samedi 13 avril 2019

Caractéristiques des écoles primaires (australiennes) efficaces accueillant un public défavorisé

Qu’est-ce qui fait qu’une école primaire accueillant un public défavorisé arrive à déjouer les pronostics et obtenir des résultats au-delà de la moyenne ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre Blaise Joseph, un chercheur en éducation australien et un ancien enseignant du secondaire. Voici une synthèse de son rapport, « Overcoming the Odds: A study of Australia’s top-performing disadvantaged schools », paru en mars 2019 :


(Photographie : Patrick Warner)

Cadre de l’étude


Dans le cadre de cette étude, il s’est rendu dans neuf écoles australiennes d’enseignement primaire prises parmi les dix-huit écoles, accueillant un public défavorisé, qui étaient les plus performantes lors de tests nationaux standardisés.

Il y a réalisé des entrevues avec les directions et avec des enseignants. Il a observé des cours de littératie (l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite) et de numératie (capacité à utiliser l’outil mathématique).

Ces écoles ne recevant pas plus de financement que d’autres écoles défavorisées de même nature, l’enjeu était de mettre en évidence l’existence de facteurs communs (en matière de management et de pratiques) pouvant expliquer leur efficacité.

Une limitation importante à l’étude est le nombre relativement réduit d’écoles visitées et l’absence de groupe témoin. Cela n’écarte donc pas la probabilité faible que les thèmes communs trouvés dans les neuf écoles puissent également se retrouver dans des écoles peu performantes. Néanmoins, les résultats de cette étude concordent avec les recherches antérieures sur le sujet en Australie et à l’étranger.




Intérêt de l’étude


Les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés obtiennent en moyenne de moins bons résultats scolaires que les élèves plus favorisés, tant en Australie qu’à l’étranger.

Actuellement, aucun pays au monde n’a réussi à éliminer l’impact des désavantages socio-économiques des élèves sur leurs résultats scolaires.

Peu de recherches ont été effectuées pour mettre en évidence les critères d’efficacité et de réussite scolaire pour un public issu de milieux socio-économiques défavorisés.

La relation négative entre les résultats scolaires des élèves et le désavantage socio-économique est bien établie. Cependant, rien ne permet de dire que le rendement des élèves est entièrement déterminé par leur statut socio-économique. 




La notion d’élève résilient


Le rapport de l’OCDE 2018 (1) définit les élèves comme résilients s’ils correspondent à deux conditions :
  • La première est qu’ils se situent dans le quartile inférieur en ce qui concerne le caractère socio-économique défavorisé. 
  • La seconde est qu’ils se retrouvent parallèlement dans le quartile supérieur pour leurs résultats en sciences au sein de leur pays.
Le rapport de l’OCDE 2018 (1) sur l’équité en éducation a été fondé sur les données PISA de 2015. Il a révélé que le statut socio-économique expliquerait en moyenne 12,9 % de la variation du rendement des élèves de 15 ans en sciences.

11,3 % des élèves défavorisés de 15 ans de l’OCDE sont résilients. Cela montre qu’il est possible qu’une proportion significative d’élèves issus de milieux défavorisés puisse figurer parmi les élèves les plus performants d’un pays. 

Une politique de l’éducation devrait être axée sur les éléments permettant de maximiser cette proportion dans la mesure du possible. 

Les élèves issus de milieux défavorisés peuvent obtenir de bons résultats scolaires à condition de disposer des bonnes politiques et pratiques d’enseignement.

Quelles sont-elles ? Le rapport pointe six thèmes communs trouvés dans les neuf écoles analysées.




1 : La discipline scolaire


La recherche montre que la discipline scolaire et des approches efficaces de gestion du comportement des élèves peuvent être encore plus importantes que le financement scolaire pour aider les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés à réussir.
  • Une étude réalisée en 2018 par l’OCDE (2) a révélé qu’en Australie, il existait une relation positive significative entre la discipline scolaire et la proportion d’élèves défavorisés qui obtiennent de bons résultats. Cependant, il n’y avait pas de relation significative entre les ressources scolaires et les élèves défavorisés qui obtiennent de bons résultats.
  • Des recherches menées par des universitaires de l’Université Macquarie (Sydney, Australie) (3) indiquent que la discipline scolaire au secondaire explique beaucoup plus la variation des résultats au PISA (88 %) que le financement scolaire (12 %).

Dans les neuf écoles concernées par l’enquête, la discipline scolaire est vue comme un précurseur de l’apprentissage. L’accent mis sur un environnement scolaire positif, sûr et ordonné, contribue de façon importante à la réussite scolaire.

La cadre favorable dans cette étude est un environnement d’apprentissage sûr, positif et ordonné, et d’une discipline efficace obtenus grâce à :
  • Des attentes élevées
  • Un ensemble clair de règles et de routines de classe appliquées de manière cohérente et uniforme : les enseignants donnent des instructions explicites sur la façon dont les élèves doivent se comporter en classe
  • Une gestion des écarts de comportement scolaire appliquée de manière uniforme et centralisée

Toutes les écoles se définissent un certain nombre de valeurs fondamentales positives que les élèves sont censés connaître et auxquelles ils doivent toujours se conformer. Cela contribue à la création d’une culture scolaire positive où les mauvais comportements en classe sont rares et inacceptables :
  • Les élèves sont encouragés à se sentir responsables de leur école
  • Les enseignants ne se sentent jamais seuls pour gérer la mauvaise conduite des élèves
  • Les écoles acquièrent ainsi la capacité intrinsèque d’intégrer rapidement les nouveaux élèves dans un climat scolaire positif

Les écarts aux règles et routines sont rapidement corrigés d’une manière calme. Les exclusions de classe et les renvois sont dès lors rarement nécessaires. Même les inconduites mineures à l’extérieur de la salle de classe sont considérées comme inacceptables. Les cours d’école, les salles de classe et les couloirs sont maintenus propres et en ordre.



2 : Instruction directe et enseignement explicite


Toutes ces écoles adoptent un enseignement explicite, guidé par l’enseignant, selon les principes mis en évidence par Barak Rosenshine.  

Le rapport présente aussi la grille d’observation utilisée pour observer une leçon donnée selon une pédagogie explicite :



Le rapport de Blaise Joseph discute de la question des données probantes justifiant l’enseignement explicite et met en avant quelques références récentes et pertinentes sur le sujet :

1) Une méta-analyse récente (Stockard, 2018 - 4) qui a examiné les résultats de plus de 300 études sur 50 ans a conclu que l’enseignement direct a des effets positifs importants sur le rendement des élèves. Cela se vérifie dans toutes les matières et sur les indicateurs non scolaires, y compris pour les élèves défavorisés.

2) Un récent rapport de l’OCDE (2018 - 5) s’intéressant aux élèves de 15 ans a conclu que l’enseignement des sciences dirigé par l’enseignant est positivement associé aux résultats scientifiques. Cela se vérifie dans presque tous les pays, quels que soient le financement, l’environnement scolaire, la compétence des élèves et le contexte socio-économique.

3) Une analyse des résultats PISA par McKinsey en 2107 (6) a révélé que l’enseignement le plus efficace implique une combinaison d’un enseignement principalement direct avec une quantité moindre de mises en situation et de questionnements. Ces derniers peuvent être considérés comme l’opposé de l’enseignement direct et sont plutôt axés sur les activités menées par les élèves avec un contenu pédagogique nouveau et un encadrement minimal par l’enseignant.

4) L’enseignement direct est presque toujours une pratique d’enseignement bénéfique. Toutefois des preuves indiquant que les élèves des écoles défavorisées sont moins susceptibles de recevoir un enseignement explicite, selon un rapport de l’OCDE en 2107 (7). 

5) Deux études de 2015 (8) portant sur des écoles très performantes en Australie ont constaté que l’enseignement direct est une pratique courante dans les écoles qui se distinguent par leur réussite.

Dans la cadre de l’enquête, ces écoles efficaces considèrent que l’enseignement direct est un élément central de leur approche en matière d’enseignement, particulièrement en littératie et en numératie.

Presque tous les enseignants interrogés ont déclaré qu’ils utilisaient l’enseignement direct dans chaque leçon, en particulier pour les nouveaux contenus et au début des leçons.

Certaines écoles avaient même un modèle d’enseignement à l’échelle de l’école que tous les enseignants utilisent, avec une structure fixe et un temps spécifique pour l’enseignement direct en cours.

Une pédagogie constructiviste est néanmoins utilisée dans certaines de leurs activités, mais de manière générale pas en ce qui concerne la littératie et la numératie.

La raison avancée par ces écoles du peu d’usage d’une pédagogie constructiviste est qu’elle pose problème spécifiquement pour les élèves défavorisés. Elle exige souvent des connaissances de base que les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés peuvent ne pas posséder. Il est donc indispensable que ces connaissances soient au contraire explicitement enseignées à l’école.

La pédagogie constructiviste en Australie est associée à des résultats nettement inférieurs en sciences dans les écoles où le climat disciplinaire est médiocre. Elle n’est pas associée à des résultats nettement supérieurs en sciences même dans les écoles où le climat disciplinaire est bon, selon un rapport de l’OCDE en 2108 (5).




3 : Direction d’école expérimentée et autonome


Des directeurs d’école efficaces ont un impact positif majeur sur les résultats des élèves et sont essentiels à l’amélioration des résultats scolaires selon un rapport de l’OCDE en 2108 (5).

L’enquête met en évidence la nécessité d’avoir en matière d’efficacité de la direction :
  • Une direction d’école stable et à long terme. Les directeurs d’école plus expérimentés auront généralement une meilleure compréhension pratique des moyens d’accroître l’efficacité scolaire. Les changements positifs prennent probablement plusieurs années pour se traduire par de meilleurs résultats.
  • Une direction qui dispose d’autonomie :
    • Pour sélectionner un personnel scolaire de grande qualité et enthousiaste pour faire partie de la culture de l’école
    • Pour pouvoir utiliser leur budget afin de répondre aux besoins particuliers de leur communauté scolaire





4 : Pratiques fondées sur des données.


Une quatrième caractéristique mise en évidence est l’utilisation des données provenant des évaluations internes et externes pour éclairer et améliorer l’enseignement, suivre les progrès des élèves et faciliter l’intervention auprès des élèves en sous-performance.

Cela implique une approche cohérente à l’échelle de l’école. Le personnel enseignant et plus largement éducatif s’approprie les données relatives à leurs élèves et s’en sert de façon proactive pour affiner les pratiques pédagogiques au fil du temps, avec des collaborations entre collègues.

Cela implique aussi que la collecte de données a comme finalité son utilisation à des fins spécifiques. Il ne peut s’agir d’une tâche administrative qui se suffirait à elle-même.

Cela concorde avec les multiples études (9) montrant que les écoles à haut rendement utilisent les données de façon exhaustive et systématique pour améliorer les pratiques des enseignants et le rendement des élèves.




5 : Collaboration des enseignants et développement professionnel


Il y a une mise en avant des pratiques collaboratives entre membres du personnel en dehors des cours pour répondre aux besoins souvent complexes des élèves défavorisés :
  • Réunions de planification des cours
  • Examen des progrès individuels des élèves
  • Discussions et prise de décision sur les moyens d’aider les élèves en difficulté

L’accent est également mis sur le développement des compétences professionnelles des enseignantes et enseignants, par :
  • L’observation des leçons par les pairs :
    • Le principal avantage est d’avoir une discussion après coup durant laquelle les enseignants peuvent réfléchir à la façon dont ils enseignent avec un collègue qui leur apporte son soutien. 
    • Une étude sur les écoles très performantes (8) a révélé que l’observation par les pairs et le coaching en classe sont largement pratiqués par les équipes scolaires qui réussissent.
  • Le mentorat des nouveaux enseignants :
    • L’objectif est de garantir qu’ils sont au courant des pratiques de l’école et de la manière d’aider certains élèves désavantagés. 
    • Ce sont des enseignants expérimentés et efficaces qui encadrent les nouveaux. 
    • Le mentorat des nouveaux enseignants est un investissement important et contribue à la cohérence de l’équipe enseignante d’un groupe d’âge à l’autre.
  • La participation à des activités pratiques et ciblées de perfectionnement professionnel rigoureux pour améliorer l’enseignement. 
    • Une priorité est à accorder au perfectionnement professionnel des enseignants dans des domaines précis où des améliorations s’imposent. 
    • Des recherches récentes (8) indiquent qu’une approche ciblée de l’apprentissage professionnel sur des sujets pratiques à l’intention des enseignants est largement répandue dans les écoles très performantes.

Vu les besoins complexes de nombreux élèves défavorisés de ces écoles, il n’est pas possible pour un enseignant ou membre du personnel isolé de pouvoir aider tous les élèves individuellement. Ces écoles adoptent une approche coordonnée impliquant tous les intervenants afin de répondre globalement aux besoins individuels des élèves. Il est nécessaire de veiller à ce que les enseignants — en particulier ceux qui sont nouveaux dans l’école — ne soient pas laissés seuls au travail.

Plusieurs études (10) ont montré que l’utilisation efficace du temps des enseignants à l’extérieur de la salle de classe pour planifier les leçons et améliorer l’enseignement peut améliorer considérablement le rendement des élèves




6 : Enseignement complet de la lecture à un jeune âge



Celui-ci recouvre les cinq éléments essentiels à l’enseignement de la lecture :
  1. La conscience phonémique : c’est la prise de conscience que le langage parlé est composé de sons élémentaires, les phonèmes, qui sont les plus petites unités de la parole. Il s’agit d’identifier et manipuler les sons individuels dans les mots parlés.
  2. La phonétique : Elle représente graphiquement les sons indépendamment de l’orthographe. Il s’agit de décoder les mots en utilisant la connaissance des relations entre les lettres et les sons.
  3. La fluidité : il s’agit de développer une lecture rapide et précise.
  4. Le vocabulaire : il s’agit de connaître le sens de beaucoup de mots et la structure du langage écrit. 
  5. La compréhension : il s’agit de comprendre et de pouvoir interpréter des textes. 

Il existe un nombre écrasant de recherches sur l’importance d’un enseignement explicite et complet de la lecture au primaire comprenant ces cinq éléments clés, surtout pour les élèves défavorisés.

La capacité de lecture dans les premières années d’école est cruciale. Elle influe fortement sur les compétences ultérieures en littératie et sur le rendement dans toutes les matières (11). Cela signifie qu’un enseignement de qualité de la lecture à l’école primaire est particulièrement important.

Les milieux familiaux défavorisés peuvent avoir une incidence importante sur les compétences en littératie des élèves lorsqu’ils entrent à l’école, ce qui signifie qu’un enseignement efficace de la lecture est particulièrement important pour ces élèves (11).

Un enseignement explicite de la conscience phonémique et de la phonétique réduit considérablement l’écart de lecture entre les élèves défavorisés et les élèves avantagés (11).




Conclusions


Ces six thèmes communs aux neuf écoles primaires australiennes particulièrement performantes pour un public défavorisé ont des implications importantes :
  1. Même si aucun pays du monde n’a réussi à éliminer les inégalités en matière d’éducation, un système scolaire plus efficace pour les élèves défavorisés est possible si l’on adopte des politiques fondées sur des données probantes.
  2. Les écoles primaires défavorisées pourraient potentiellement s’améliorer de manière significative, sans nécessairement nécessiter davantage de fonds publics.
  3. Avec un ensemble approprié de politiques et de pratiques efficaces, des élèves issus de milieux défavorisés peuvent toujours obtenir des résultats supérieurs à une moyenne nationale en littératie et en numératie.

Mis à jour le 08/04/2023

Bibliographie


Blaise Joseph, Overcoming the Odds: A study of Australia’s top-performing disadvantaged schools, Research Report 39 (RR39) (2019) www.cis.org.au.

(1) OECD. 2018. Equity in Education: Breaking down barriers to social mobility. http://www.oecd.org/ education/equity-in-education-9789264073234-en. htm p. 27 


(2) OECD. 2018. In which countries and schools do disadvantaged students succeed? https://www. oecd-ilibrary.org/education/in-which-countries- and-schools-do-disadvantaged-students- succeed_66e037e8-en pp. 4–5 


(3) Krskova, H., & Baumann, C. 2017. School discipline, investment, competitiveness and mediating educational performance. International Journal of Educational Management, 31(3), pp. 293–319 


(4) Stockard, J., Wood, T., Coughlin, C., & Rasplica Khoury, C. 2018. The effectiveness of direct instruction curricula: a meta-analysis of a half century of research. Review of Educational Research, 88(4), pp. 479–507

(5) OECD. 2018. How do science teachers teach science - and does it matter? https://www.oecd- ilibrary.org/education/how-do-science-teachers- teach-science-and-does-it-matter_f3ac3fd6-en p. 4

(6) Mourshead, M., Krawitz, M, & Dorn, E. 2017. How to improve student educational outcomes: New insights from data analytics. McKinsey & Company. https://www.mckinsey.com/industries/social-sector/ our-insights/how-to-improve-student-educational- outcomes-new-insights-from-data-analytics

(7) OECD. 2017. How do schools compensate for socio- economic disadvantage? https://www.oecd-ilibrary. org/education/how-do-schools-compensate-for- socio-economic-disadvantage_a77ee9d5-en p. 4

(8) Louden. 2015; NSW Centre for Education Statistics and Evaluation. 2015

(9) Dobbie & Fryer. 2013; NSW Centre for Education Statistics and Evaluation. 2015

(10) Aslam, M., & Kingdon, G. 2011. What can teachers do to raise pupil achievement? Economics of Education Review, 30(3), pp. 559–574; Moonsri, A., & Pattanajak, A. 2013. Lesson planning in primary school using lesson study and open approach. Psychology, 4(12), pp. 1064–1068

(11) NSW Centre for Education Statistics and Evaluation. 2017b. Effective reading instruction in the early years of school. https://www.cese.nsw.gov.au/ publications-filter/literature-review-effective- reading-instruction-in-the-early-years-of-school

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