traiter de telles informations. L’information qui a été traitée dans la mémoire de travail et stockée dans la mémoire à long terme peut être transférée de nouveau à la mémoire de travail. Elle peut générer une action et une pensée appropriées à un contexte donné.

Le concept de schéma est central dans la théorie de la charge cognitive parce qu’il permet de traiter des structures de connaissances complexes comme des unités simples de mémoire. L’acquisition de schémas en mémoire à long terme est le but du processus d’apprentissage dans la perspective de la théorie de la charge cognitive.

Ainsi, les élèves sont transformés lorsque l’information est transférée à la mémoire à long terme, ce qui explique pourquoi l’éducation est transformatrice. La fonction principale de l’enseignement est de permettre aux apprenants d’accumuler des informations critiques dans leur mémoire à long terme.

Comme les contenus enseignés aux élèves sont essentiellement neufs pour eux, ils doivent être présentés d’une manière qui tienne compte des limites de la mémoire de travail.

Toute théorie pédagogique qui ignore les limites de la mémoire de travail pour des informations nouvelles ou qui ignore la disparition de ces limites lorsqu’il s’agit d’informations familières a peu de chances d’être efficace.

Proposer à un élève d’apprendre de nouvelles connaissances au moyen de la résolution d’un problème pour lequel elle ne dispose d’aucune connaissance préalable pertinente constitue une méthode d’enseignement inefficace.

La théorie de la charge cognitive remet en cause la conception selon laquelle les schémas s’acquièrent par l’action. Il est erroné de considérer qu’au plus un novice rencontrerait et tenterait de résoudre un grand nombre de problèmes, au plus il apprendrait et au plus il pourrait élaborer des schémas en mémoire.



Comprendre l’importance des schémas dans le cadre de la théorie de la charge cognitive


Selon la théorie de la charge cognitive, les schémas servent :
  • D’une part, à organiser la très grande quantité des connaissances en mémoire à long terme
  • D’autre part, à rendre possible la réalisation de tâches complexes.
Plus grandes sont la quantité et la complexité des informations organisées qui peuvent être transférées de la mémoire à long terme à la mémoire de travail, plus importante est la complexité des situations qu’il est possible de traiter.

Sans avoir la possibilité d’activer des schémas pertinents en mémoire de travail pour répondre aux exigences de la tâche, un expert n’est plus un expert. Il doit alors recourir aux stratégies générales de résolution de problèmes, de la même façon qu’un novice.

Le rôle principal des schémas est donc de permettre à un individu de dépasser les limites de sa mémoire de travail.

L’efficacité des schémas à remplir ce rôle va dépendre de leur degré d’automatisation. Chaque schéma automatisé permet de libérer des ressources cognitives pour l’acquisition de nouveaux schémas. Au plus nous connaissons d’informations sur un sujet, au plus facile il nous est d’apprendre des informations supplémentaires sur le même sujet.

L’acquisition et l’automatisation de schéma permettent à la mémoire de travail de traiter de grands ensembles d’informations et de favoriser l’apprentissage.

L’automatisation permet progressivement à l’individu de réaliser des tâches de plus en complexes sans dépasser la capacité de sa mémoire de travail. Les schémas qu’il acquiert permettent de traiter un très grand nombre d’informations comme s’il s’agissait d’une seule unité signifiante, soit un « chunk ».

Un exemple mis en évidence par André Tricot (2020) :

Par exemple, « calculer 3 paquets de 10 gâteaux » ou « calculer 10 paquets de 3 gâteaux » ne présente pas la même exigence pour des élèves de CE1. Calculer 10 + 10 +10 est peu exigeant, par rapport à 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3. Passer par la multiplication fait baisser la charge, dans les deux cas, encore faut-il maitriser la multiplication. Ceci a été montré par deux chercheurs en psychologie cognitive.

Les novices, que sont les élèves, n’ont pas encore développé les schémas qui permettent aux experts de résoudre des problèmes complexes. Ils ont besoin que l’enseignant les guide pour structurer les apprentissages de la simplicité vers la complexité, de façon à leur fournir un substitut aux schémas qui leur manquent. Ceci permet alors de libérer de l’espace dans leur mémoire de travail pour rendre l’apprentissage possible.



Quels éléments essentiels de la théorie de la charge cognitive chaque enseignant devrait-il considérer ?


Au niveau de l’architecture cognitive, Greg Ashman (et coll., 2019) la résume en cinq points essentiels pour les enseignants : 
  1. La grande majorité des connaissances (biologiques secondaires) est obtenue soit en lisant ce que d’autres personnes écrivent, soit en écoutant ce qu’elles disent.
  2. Lorsque l’information ne peut pas être obtenue auprès d’autres personnes, elle peut être générée en utilisant un processus de génération (découverte) et de test aléatoire (par essais et erreurs).
  3. Les informations acquises peuvent être stockées dans une mémoire à long terme qui n’a pas de limites de capacité connues. 
  4. Lorsque de nouvelles informations sont acquises, elles doivent d’abord être traitées dans une mémoire de travail à capacité et durée toutes deux limitées. Elles peuvent ensuite être transférées dans la mémoire à long terme. 
  5. Une fois que l’information est traitée par la mémoire de travail et stockée dans la mémoire à long terme, elle peut être transférée à nouveau dans la mémoire de travail pour régir l’action appropriée aux circonstances existantes. La mémoire de travail n’a pas de capacité connue ni de contraintes temporelles lorsqu’elle traite des informations transférées depuis la mémoire à long terme.

David Didau (2019) propose de mettre en avant deux idées essentielles de la théorie de la charge cognitive qu’il est important que les enseignants comprennent et appliquent.

L’idée est de diminuer la difficulté de tâches nouvelles suffisamment pour qu’en plus de pouvoir les comprendre, les élèves puissent aussi les apprendre :
  • Le fait que les élèves comprennent quelque chose en classe ne donne aucune certitude sur le fait qu’ils vont être capables de le réutiliser une semaine plus tard. 
  • Le fait qu’ils l’apprennent en classe en plus de le comprendre offre plus nettement cette potentialité.  

La charge cognitive des élèves peut être réduite à deux idées fondamentales :
  1. En offrant un soutien sous forme de modelage et d’étayage :
    1. Cela permet aux élèves de consacrer une part plus importante de leurs ressources cognitives à l’apprentissage. 
    2. Cependant, une fois que les élèves commencent à bien se débrouiller et avant que ne s’installe une dépendance, il faut la retirer progressivement afin de promouvoir l’internalisation de l’aide. 
    3. Une fois que les élèves sont familiers avec les problèmes qu’on leur demande de résoudre, une aide supplémentaire peut en fait augmenter la charge cognitive et diminuer l’apprentissage.
  2. En manipulant la complexité et la quantité de la tâche : 
    1. Il s’agit de commencer par une version facile ou partielle d’un problème et de passer progressivement à une version plus difficile ou complète.
    2. Il s’agit de limiter le temps que les élèves consacrent à une tâche. Plus ils travaillent longtemps, c’est-à-dire au plus ils sont ralentis, plus la charge cognitive qu’ils risquent de rencontrer est grande. Si la durée d’une tâche précise est réduite, sa complexité peut être augmentée. Si la durée d’une tâche précise est longue, sa complexité devrait être amoindrie.

Si les enseignants adoptent les deux points simples ci-dessus, les élèves sont susceptibles d’en apprendre davantage. S’ils ne le font pas, les enfants et adolescents — en particulier les plus défavorisés — risquent d’en souffrir.

Rien de cela n’est particulièrement surprenant ou controversé. Toutefois, certaines des idées fondamentales portées par la théorie de la charge cognitive vont à l’encontre des théories de l’apprentissage qui suggèrent que les élèves sont plus susceptibles d’apprendre s’ils découvrent de nouveaux contenus par eux-mêmes.



Mis à jour le 23/09/2023


Bibliographie


Sweller, J., van Merriënboer, J.J.G. & Paas, Cognitive Architecture and Instructional Design: 20 Years Later, F. Educ Psychol Rev (2019) 31:261. https://doi.org/10.1007/s10648-019-09465-5

Martin, A. J. (2016). Using Load Reduction Instruction (LRI) to boost motivation and engagement. Leicester, UK: British Psychological Society.

Maurice Tardif, Mario Richard, Steve Bissonnette & Arianne Robichaud, Les sciences cognitives et l’éducation, in Clermont Gauthier & Maurice Tardif, La Pédagogie (4e Édition), Chenelière Éducation, 2017, pp 227-230

John Sweller, I had an idea in the 1980s and to my surprise, it changed education around the world, 2019, https://theconversation.com/i-had-an-idea-in-the-1980s-and-to-my-surprise-it-changed-education-around-the-world-126519

David Didau, What do teachers need to know about Cognitive Load Theory?, 2019, https://learningspy.co.uk/psychology/what-do-teachers-need-to-know-about-cognitive-load-theory/

André Tricot, Qu’est-ce que la charge cognitive, 2020, https://synapses-lamap.org/2020/01/07/interview-quest-ce-que-la-charge-cognitive/

Ashman, Greg & Kalyuga, Slava & Sweller, John. (2019). Problem-solving or Explicit Instruction: Which Should Go First When Element Interactivity Is High?. Educational Psychology Review. 10.1007/s10648-019-09500-5.

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