dimanche 22 avril 2018

Les styles d’apprentissage, une vision délétère de la différence entre élèves

Visuel ? Auditif ? Kinesthésique ? Cette division en trois canaux de perception est un exemple de classification en styles d’apprentissage. Mais il y en a bien d’autres, de l’ennéagramme aux tests MBTI.

Nous pouvons retracer la lignée des théories associées aux styles d’apprentissage, jusqu’à sa première théorisation typologique moderne dans le domaine de la personnalité. Celle-ci avait été entreprise par le psychiatre et psychanalyste C. G. Jung en 1964.


(Photographie : Jason Vaughn


Myers Briggs Type Indicator (MBTI) et Ennéagramme 


Les idées de Jung ont été explicitement incorporées dans un test psychologique populaire développé aux États-Unis, le test Myers-Briggs. Celui-ci propose de classer les individus selon seize types de personnalités précisément décrits et identifiés.

Séduisant, car souvent flatteur, ce test est devenu très populaire à partir des années 1940 et reste largement utilisé jusqu’à ce jour.

Le Myers-Briggs catégorise les gens en un certain nombre de groupes, fournissant des informations que sont dites utiles pour prendre des décisions professionnelles. Malheureusement, l’approche présente une faille importante :

L’hypothèse selon laquelle les individus peuvent être classés en groupes distincts, tels qu’autoévalués par ce test, n’a reçu que peu d’appui des études objectives.

Cette classification ne possède dès lors pas de base scientifique solide et crédible. Toutefois, ce manque de soutien n’a rien fait pour en atténuer la popularité.

Une problématique identique existe au sujet de l’ennéagramme. L’ennéagramme est un modèle de la structure de la personne humaine. Il ne possède pas non plus base psychologique ou relationnelle scientifiquement reconnue. Cela ne l’empêche pas de s’infiltrer parfois dans le développement professionnel souvent en lien avec la PNL (tout autant problématique) et en jouant sur le flou du développement personnel.



Une large famille de systèmes et modèles sur les styles d’apprentissage


De nombreux différents systèmes ou modèles de styles d’apprentissage ont été proposés au fil des ans. Nous pouvons en retrouver un certain nombre catalogué ici par Marie Gaussel : https://edupass.hypotheses.org/1049.




La typologie VAK


La conception traditionnellement la plus populaire des styles d’apprentissage assimile le style au sens préféré par lequel nous recevons de l’information, elle distingue les typologies (connues sous le sobriquet VAK) :
  • V ou visuelle : apprendre mieux par l’image
  • A ou auditive : apprendre mieux en entendant
  • K ou kinesthésique : apprendre mieux par le toucher et le mouvement

La notion de « styles d’apprentissage » fait référence à l’idée que différentes personnes apprennent l’information de différentes manières :
  • Le style d’apprentissage est la façon dont chaque apprenant commence à se concentrer dans le but de traiter, absorber et assimiler les informations nouvelles et difficiles.
  • Il serait nécessaire de déterminer ce qui est le plus susceptible de déclencher la concentration de chaque élève, comment la maintenir et comment réagir à son style de traitement naturel pour produire une mémorisation à long terme.

La revendication au centre de la théorie des styles d’apprentissage est la suivante : différents élèves ont différents modes d’apprentissage, et leur apprentissage pourrait être amélioré en faisant correspondre leur enseignement avec ce mode d’apprentissage préféré. 

Certaines affirmations générales des partisans des styles d’apprentissage font l’objet d’un consensus presque universel, fondé sur une abondance de preuves. D’autres affirmations sont à réfuter, ou à nuancer. Nous allons en explorer certaines.




Tous les apprenants sont différents


Les apprenants sont différents les uns des autres, ces différences affectent leurs performances, et les enseignants devraient tenir compte de ces différences. 

Bon nombre de chercheurs s’emploient à mettre en évidence les principes généraux de l’apprentissage. Cependant, ils reconnaissent d’une même manière que s’il y a de multiples dénominateurs communs, il y a également des différences entre les élèves.

Comprendre la nature de ces différences et ce qu’elle implique, et appliquer cette compréhension à travers les pratiques des enseignants en classe classe peut certainement améliorer l’éducation de chacun.

Il est probablement vrai que certaines personnes ont des images claires et précises et que d’autres ont des images floues et non détaillées quand elles se concentrent pour penser intensément à quelque chose.

Presque toutes les caractéristiques des individus vont varier. Cela peut être la taille, le poids ou la mémoire visuelle. Dans ce sens, nous pouvons résolument admettre que certaines personnes sont de meilleurs penseurs visuels tandis que d’autres vont exceller et préférer développer une réflexion verbale.

Intuitivement en nous basant sur ce bon sens et sur ce qui parait une évidence, nous pourrions nous dire que cette théorie particulière des styles d’apprentissage devrait être correcte d’un point de vue scientifique.

Il nous faut nuancer ce point de vue.


Origines des différentes


Commençons par nous intéresser aux facteurs principaux à l’origine des différences entre élèves :

  • Les facteurs génétiques et l’intelligence
  • L’intérêt des élèves
  • L’auto-efficacité
  • L’attention
  • Les troubles de l’apprentissage (dyslexie, déficiences visuelles ou auditives, etc.)
  • Les expériences antérieures
  • L’origine familiale : culture et origine socio-économique

Ces multiples différences entre élèves vont avoir une influence dans un sens ou dans un autre sur leurs connaissances de préalables et sur ce qu’ils vont apprendre concrètement à l’école. Ces effets ont tendance à s’accumuler avec le temps tout le long de la scolarité.

Comme les connaissances préalables sont très importantes pour la profondeur et la durabilité des apprentissages et la capacité de transfert proche, nous percevons directement la nature de l’effet. L’environnement de l’élève et ses expériences personnelles vont avoir une influence déterminante sur ses connaissances préalables. D’autres facteurs peuvent compenser comme l’intelligence, l’intérêt ou l’auto-efficacité.

Nous pouvons prendre l’exemple de l’apprentissage des mathématiques. Dans ce cadre, la connaissance des notions de base et l’automatisation de procédures de calcul basiques est un prérequis à l’acquisition ultérieure de notions plus complexes et à la résolution de tâches complexes. Il s’agit par exemple des tables de multiplications, des priorités algébriques ou des opérations basiques de soustraction et d’addition.

Ces différences influent également sur les stratégies et les approches liées à l’apprentissage qui profitent à l’élève considéré. Elles déterminent également le niveau soutien et le mode de guidage particulier dont il a besoin.

Un certain nombre de dimensions varient d’une personne à l’autre et sont connues pour affecter l’apprentissage. Cependant, l’accent mis sur les styles d’apprentissage se fait au détriment de l’attention portée à l’ensemble des dimensions qui influencent les différences entre les élèves.

Nous pouvons postuler que les besoins principaux des élèves ne correspondent pas à des styles d’apprentissages. Ils correspondent à la fois à là où il en est actuellement, et là où nous voulons l’amener par l’enseignement. Se focaliser sur les styles d’apprentissage se fait au détriment d’approches utiles qui prennent en compte de dimensions concrètes chez les élèves et leurs besoins réels en matière d’apprentissage.



Que faire pour faire reculer l’usage des styles d’apprentissage


Il ne suffit pas de dénoncer les usages faits des styles d’apprentissage ou d’indiquer aux enseignants concernés qu’ils sont dans l’erreur.

Il nous faut également pouvoir leur proposer une alternative. À ce titre, la théorie du double codage est une alternative engageante. 

Différents articles abordent ce sujet :
Voici un exemple ci-dessous d’une telle substitution est celui entre le contenu d’une page issue d’un fascicule à l’intention d’élèves du début du secondaire avec plus bas la proposition de changement.


Contre-proposition :




Pour comprendre, apprendre et réfléchir à l’école, nous avons besoin de notre mémoire de travail.

Notre mémoire de travail est notre conscience, elle représente ce à quoi nous pensons à un moment donné. 

Elle a une capacité limitée et ne peut contenir que de trois à cinq informations différentes nouvelles. De plus, elle a une durée limitée de quelques secondes que nous pouvons prolonger en nous répétant ces informations.

Lorsque nous traitons suffisamment en profondeur une information, suffisamment longtemps et suffisamment souvent, celle-ci peut être transférée dans notre mémoire à long terme.

Une fois qu’une information est dans notre mémoire à long terme, elle est apprise et nous nous en souvenons longtemps, à moins que l’oubli passe par là.

L’objectif de l’école est d’accumuler des connaissances connectées les unes aux autres dans notre mémoire à long terme.

La seule porte d’entrée de la mémoire à long terme est la mémoire de travail qui est limitée. Elle représente un goulet d’étranglement. C’est pour ça qu’apprendre est parfois compliqué et demande souvent des efforts.

Pour mieux apprendre, nous devons assimiler les nouvelles connaissances par petits morceaux et bien y réfléchir à la fois, de manière à les stocker en mémoire à long terme.

À l’école, notre mémoire de travail a deux portes d’entrée : nos yeux et nos oreilles.

Elle est capable de faire entrer deux types d’informations : de mots et des images.

Nous pensons toujours à des mots et à des images. 

Lorsque nous ne pensons qu’à des mots ou qu’à des images, notre mémoire de travail fonctionne moins bien. 

C’est pour cette raison que bien apprendre demande toujours de combiner des informations verbales (mots, paroles) et des informations visuelles (schémas, photos). De même que l’usage de nos yeux (lire et écrire) et de nos oreilles (écouter et parler) se combine pour nous permettre de mieux apprendre. Pour la même raison, nous avons besoin d’exemples concrets pour comprendre des notions complexes et abstraites.









Mis à jour le 08/11/21

Bibliographie


Dinham, Stephen (2016). Students are not hard-wired to learn in different ways—we need to stop using unproven, harmful methods. The Conversation. https://theconversation.com/students-are-not-hard-wired-to-learn-in-different-ways-we-need-to-stop-using-unproven-harmful-methods-63715

Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning styles: Concepts and evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9, 105–119.

Riener, Cedar & Willingham, Daniel. (2010). The Myth of Learning Styles. Change: The Magazine of Higher Learning. 42. 32–35. 10.1080/00091383.2010.503139.

Willingham, Daniel (2008). Learning styles don’t exist. https://www.youtube.com/watch?v=sIv9rz2NTUk

Willingham, Daniel (2018). Learning Styles FAQ. http://www.danielwillingham.com/learning-styles-faq.html

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