lundi 23 avril 2018

L'erreur fondamentale d'enseigner avec les intelligences multiples, les style ou profils d'apprentissage des élèves

Tout être humain est susceptible d’avoir des préférences quant à sa manière d’apprendre et nous pouvons nous demander dans quelle mesure c’est un garant d’efficacité de l’apprentissage. 

Dès lors, tenir compte ou accentuer de telles préférences chez nos élèves est probablement une erreur si nous souhaitons leur enseigner efficacement.


(Photographie : Allan McDonald)



Des publications pédagogiques fallacieuses


Les étals des libraires regorgent de publications pédagogiques scientifiquement fallacieuses et leurs idées s’insinuent parfois dans la formation continue des enseignants :







Heureusement, il semble que le travail de dénonciation de tels neuromythes commence à faire ces effets et que leur utilisation est en régression, notamment dans le cadre de la formation initiale et continuée des enseignants. 

Mais intéressons-nous aux failles fondamentales de telles démarches !

Si nous prenons l’exemple du style d’apprentissage, attribué par un questionnaire dont la validité scientifique est douteuse, ou autoattribué par des élèves est indépendant :
  • De leurs capacités réelles
  • Des contenus spécifiques de la matière considérée. 
Lorsque nous parlons des styles ou de profils d’apprentissage, de même que des intelligences multiples, il faut considérer que ce sont des croyances et en rien des faits scientifiquement établis. Ils sont dépourvus de toute base scientifique probante quant à leurs bénéfices supposés en pédagogie et pour l’apprentissage.

Ces croyances si elles sont soutenues et non contrées sont susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur l’apprentissage et les progrès des élèves. La suite de l’article sera plus spécifiquement consacrée à celle des styles d’apprentissage, mais la même logique s’applique pour les autres modèles.



Une préférence n'est pas une capacité


Nous ne pouvons pas le nier : les élèves s’attribuent naturellement des préférences quant à la façon dont ils apprennent :
  • De nombreux élèves déclarent préférer étudier visuellement
  • D’autres disent avoir besoin d’entendre et de parler
  • Certains élèves revendiquent avoir besoin d’écrire ou de bouger pour étudier. 
Ces préférences subjectives et sans fondements objectifs sont malencontreusement assimilées à des styles d’apprentissage.

Malheureusement, les recherches sont formelles, lorsque ces tendances sont mises à l’épreuve et testées dans des conditions contrôlées, elles ne font aucune différence : l’apprentissage est équivalent, que les élèves apprennent dans leur mode préféré ou non.



Des préférences sans liens directs avec des capacités réelles


Nous pouvons nous poser la question de la raison de ces préférences pour un mode de présentation donné qu’il soit visuel, auditif ou kinesthésique.

Il pourrait s’agir d’une préférence pour des tâches pour lesquelles nous avons de grandes capacités, mais aussi dans lesquelles nous nous sentons bien.

Nous pouvons donc identifier des préférences qui sont en réalité indépendantes des capacités. Ce n’est pas parce que nous avons un mode d’apprentissage favori que celui-ci est le plus efficace pour nous. Ce n’est pas parce qu’une manière d’apprendre semble plus facile et agréable qu’elle est la plus efficace. La notion de difficulté désirable va à l’encontre de cette idée.



Déterminer l'approche en fonction du contenu


La trace en mémoire dépend du contenu pas d’un style d’apprentissage


Le cerveau ne fonctionne pas comme certaines théories sur les styles d’apprentissage (plus particulièrement celle distinguant les apprenants visuels, auditifs ou kinesthésiques) le suggèrent. Même s’il est vrai que nous pouvons stocker des souvenirs dans n’importe lequel de ces trois formats précités.

La différence fondamentale est que la nature du stockage est fonction du type d’information mémorisée et non du style d’apprentissage :
  • S’il nous est demandé à quoi ressemble un berger allemand, il est plus que probable que nous visualiserons une image mentale de l’animal et cette information est stockée « visuellement ».
  • S’il nous est demandé, entre deux personnes connues, laquelle a une voix plus grave, nous écouterons en quelque sorte l’oreille de l’esprit et ces sons sont stockés de manière « auditive ».
  • Les mouvements que nous utilisons pour faire du vélo ou attacher nos lacets seront stockés de façon « kinesthésique ».



Les contenus déterminent la nature des apprentissages


Mettre en évidence des préférences qui sont indépendantes du contenu est une proposition délicate et absurde.

La théorie des styles d’apprentissage prétend que nous pourrions choisir une approche visuelle, auditive, voire kinesthésique, indépendamment du sujet. Or c’est la nature de la connaissance qui va imposer l’approche dominante.

La méthode pédagogique optimale est en effet susceptible de varier d’une discipline à l’autre.

Par exemple, la méthode d’enseignement de la géométrie la plus efficace et la plus efficiente exige évidemment des supports visuels et spatiaux.



La nature de l’apprentissage dépend du mode d’apprentissage


Considérons un apprenant visuel et un apprenant auditif :

Supposons que nous donnions à chacun d’eux deux listes de mots de vocabulaire à apprendre. Pour une liste que nous lisons à haute voix selon le principe d’une présentation auditive et pour l’autre liste, nous montrons les mots par une série de diapositives, selon le principe d’une présentation visuelle.

Plus tard, les deux apprenants passent un test. Selon le principe des styles d’apprentissage, la prédiction est simple, les apprenants visuels devraient apprendre les diapositives mieux que les mots entendus et les apprenants auditifs devraient apprendre les mots entendus mieux que les diapositives.

Des chercheurs ont fait cette expérience et n’ont pas confirmé ce résultat.

Le fait est que nous n’apprenons pas le vocabulaire de manière visuelle ou auditive :
  • Un test auditif porterait sur la prononciation et l’accent, sur le décodage oral et l’intonation.
  • Un test visuel porterait sur les qualités visuelles particulières des diapositives, sur l’orthographe des mots.



Une mémorisation profonde passe à travers le sens grâce à une pédagogie efficace


Le sens


À ces deux composantes « visuelle » et « auditive » s’ajoute une troisième, celle du traitement du sens.

Lorsque nous demandons aux élèves de mémoriser des mots, au-delà de leur prononciation et de leur orthographe, la signification de ceux-ci reste un moteur essentiel. L’intégration du sens est la finalité de l’apprentissage. Les deux autres conditions toutes essentielles qu’elles sont ne sont que des facettes. Nous visons des connaissances pleinement intégrées dans des schémas et mobilisables sous forme de chunks.

La plupart des enseignants veulent que les élèves apprennent non pas l’information visuelle ou auditive ou kinesthésique, mais le sens d’un mot ou d’un concept. Cette signification est indépendante du chemin pris pour l’éveiller ou la construire.

Il est évident qu’une part de nos connaissances est basée sur de l’identification ou de l’expression auditive, kinesthésique ou visuelle. Cependant, il n’y a pas de preuves que les gens avec une bonne mémoire auditive seront meilleurs à l’apprentissage auditif que les gens avec une mémoire auditive moyenne.

En conclusion, nous avons tous besoin des différentes approches en fonction du contenu et leur utilisation différentielle n’en fait pas des styles d’apprentissage. En tant que styles indépendants, ceux-ci n’ont pas d’existence.



Une pédagogie efficace


Différencier nos cours en fonction d’une diversité supposée de styles ou profils d’apprentissage des élèves équivaut à une démission face au professionnalisme attendu dans nos missions d’enseignant.

C’est considérer que tous les élèves ne sont pas aptes à apprendre des contenus tels qu’ils sont et qu’ils ne peuvent en acquérir qu’une vision biaisée par leur canal préférentiel. 

C’est renoncer à leur apprendre des stratégies pour compléter leur palette et leur permettre de progresser.

C’est leur laisser se mettre des œillères et s’enfermer dans des croyances fallacieuses qui peuvent nuire à leurs orientations futures.

Enseigner consiste à offrir aux élèves une pédagogie qui leur permet d’accéder à l’apprentissage dans toute sa complexité, c’est apporter des solutions pour que tous puissent apprendre. Cela suppose que ces pratiques soient appuyées et validées par des données probantes.

Des pistes comme l’enseignement explicite, l’enseignement des stratégies d’apprentissage autonome ou l’apprentissage coopératif peuvent par contre s’appuyer sur des données probantes. 

L’usage de pratiques comme le modelage, la vérification de la compréhension, la pratique guidée puis autonome, les organisateurs graphiques, les devoirs, la rétroaction, la pratique de récupération, les révisions ou l’évaluation formative est à privilégier. Ces approches offrent des réponses réellement efficaces aux difficultés des élèves et à l’hétérogénéité des classes. Ce sont de telles pistes que nous devons privilégier en tant qu’enseignants. 



Une confusion entre engagement et apprentissage


Comme l'explique Graham Nuthall (2007), les styles d'apprentissage sont fondamentalement basés sur l'idée d'aller susciter la motivation des élèves. 

L'accent mis par certains sur sur les styles d'apprentissage illustre l'une des confusions courantes entre l'engagement et l'apprentissage. 

Régulièrement ce que proposent des enseignants en classe est encore basé sur la conviction que si les élèves sont intéressés et impliqués dans une activité, forcément ils en tireront des apprentissage pertinents. Être attentif et engagé est assimilé à l'apprentissage. 

Cependant, les élèves peuvent être très motivés et activement engagés dans des activités intéressantes en classe, sans pour autant apprendre quoi que ce soit de nouveau. L'apprentissage nécessite de la motivation, mais la motivation ne conduit pas nécessairement à l'apprentissage.




Mis à jour le 21/11/2021

Bibliographie


Dinham, Stephen (2016). Students are not hard-wired to learn in different ways—we need to stop using unproven, harmful methods. The Conversation. https://theconversation.com/students-are-not-hard-wired-to-learn-in-different-ways-we-need-to-stop-using-unproven-harmful-methods-63715

Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning styles: Concepts and evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9, 105–119.

Riener, Cedar & Willingham, Daniel. (2010). The Myth of Learning Styles. Change: The Magazine of Higher Learning. 42. 32–35. 10.1080/00091383.2010.503139.

Willingham, Daniel (2008). Learning Styles don’t exist. https://www.youtube.com/watch?v=sIv9rz2NTUk

Willinghalm, Daniel (2018). Learning Styles FAQ. http://www.danielwillingham.com/learning-styles-faq.html

Graham Nuthall, The Hidden lives of learners, 2007, NZCER Press

4 commentaires:

  1. Partager des réflexions et des paradigmes qui soient en mesure de promouvoir et d'optimiser des conditions d'outillage en profondeur .
    Parler d'apprentissage s'avère sans lendemain ā l'ère du 21ème siècle .
    Les softskills et bien d'autres stratégies exigent des chercheurs et des professionnels de l'éducation et de la formation de s'evertuer pour entrevoir d'autres modalités et approches alternatives pour donner du sens au quotidien pėdagogique et réhabiliter un métier qui risque de disparaître

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    1. Le seul écueil (de poids ), avec cette vision est que la cognition elle n'est pas du XXIème siècle mais a été inscrite profondément dans l'ADN de notre espèce par l'évolution sur des dizaines de milliers d'années. Là, on ne révolutionnera pas grand chose. Donc, non, le métier ne risque pas de disparaître. Ce qui disparaîtra c'est de vouloir en faire autre chose.

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  2. Bonjour,
    A l'inverse des auteurs qui affichent clairement leur CV et leur nom, il est difficile d'identifier l'auteur de ce site qui sous le couvert d'un article et de références bibliographiques prêchent pour sa nouvelle. Par rapport à mes ouvrages, si vous les aviez lu ne fut-ce que celui sur la ligue des talents vous auriez compris que nous n'utilisons les intelligences multiples que comme grille de lecture pour proposer une méthode d'enseignement qui favorise la diversification des pratiques et des pédagogies. Qu'il est triste de critiquer et non de bâtir ! Qu'il est triste de se contenter de critiquer sans savoir et de n'apporter aucune réponse aux besoins des élèves et des enseignants. N'hésitez pas à me contacter si vous voulez en discuter, il y a moyen de me trouver aisément... Bien à vous Renaud Keymeulen

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  3. J'ai lu ce genre d'ouvrages je pense les connaître presque tous. Le pb ce n'est pas que c'est infondé ou faux. C'est plutôt le contraire mais cela pose de gris soucis : déjà pour déterminer le profil d'un élève il faut observer,prendre le temps, l'avoir, être capable de cet analyse et se fonder sur ses dires. Les tests types nexistent pas vraiment. C'est avec l'expérience qu'on est capable de finaliser un profil. Et encore, ce n'est jms Exactement ce profil donne dans le livre. J'ai personnellement mon propre référentiel non officiel. Oui, le caractère, les motivations, cela joue sur le profil des apprenants. Les sept profils ( le bouquin ) est très bien fait. Mais une telle approche non seulement ne tient pas compte d'un groupe classe mais est irréalisable et ingérable avec plusieurs élèves. A plus de huit c'est pour moi impossible et cela n'est utile qu'en cours particuliers. Au final la différenciation ne se fait que par groupe et grâce à du travail autonome permettant de moduler la vitesse de travail et les approches mais si on devait mettre en place ce travail de profil on mettrait trois ans à cerner les gamins avant d'être capable dappliquer.

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