jeudi 16 juillet 2020

Un modèle historique de la métacognition et du contrôle cognitif (Flavell, 1979)

Enseigner est un processus long et complexe, si nous voulons qu’il génère un apprentissage durable et puisse rendre les élèves plus autonomes. Dans l’idée d’un transfert graduel de responsabilité des apprentissages de l’enseignant vers ses élèves, il est souhaitable qu’à un moment ces derniers deviennent détenteurs de leurs propres apprentissages. Une partie de la solution de l’équation tient à la métacognition.

(Photographie : Francesca Mach)


Par exemple, en tant qu’enseignants, nous souhaitons que quelques jours avant une épreuve sommative importante, nos élèves puissent se sentir prêts et relativement confiants. Nous voulons, lorsqu’ils vont revoir leur cours quelques jours auparavant, au moment où ils le referment, qu’ils soient en mesure d’estimer leur processus d’apprentissage sous contrôle.

Plus simplement, nous souhaitons que nos élèves soient capables d’effectuer une surveillance cognitive de leur travail, autrement dit faire preuve de métacognition et d’autorégulation dans leurs apprentissages.




Définir la métacognition


Le terme métacognition signifie littéralement "après, au-delà de, avec" la cognition.

La complexité apparente de la métacognition vient de faut que ce terme est relativement flou et tend à être générique dans ses nombreuses utilisations. De fait, la métacognition regroupe une variété de processus cognitifs différents. Les processus constituant la métacognition ont en commun la formation d’une représentation de nos propres états mentaux ou processus cognitifs.

John H. Flavell, un psychologue américain né en 1928, est par ailleurs crédité pour avoir inventé le terme métacognition. En 1976, il a défini la métacognition comme suit :
La métacognition se réfère à la connaissance que l’on a de ses propres processus cognitifs ou de tout ce qui s’y rapporte, par exemple les propriétés des informations ou des données pertinentes pour l’apprentissage. Par exemple, je m’engage dans la métacognition si je remarque que j’ai plus de mal à apprendre A que B ; si je me rends compte que je dois revérifier C avant de l’accepter comme un fait.
La danger lié à cette définition c'est qu'elle peut amener à réduire la métacognition est à la notion de "penser à ses popres pensées", ce qui en fait une définition quasiment circulaire et trop générale pour en faire quoi que ce soit. Sous cette forme, elle est comparable à la notion d'apprendre à apprendre qui ne nous fournit pas plus de clés pour un mode d'emploi.

Dès le départ, la métacognition a été considérée comme une fonction cognitive d’ordre supérieur comprenant de multiples processus, dont la surveillance, la régulation et l’orchestration de ceux-ci.

Une définition plus technique et intéressante est celle de Watkins (2001) pour qui elle est "la connaissance de nos processus de réflexion et le contrôle exécutif sur ces processus". Cela signifie que l'on peut objectiver certaines stratégies liées à la métacognition et exercer un usage sur son usage. Par exemple lorsqu'un élève s'emploie à récupérer des connaissances en mémoire à long terme et vérifie ensuite l'exactitude de ses réponses, nous nous retrouvons bien dans un processus métacognitif.

John H. Flavell ne s'est pas contenté de définir la métacognition. Il a également écrit un article important, Metacognition and Cognitive Monitoring (1970), où il développe un modèle d'importance influant sur la métacognition.  Il a de même proposé une première taxonomie majeure de la métacognition. Depuis, une série d’autres taxonomies ont été développées et sont utilisées pour générer une grande variété de questionnaires d’auto-évaluation, d’outils et d’approches liées à la métacognition. 



Le modèle de la métacognition de Flavell (1979)


Le modèle de Flavell définit ce qu’est la connaissance métacognitive. Il explique comment elle se manifeste et quels sont les principaux facteurs qui influencent le plus probablement son contenu et son développement.

Flavell commence par noter que les jeunes enfants sont assez limités dans leur connaissance et leur cognition sur les phénomènes cognitifs, autrement dit sur la métacognition. Ils surveillent relativement peu leur propre mémoire, leur compréhension et leurs autres démarches cognitives. Si l’on se place dans une perspective actuelle, cette vision semble judicieuse. Les neurosciences ont pu confirmer que le développement du contrôle cognitif est fonction de l’âge et progresse régulièrement de l’enfance à l’âge adulte.

Flavell pose également en 1979 une question qui préoccupe encore aujourd’hui au-delà de multiples avancées. Que pourrait-il y avoir à apprendre pour un enfant ou un adolescent dans le domaine de la métacognition ? Autrement dit, quels sont les connaissances et le comportement d’un adulte qui pourraient constituer la cible mentale du développement dans ce domaine, vers laquelle l’enfant progresse ? 

Une difficulté liée à la métacognition est que nous pouvons la considérer comme une compétence générale. Celle-ci peut être considérée comme cognitive générique et biologiquement primaire selon la perspective de la théorie de la charge cognitive (Sweller ou Tricot) et la psychologie évolutionniste de l’éducation (Geary). Elle serait par conséquent non enseignable en tant que telle. Cependant, elle se complète de toute une panoplie de compétences et stratégies spécifiques qui peuvent elles être enseignables en contexte.



Les quatre domaines de la métacognition selon le modèle de Flavell (1979)


La théorie originale de Flavell de 1979 divise la métacognition en quatre domaines :
  • La connaissance métacognitive
  • Les expériences métacognitives 
  • Les objectifs (ou tâches)
  • Les actions (ou stratégies).

La capacité d’une personne à contrôler une grande variété de tâches cognitives dépend des actions et des interactions entre ces quatre composantes :




La connaissance métacognitive


Selon Flavell, nous apprenons à contrôler notre pensée en surveillant ce que nous savons :
  • Sur nous-mêmes
  • Sur les autres
  • Sur les tâches
  • Sur les stratégies

Cette connaissance métacognitive se développe par l’expérience, en se fixant des objectifs et en choisissant et en utilisant des stratégies pour atteindre ces objectifs.

Tous ces éléments interagissent les uns avec les autres. Grâce à ces interactions, nous développons des compétences métacognitives et approfondissons nos connaissances.

La connaissance métacognitive est la connaissance du monde que nous avons acquise sur les processus cognitifs, avec une perspective personnelle de nos propres capacités cognitives et de celles des autres. C’est le « comment ça marche ».

Flavell affirme que la connaissance métacognitive consiste principalement en des connaissances ou des croyances sur les facteurs ou les variables qui agissent et interagissent pour affecter le cours et le résultat des entreprises cognitives.

Selon Flavell, les connaissances métacognitives ne diffèrent pas, dans leur forme et leur qualité, des autres connaissances stockées dans la mémoire à long terme.

Les connaissances métacognitives peuvent avoir un certain nombre d’effets concrets et importants sur le comportement cognitif. Elles peuvent nous amener à sélectionner, évaluer, réviser et abandonner des tâches, des objectifs et des stratégies cognitives à la lumière de leurs relations entre eux et avec nos propres capacités, contraintes et intérêts par rapport à la tâche concernée.

Les connaissances métacognitives peuvent :
  • Soit être récupérées à la suite d’une recherche délibérée et consciente dans la mémoire
  • Soit être activées involontairement et automatiquement par des indices de récupération en situation de tâche. Cette dernière situation est la plus courante. 

La connaissance métacognitive peut être utilisée de manière inconsciente. Cependant, elle peut aussi s’élever jusqu’à la conscience et provoquer ce que Flavell appelle une expérience métacognitive.

Les connaissances métacognitives conduisent à une grande variété d’expériences métacognitives concernant le soi, les tâches, les objectifs et les stratégies.

Les connaissances métacognitives peuvent également nous aider à interpréter la signification et les implications comportementales de ces expériences métacognitives.

En conclusion, le point de vue de Flavell est que nous disposons d’une base de connaissances métacognitives en mémoire à long terme et que celle-ci peut être enrichie.


Les expériences métacognitives


Par exemple :
  • La connaissance des stratégies d’étude et de leurs potentiels serait une connaissance métacognitive. Le choix de mobiliser ou l’évaluation de l’utilisation d’une stratégie pendant un temps d’étude serait un exemple d’expérience métacognitive. 
  • Une expérience métacognitive pour un élève peut, par exemple, contribuer à réaliser que le fait de souligner les idées principales d’un passage à une occasion améliore la compréhension.
  • Un autre exemple est le fait que nous pouvons éprouver un sentiment momentané de perplexité à un moment donné et nous demander si nous comprenons vraiment ce qu’explique une autre personne.

Une expérience métacognitive est une expérience consciente de nature cognitive ou affective, qui est susceptible d’accompagner une action cognitive.

Il s’agit de la prise en compte consciente d’expériences intellectuelles qui accompagnent les réussites, difficultés ou échecs dans l’apprentissage ou toute autre entreprise cognitive.

Les expériences métacognitives décrivent l’utilisation réelle de stratégies pour surveiller, contrôler et évaluer les processus cognitifs. Elles peuvent être brèves, longues, simples ou complexes.

Ces expériences peuvent également se produire à tout moment avant, après ou pendant une activité cognitive. Nombre de ces expériences ont trait à l’étape où nous nous trouvons dans l’exécution d’une tâche. Elle porte sur l’évaluation du type de progrès que nous avons fait ou sommes susceptibles de faire par la suite.

La prise de conscience métacognitive peut influencer, et le fait probablement souvent, le cours du traitement cognitif et la production réalisée, sans entrer forcément dans le champ de la conscience. Toutefois, elle peut aussi devenir ou donner lieu à, une expérience consciente. Ces expériences peuvent compléter, exclure ou modifier des éléments de la base de connaissances métacognitives.

L’expérience métacognitive n’est pas par défaut positive. Elle peut mener à une constatation ou à une prise de décision inexacte, ne pas mener à des activations opportunes ni avoir d’effet bénéfique, ou ne pas avoir beaucoup d’influence, voire aucune.

Les expériences métacognitives sont particulièrement susceptibles de se produire dans des situations qui stimulent une réflexion attentive et consciente. De telles situations offrent de nombreuses occasions d’exprimer des pensées et des sentiments concernant notre propre réflexion et, dans de nombreux cas, nécessitent le type de contrôle de qualité que les expériences métacognitives peuvent aider à fournir.


Les objectifs cognitifs et métacognitifs


Les objectifs cognitifs et métacognitifs font référence aux objectifs réels d’une entreprise cognitive. Ils correspondent aux intentions et exigences d’une personne lorsqu’elle accomplit une tâche cognitive. Ceux-ci vont déterminer les stratégies cognitives ou métacognitives mobilisées.


Les stratégies cognitives


Plus largement il s’agit des actions, des comportements ou des stratégies cognitives engagés dans l’accomplissement d’un objectif. Elles font référence à l’utilisation de techniques spécifiques qui peuvent aider à atteindre les objectifs.

Il s’agit d’une particularité du modèle de Flavell, car la dimension cognitive est rarement abordée dans les théories métacognitives plus récentes.

Les expériences métacognitives jouent un rôle majeur dans son développement pendant l’enfance et l’adolescence. Elles peuvent activer des stratégies visant l’un ou l’autre de deux types d’objectifs — cognitifs ou métacognitifs.



Catégories de connaissances métacognitives dans le modèle de Flavell (1979)


Flavell subdivise également la connaissance métacognitive en trois domaines de connaissance : la personne, la tâche et la stratégie.


La plupart des connaissances métacognitives concernent en fait des interactions ou des combinaisons entre deux ou trois de ces domaines de connaissances.


La personne


Ce domaine peut être subdivisé en plusieurs sous-catégories.
  • Les neuromythes et malentendus sur l’apprentissage : les croyances tacites d’un individu peuvent jouer un rôle défavorable sur son acquisition de connaissances
  • Une compréhension des différences interindividuelles permet à un individu d’estimer les efforts qui lui seront nécessaires par rapport à d’autres individus. Ces derniers vont différer d’une personne à l’autre en matière d’intelligence fluide (exemple : la capacité de la mémoire de travail) ou cristallisée (la différence en matière de connaissances spécifiques à un domaine pour différentes personnes). Un individu doit également savoir vers qui ou quoi se diriger pour bénéficier d’une aide ou d’une réponse à ses questions. 
  • Les universels de la cognition : ce que la psychologie a établi sur le mode de fonctionnement de l’apprentissage dans ses diverses facettes et ses limites. Comment optimiser ses apprentissages ?

Les différents contenus de ces variables sont pour la plupart acquis progressivement. Pour un individu donné, ils évoluent au fil de ses expériences et de ses apprentissages dans un domaine.


La tâche


Il existe toute une série de caractéristiques propres aux tâches et à la façon de les résoudre qu’il importe de connaitre ou d’acquérir. Il est donc important d’être conscient et de connaitre nos propres limites face à elles.

Parfois, nous abordons des tâches un domaine de connaissances dans lequel nous avons peu d’expertise. Il peut être difficile de déterminer dans quelle mesure nous comprenons, connaissons et pouvons appliquer de manière pertinente certains concepts que nous visons d’apprendre.


La stratégie 


La connaissance de la stratégie comprend la compréhension des stratégies et la manière dont chaque stratégie peut être employée à bon escient et quand elle peut l’être.

Nous pouvons acquérir beaucoup de connaissances sur les stratégies susceptibles d’être efficaces pour atteindre tels sous-objectifs et objectifs et grâce à quels types de traitement cognitif.

La prise de conscience des conditions limites liées aux stratégies permet de mieux comprendre la marge d’action et préciser des attendus.

Certaines réalisations de tâches sont plus exigeantes et plus difficiles que d’autres, il faut donc évaluer les ressources et les stratégies susceptibles d’être nécessaires.



Activer la métacognition et le contrôle cognitif


Un exemple d’activation de la métacognition et du contrôle cognitif est le suivant :
  1. Un élève peut prendre conscience (expérience métacognitive) qu’il ne connait pas encore suffisamment bien un certain chapitre pour être capable de réussir un prochain examen.
  2. L’élève va vérifier cette hypothèse en se posant des questions sur le contenu. Il va mesurer dans quelle mesure il est capable d’y répondre (stratégie métacognitive, visant l’objectif métacognitif d’évaluer ses connaissances, et donc, de générer une autre expérience métacognitive).
  3. Ayant constaté des manques, il décide d’étudier à nouveau certains éléments plus en profondeur (stratégie cognitive, visant le simple objectif cognitif d’améliorer ses connaissances)

A priori, les stratégies cognitives sont invoquées pour réaliser des progrès cognitifs. Les stratégies métacognitives sont mobilisées pour les contrôler.

L’atout principal du modèle de Flavell est d’intégrer les domaines cognitifs et métacognitifs.

En effet, il est possible dans certains cas qu’une même stratégie soit invoquée pour l’un ou l’autre objectif de deux objectifs (cognitif et métacognitif). Indépendamment de la raison pour laquelle elle a été invoquée, pour qu’elle atteigne les deux objectifs.

Si nous reprenons l’exemple plus, imaginons que :
  1. L’élève concerné fonctionne avec un système de flashcards, qu’il soit au format papier ou digital (Anki, quizlet, etc.). 
  2. Lorsque l’élève va revoir les fiches correspondantes du cours qui sera évalua, il va automatiquement réétudier celles auxquelles, il ne peut pas répondre. 
  3. Dans ce cas, la stratégie métacognitive est également cognitive et les deux objectifs cités plus haut, cognitif et métacognitif sont réglés conjointement.

Ainsi des connaissances métacognitives sont susceptibles de contenir des connaissances sur les stratégies métacognitives aussi bien que sur les stratégies cognitives et il y a grand intérêt fonctionnellement à ce que ça soit le cas.

Ainsi, nous pouvons imaginer un scénario type comme le suggère Flavell :
  1. Un élève reçoit une tâche cognitive à réaliser qui correspond à un objectif d’apprentissage prédéfini.
  2. Les connaissances métacognitives de l’élève le conduisent à l’expérience métacognitive consciente que cet objectif sera difficile à atteindre.
  3. Cette expérience métacognitive, combinée à des connaissances métacognitives supplémentaires antérieures, amène l’élève à sélectionner et à utiliser la stratégie cognitive consistant à identifier puis à poser des questions pertinentes à des personnes bien informées afin d’obtenir leur aide.
  4. Les réponses à ses questions déclenchent des expériences métacognitives supplémentaires sur la manière d’ajuster ses stratégies cognitives à la tâche en question.
  5. Cette expérience métacognitive est elle-même éclairée et guidée par des connaissances métacognitives pertinentes liées à ces stratégies cognitives supplémentaires.
  6. Cela amène l’élève à sonder tout ce qu’il a appris pour voir si cela s’intègre dans un ensemble cohérent. Est-ce que cela semble plausible et conforme à ses connaissances et attentes antérieures, et est-ce que cela permet d’atteindre l’objectif ?

Il y a deux issues à la démarche, soit la réalisation de la tâche devient plus limpide pour l’élève, soit les difficultés sont cernées et identifiées. Le fait que le processus double métacognitif/cognitif permette à l’élève de cibler ses difficultés lui permet d’entamer plus simplement des démarches pour les résoudre en répétant le cycle autant de fois que nécessaire.

Un apprentissage autorégulé demande que ce type de fonctionnement devienne la norme. Un élève qui se contente de dire qu’il ne comprend rien ne s’est pas investi dans ce double processus cognitif et métacognitif.




Mise à jour le 25/09/2022



Bibliographie

 
Flavell, J. H. (1979). Metacognition and cognitive monitoring. American Psychologist, 34, 906–911. http://dx.doi.org/10.1037/0003-066X.34.10.906.

James Mannion, Metacognition, self-regulation and self-regulated learning: what’s the difference?, 2020, https://impact.chartered.college/article/metacognition-self-regulation-regulated-learning-difference/

Flavell, J. H. (1976). Metacognitive aspects of problem-solving. In Resnick LB (Ed.), The Nature of Intelligence, Hillsdale NJ, Erlbaum.

Watkins C (2001) Learning about learning enhances performance. London, Institute of Education National School Improvement Network (Research Matters series No 13). Available at: discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/10002803/1/Watkins2001Learning.pdf (accessed 22 November 2019).

Craig, Kym & Hale, Daniel & Grainger, Catherine & Stewart, Mary. (2020). Evaluating metacognitive self-reports: systematic reviews of the value of self-report in metacognitive research. Metacognition and Learning. 10.1007/s11409-020-09222-y.

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