dimanche 3 mai 2020

Les enjeux de la vigilance de l'enseignant lors des interactions en classe

Certaines situations de classe non optimales prêtent au désengagement des élèves, ce qui peut mener à la nécessité d’intervenir par la suite. Heureusement, manifester ouvertement de la vigilance peut contribuer à une prévention efficace. La vigilance peut permettre à l’enseignant de signifier qu’il a des attentes élevées de la part de ses élèves et qu’elles comptent pour lui.

(Photographie : Dylan Hewson)


Un exemple de situation de défaut de vigilance lors de la pratique autonome en enseignement explicite


Analysons le cas suivant qui décrit une situation de pratique autonome sous-optimale en enseignement explicite :

Après avoir introduit l’objectif d’apprentissage, offert un modelage et une pratique guidée à ses élèves, tout en vérifiant leur compréhension, un enseignant estime qu’ils sont prêts à passer à une pratique autonome.
Il décide dès lors de donner à ses élèves différentes tâches à réaliser. Il leur demande de les réaliser en autonomie, mais accepte un certain degré de coopération. Les élèves peuvent s’aider mutuellement dans le cadre d’une forme de tutorat, de manière à diminuer l’hétérogénéité de la compréhension et des connaissances au sein de la classe.
Nous nous trouvons dans la perspective d’un enseignement explicite au stade d’une pratique indépendante (autonome ou coopérative) telle qu’elle peut exister dans un cours de mathématiques ou de sciences.
Tandis que ses élèves travaillent, l’enseignant veille à se déplacer aléatoirement dans la classe et à vérifier l’engagement et le travail de ses élèves.
L’enseignant a défini comme routines que ses élèves peuvent lever le doigt pour signaler une difficulté et demander de l’aide. C’est ce qui se passe. L’enseignant passe donc d’un élève à l’autre. Il se penche vers les feuilles de l’élève, écoute leur question et s’assure de bien répondre à ses attentes avant de se diriger vers un élève suivant en attente. Parallèlement, il jette régulièrement un regard vers les autres élèves pour s’assurer de leur engagement.
Au fur et à mesure, l’enseignant constate que de nombreux doigts se lèvent et qu’il n’a pas de répit. De plus, ce sont souvent les mêmes élèves qui réclament son aide. Comme il ne peut pas répondre immédiatement à certains élèves, ceux-ci patientent et cessent de travailler au moindre obstacle en attendant son arrivée.
Afin de répondre plus rapidement aux questions, l’enseignant abaisse son niveau de vigilance et passe d’une explication à l’autre sans réellement avoir le temps de scanner la classe pour observer ce que font les autres élèves.
Différents élèves commencent à chuchoter entre eux et à se désengager. L’enseignant n’est plus certain du niveau d’engagement des élèves qui ne l’appellent pas. La séance de travail devient peu productive.

Un observateur extérieur pourrait émettre les hypothèses suivantes sur le cours et essayer de les étayer en analysant l’engagement et le comportement des élèves : 
  1. Peut-être que la pratique autonome est arrivée trop tôt et que la pratique guidée aurait dû être prolongée.
  2. Peut-être que la vérification de la compréhension lors du modelage et de la pratique guidée a été trop peu développée. La conséquence est que les élèves n’étaient pas pleinement attentifs ou que l’enseignant a surestimé leur niveau de compréhension.
  3. Peut-être que le niveau des tâches demandées lors de la pratique autonome est trop élevé. De plus, les élèves n’avaient peut-être pas à leur disposition des exemples de tâches et de problèmes résolus qui peuvent leur servir d’étayage.
  4. Peut-être que l’enseignant passait trop de temps auprès de chaque élève. Cela envoyait comme message à d’autres élèves que le niveau des tâches demandées était peut-être trop élevé pour eux ce qui peut agir comme facteur de démotivation.
  5. Peut-être que les élèves ne sont pas suffisamment formés aux stratégies de tutorat par les pairs pour activer une forme d’apprentissage coopératif. Sans doute que certains problèmes rencontrés par les élèves pourraient être expliqués par leurs pairs et ne pas nécessiter l’intervention de l’enseignant.
  6. Peut-être que l’enseignant a négligé d’exercer sa vigilance à l’ensemble du groupe en se focalisant sur l’aide à apporter à des élèves singuliers.

Ces différentes hypothèses tournant chaque fois autour d’un défaut de vigilance de l’enseignant, qu’il porte sur l’observation des élèves, la conception des cours ou la formation des élèves aux stratégies adéquates. 

Vraisemblablement, iI y a également probablement un défaut de vigilance dans la gestion des interactions.



Un exemple de situation de défaut de vigilance lors de la pratique guidée en enseignement explicite


La vérification de la compréhension et le dialogue formatif jouent un rôle important lors de la pratique guidée en enseignement explicite. Ils permettent de stimuler l’engagement des élèves et de vérifier leur compréhension en temps réel, ce qui rend l’enseignement adaptatif. L’enseignant adapte le contenu de son cours en fonction du niveau de ses élèves. La démarche permet de partager la responsabilité de l’apprentissage entre l’enseignant et ses élèves.

Mener à bien la vérification de la compréhension et le dialogue formatif est une tâche complexe et exigeante qui demande beaucoup de pratique délibérée et le développement d’une expertise pour être pleinement optimisée et maitrisée. 

Un nouvel enseignant qui s’emploie à l’adopter peut rencontrer diverses difficultés. En voici certaines exposées : 
Lorsqu’un élève lui pose une question, ou qu’il décide de poser une question à un élève, alors qu’il donne cours à la classe entière, un enseignant tend à se diriger vers celui-ci. Il cherche son regard dans un angle de vision propice. Son corps et sa tête sont tournés vers l’élève qui pose la question, son attention tend à se centrer sur l’élève. Il adapte le volume de sa voix pour être pleinement audible par l’élève en question.
Certains élèves interviennent spontanément pour compléter ce que dit l’élève ou pour donner une réponse. D’autres sont susceptibles de faire des commentaires moqueurs mêmes si discrets sur l’élève en question ou montrent leur désintérêt de manière non verbale.
Parfois, un élève interrogé ne sait pas répondre, l’enseignant l’aide un peu en lui donnant des indices puis patiente. L’élève concerné balbutie, élabore maladroitement ou tend à perdre ses moyens et à verser dans la confusion. L’enseignant centré sur les contenus reprend la main et donne alors l’explication.
Différents débordements mineurs peuvent apparaitre lors de la pratique guidée. Des élèves peuvent chuchoter entre eux ou ne pas prendre note de toutes les explications. Certains élèves peuvent perdre le fil, être inattentifs, puis poser des questions sur des explications déjà données précédemment. 

Même si ce nouvel enseignant interroge régulièrement ses élèves et entre en dialogue avec eux, nous sommes loin de la vérification de la compréhension en enseignement explicite et du dialogue formatif. 

La culture de l’apprentissage n’est pas optimale. Même si le cours peut se donner normalement, les normes et les attentes que l’enseignant témoigne face à ses élèves sont faibles. Il est probable que la pratique guidée prodiguée ne va pas fournir tous les bénéfices escomptés.

Pour améliorer la situation, il importe que l’enseignant réfléchisse et redéfinisse clairement des routines plus efficientes liées à la gestion de la parole, à la vérification de la compréhension et au dialogue formatif. Il lui faudra ensuite les enseigner explicitement. L’enseignant devrait accompagner l’introduction de ces routines d’une rétroaction régulière sur les comportements attendus, positive et spécifique, ou corrective. 

De façon plus nette, l’enseignant manque également de vigilance à l’échelle de la classe tandis qu’il se centre sur une interaction avec un seul élève. Un travail sur la posture s’impose également pour mieux gérer les interactions à l’échelle du groupe. Il s’agit de toujours garder une vue d’ensemble de la classe et plus particulièrement lors des échanges avec un élève en particulier dans le cadre du dialogue formatif. Pour cela, s’éloigner plutôt que s’approcher de l’élève concerné est bénéfique.

En dehors de cet enseignement explicite des routines et des règles et d’une amélioration de la vigilance, un travail de fond sur les principes et techniques liées à la vérification de la compréhension en enseignement explicite sera utile. Par exemple, l’usage d’ardoises effaçables peut aider à canaliser la volonté de participer de certains élèves. Également, le fait d’interroger d’autres élèves aléatoirement ou intentionnellement lorsqu’un élève rencontrer des difficultés puis revenir vers lui pour une reformulation est plus utile que de donner les explications soi-même. 

Les erreurs et difficultés d’un élève sont une opportunité d’apprentissage pour l’ensemble de la classe et permettent de mettre les élèves au défi de contribuer positivement aux progrès collectifs dans un climat propice.




Description d'un climat de classe souhaitable


La classe idéale est celle où les élèves sont engagés, attentifs et apprennent ensemble. Par exemple lorsqu’un enseignant interroge ou répond à un élève, ils écoutent les échanges, les comprennent et y réfléchissent. Ils respectent la réflexion et le cheminement de l’élève qui s’exprime. Ils savent qu’à tout moment l’enseignant peut se tourner vers eux pour leur demander de poursuivre ou de reformuler.

Dans cette classe idéale, l’enseignant génère, exprime et concrétise dans les faits des attentes élevées pour chacun de ses élèves.

Lorsqu’un enseignant parvient à installer ce type de climat, il va agir très directement et très positivement sur le taux de réflexion au sein d’une classe et sur la qualité de l’apprentissage de ses élèves.

Dans cette situation, lorsqu’un élève répond, il se sent mis au défi par l’enseignant. Il se sait écouté et respecté dans ses tentatives de réponse par toute la classe. Cela a valeur d’émulation et le pousse à approfondir et à enrichir sa réflexion au fil du temps. Il est à la fois mis en confiance, soutenu et stimulé dans ses progrès.

La clé de voûte de l’expression d’attentes élevées est un climat de classe exemplaire qui soutient la réflexion et la rigueur. Il est rendu possible par une gestion de classe exemplaire de la part de l’enseignant.

Ce climat de classe nécessite que les élèves puissent investir toute leur attention dans le cours. Pour cela, il s’agit d’instaurer des conditions qui soutiennent la confiance, le soutien, l’émulation et le respect mutuel entre l’enseignant et ses élèves et entre les élèves eux-mêmes.

Pendant qu’un élève répond à la question de l’enseignant, les autres écoutent attentivement sans souffler la réponse par impatience ou sans faire de commentaire par exaspération, deux phénomènes qui entrainent le déraillement certain du processus.

Ce n’est que dans un tel espace qu’un élève peut élaborer et réfléchir à la réponse qu’il est occupé à donner. Ce n’est que dans un tel espace que l’enseignant peut écouter attentivement la réponse d’un élève sans que les distractions d’élèves inattentifs érodent sa capacité à l’inciter à approfondir.

De tels processus se veulent utiles, non seulement pour l’élève impliqué, mais aussi pour l’apprentissage de ses condisciples qui écoutent.



Mettre en œuvre un climat de classe souhaitable et éviter un climat contreproductif


Il y a des habitudes, des routines, des normes à installer et à maintenir et une prévention à exécuter en matière de vigilance afin de permettre l’émergence d’un tel climat de classe.

Si cette situation idéale correspond à ce qu’aspirent de nombreux enseignants, elle demande à être créée. Il ne suffit pas que l’enseignant obtienne le silence pour qu’elle se mette en place. L’ordre pour l’ordre est une coquille vide. Le fait d’avoir les élèves assis en silence et attentifs n’est pas une condition suffisante pour assurer leur engagement réel, des interactions et un traitement cognitif signifiant.

Pour l’enseignant, le silence a un sens et une utilité, mais n’est pas une fin en soi. Il n’est pas permanent et les élèves ont intégré quels sont les moments où ils peuvent interagir et ceux où leur attention et leur engagement sont requis.

L’enseignant sait qu’il peut leur donner une certaine liberté à certains moments. C’est le cas par exemple lors d’une pratique autonome où les élèves peuvent coopérer, car il sait comment il peut récupérer leur attention rapidement par la suite si nécessaire, si la situation s’emballe.

Complètement laissée à elle-même, à une évolution naturelle, une classe ne se comportera que rarement de façon optimale. Il ne suffit pas que l’enseignant interroge ses élèves et parle peu ou évite toute digression en restant centré sur la matière, pour qu’une telle situation apparaisse.

Il y a derrière, de la part de l’enseignant des démarches de longue haleine et une attention méticuleuse à la construction de cet environnement comportemental. Elles sont principalement de deux types :
  • Définition et enseignement des comportements attendus : les élèves savent comment se comporter à tout moment et des routines ont été installées.
  • Prévention sous forme d’une observation minutieuse accompagnée d’une rétroaction et d’une adaptation anticipative. Agir de façon anticipée permet de le faire de manière non invasive sans rompre le vecteur principal de l’enseignement.

Le comportement et l’attention des élèves sont des priorités pour l’enseignant dès la première minute de l’année et il a réfléchi préalablement sur les conditions de leur obtention.

Il s’agit avant toute chose pour l’enseignant de la mobilisation de techniques, de pratiques et de l’expression d’attitudes qui vont rendre la vie de tous en classe plus apaisée, prévisible et agréable.

À l’opposé, ignorer l’importance du comportement et de l’engagement, ne pas agir d’emblée en leur faveur, pave le terrain d’une situation sous-optimale. 

Une situation sous-optimale se rencontre par exemple dans des classes par exemple où :
  • Les élèves se lancent des boulettes de papier. 
  • Les élèves se volent mutuellement du matériel pour plaisanter, dès que l’enseignant ou l’élève visé a le dos tourné.
  • Les élèves se moquent d’un autre élève lorsqu’il répond de manière erronée à une question de l’enseignant ou lorsqu’il pose une question triviale. 
  • Les élèves ne suivent les échanges sur la matière entre un enseignant et un élève que d’une oreille distraite.
  • Les élèves s’apostrophent avec un langage familier et déplacé qui ne correspond pas au registre attendu en classe.

Si une classe ordonnée est un prérequis, la façon de l’obtenir est essentielle. Les élèves doivent être silencieux afin qu’un autre élève puisse s’exprimer dans les meilleures conditions, par respect et non pas par crainte d’une intervention de l’enseignant. Nous devons favoriser les conditions d’une interdépendance positive partagée et d’un engagement pour l’apprentissage.



L’importance de la vigilance de l’enseignant dans l'établissement et la maintien d'un climat de classe souhaitable


Afin de bien assurer la prévention et le maintien d’un climat positif une fois que les élèves ont été formés aux routines, une condition fondamentale est la vigilance de l’enseignant dans ses interactions.

Par exemple, lorsqu’il interagit avec un élève, l’enseignant doit toujours continuer à avoir l’œil sur ce que font les autres élèves.

Mais ce n’est pas tout, il faut que les élèves le voient le faire de manière systématique et qu’il le leur rappelle subtilement.

À certains moments et le temps d’une interaction y est propice, l’enseignant ne voit pas le désengagement ou il ne signale pas qu’il le voit. Il laisse alors se créer des espaces dans lesquels des comportements non souhaités peuvent se développer et devenir des habitudes. Ils peuvent alors se propager et définir au fur et à mesure une norme tacite qu’il devient plus complexe de traiter :
  • Les élèves reconnaissent très facilement un enseignant non attentif et non vigilant et vont naturellement occuper tout espace laissé vide à leur bon vouloir.
  • Les élèves sont également capables de reconnaitre les enseignants vigilants, ceux qui ont des yeux tout autour de la tête, ils sont au courant de tout et font preuve de ce que Jacob S. Kounin a appelé « withitness ». Face à de tels enseignants, les élèves ne vont pas se risquer à sortir de l’engagement attendu et au contraire, ils vont naturellement le cultiver.
Pour autant, il ne s’agit pas de manipuler les élèves, mais de les aider d’influencer positivement leur comportement. Un enseignant ne peut se reposer uniquement sur la bonne volonté et le sens de responsabilité des élèves. Ceux-ci sont naturellement sensibles à la distraction, aux pensées contre-factuelles et à la pression tacite des pairs.

Si les attentes comportementales sont claires et ont été enseignées, pour qu’elles deviennent de routines, il faut s’assurer que les élèves persévèrent dans leur mobilisation. Les élèves doivent savoir que leur enseignant est vigilant et prêt à intervenir. Ainsi, ils seront naturellement enclins à bien se comporter.

Il s’agit d’un cercle vertueux. Si les élèves se comportent bien, l’enseignant peut plus facilement être vigilant et aura moins d’interventions à réaliser pour maintenir leur engagement.



Être vigilant durant le modelage et la pratique guidée


Lors du modelage ou de la pratique guidée, l’enseignant donne des explications à ses élèves entrecoupées d’interactions portant sur de la vérification de la compréhension. Parallèlement, l’enseignant va exercer sa vigilance auprès de ses élèves.

L’enseignant doit scruter et passer en revue la classe régulièrement, soit toutes les quelques minutes. Il doit en faire une routine, une habitude et cela dès le départ. La manifestation du comportement doit devenir automatique chez l’enseignant. 

Cela ne prend qu’une seconde ou deux, mais c’est un acte d’autodiscipline pour l’enseignant qui gagne à être constaté par ses élèves. Le regard balaye toute la salle, mais il ne le fait pas n’importe comment. Cette routine s’acquiert grâce à une pratique délibérée. Elle doit répondre aux caractéristiques suivantes.

Une première recommandation d’importance est d’être debout, car dès que nous sommes assis à notre bureau, une bonne part des élèves échappe à notre champ de vision. Certains élèves seraient en effet cachés par d’autres et libres de ne pas être attentifs durant le cours. Le danger se trouve dans les angles morts. 

Une deuxième recommandation est de se placer stratégiquement : 
  • Lors du balayage, il est peu utile de se trouver au centre de la classe, car cela demande de vérifier les élèves dans un angle de 360°. 
  • De même lorsque nous nous trouvons à l’avant ou à l’arrière au milieu de la classe, l’angle reste de presque 180°. En outre si les élèves sont en rangées certains risquent d’être en partie dans l’ombre visuelle d’autres élèves. Nous ne pouvons pas avoir l’impact escompté ni la certitude d’avoir tout remarqué. 
  • Un bien meilleur réflexe pour le balayage est de se déplacer vers un des quatre coins de la pièce. Automatiquement, l’angle de vision nécessaire se réduit à 90° ce qui est beaucoup plus aisé. Cela permet de voir la pièce sous un autre angle. Ainsi, l’enseignant qui donne cours en frontal peut passer de gauche à droite sur l’avant de la classe et en profiter pour balayer la classe spécifiquement lorsqu’il est à une extrémité. Nous voyons bien mieux ce qui se passe en classe de cette façon.
  • L’usage d’un outil comme le visualiseur facilite la vigilance, comparé au fait d’écrire au tableau.



Manifester la vigilance dans notre comportement


L'importance de la visibilité de la vigilance pour les élèves


La vie en classe est pour une part un jeu du chat et de la souris. À un moment ou un autre, un élève est tenté par l’envie de décrocher ou se laisse même distraire malgré lui, parfois par manque de vigilance envers lui-même.

Savoir et être conscient que l’enseignant observe par intermittence et qu'il ne manquera pas de le remarquer et d'intervenir va aider l’élève à rester attentif, en phase d’alerte. Il va apprendre de bonnes habitudes.

L’élève a besoin de savoir qu’une fois que l’enseignant aura remarqué quelque chose, il va invariablement agir subtilement pour envoyer le message tout en poursuivant ses explications. Il n’interviendra verbalement et plus directement que dans une phase ultérieure si ses redirections indirectes et discrètes n’ont pas porté leurs fruits. L’élève doit avoir une certitude raisonnable que s’il décroche et se désengage, l’enseignant le remarquera vite et réagira.



L'importance de manifester la vigilance pour l'enseignant


Pour l’enseignant, manifester la vigilance demande de prendre le temps de le faire, cela exige une certaine discipline jusqu'à ce que l'habitude soit installée. Ainsi souvent, plutôt que de plonger son regard sur ses notes pour voir ce qui suivra, ou consulter l’heure, il vaut mieux prendre le temps préalablement d’un balayage de la classe.

En effet : 
  • Si les élèves remarquent que l’enseignant ne leur est pas attentif, ils peuvent se dispenser de lui être attentifs également. 
  • Si les élèves perçoivent que l’enseignant à une routine d’observation systématique de leur engagement, ils n’ont guère d’autre choix que d’obtempérer et rapidement les automatismes d’engagement prennent place également chez eux. 

Ainsi, il ne faut pas hésiter à montrer que nous scannons la classe :
  • En se déplaçant un peu, de gauche à droite.
  • En orientant à propos la tête et le regard.
  • En se mettant un instant sur la pointe des pieds.

Tout cela se fait en continuant à donner cours ou à écouter un élève qui répond à une question.

L’enjeu est d’éviter de devenir prévisible. Les élèves doivent avoir l’impression qu’à n’importe quel moment l’enseignant jettera un regard sur ce qu’ils font.



Gérer le suivi de consignes


Le moment de l’interaction avec un élève est particulièrement crucial pour l’enseignant, car c’est là qu’il est susceptible d’être moins vigilant. Il peut arriver couramment que l’enseignant ne fasse pas de suivi après avoir donné une directive à un, plusieurs ou à l’ensemble élèves. 

Cela peut être interprété par ceux-ci comme s’il ne se souciait pas qu’ils la suivent parfaitement et donc qu’elle n’est pas importante. Si par contre nous effectuons un suivi dès ce moment précis, nous signifions son importance pour nous, ce qui aide à développer des attentes élevées.



Développer une routine de vigilance et d'engagement lors des interactions en classe complète 


Lorsque nous interagissons avec un élève au sein d’une classe, il faut que dans notre non verbal, les autres élèves de la classe puissent percevoir des signes que notre degré de vigilance envers eux ne change pas voire augmente.

Assez naturellement, en tant qu’être humain, lorsque nous interagissons avec quelqu’un de physiquement éloigné, nous avons tendance à nous tourner et à nous déplacer vers lui. Nous avons tendance à nous rapprocher et à focaliser notre attention vers lui. En tant qu’enseignants, nous sommes spontanément tentés de le faire.

Le danger est que le fait de se déplacer vers un élève envoie le signal au reste de la classe que l’enseignant a cessé de leur prêter attention. Il se trouve maintenant en interaction avec un seul élève. Ces autres élèves vont alors potentiellement se déconnecter du cours et se désengager. Nous risquons de devoir récupérer leur attention par la suite.

Assez paradoxalement, lorsqu’il ne s’agit pas de gérer un comportement perturbateur d’un élève, ni de répondre à une question lors de la pratique autonome, lorsqu'un élève pose une question sur la matière ou y répond, il est conseillé à l’enseignant de s’éloigner de l’élève particulier avec lequel il est en interaction.  

Ainsi, plutôt que de faire un pas en avant vers l’élève, il vaut mieux faire un pas de recul. Il s’agit de conserver un champ de vision large sur toute la classe ou d'être à une position ou nous pouvons continuer à scanner .

Il faut réaliser que dans le contexte de la classe, en tant qu’enseignants, nous n’avons pas besoin de garder le contact visuel direct avec l’élève qui s’exprime. Cette démarche tend à exclure les autres élèves et à permettre leur retrait. Au contraire, faire un pas de retrait c’est montrer que tous les autres élèves restent des interlocuteurs concernés par l’échange. Pour l’élève qui parle, cela lui fait comprendre qu’il ne s’adresse pas uniquement à l’enseignant, mais à tous les autres élèves également.

Il est avantageux d’enseigner, d’expliquer de manifester cette démarche de l’enseignant comme une routine de classe dès le début de l’année scolaire. En corolaire, les élèves doivent comprendre qu’ils s’adressent à voix haute à toute la classe et non seulement à l’enseignant. Cela rend très clair également qu’il est de leur responsabilité d’écouter les autres échanges. 

L’enseignant explique qu’il est important pour lui de vérifier que les autres élèves écoutent, car cela fait partie de leur propre apprentissage. Il s’engage dans ce comportement, car pour lui tout le monde doit rester attentif. Il le manifeste en posant une question de suivi à l’un ou l’autre élève à la fin de la réponse du premier.

De cette manière, il n’est paradoxalement pas utile que l’enseignant conserve un contact visuel exclusif avec l’élève avec qui il échange. Les élèves doivent s’habituer à ce que l’enseignant regarde par défaut l’ensemble de la classe et promène son regard d’avant en arrière.

Cette situation illustre également les risques liés à la différenciation où différents groupes d’élèves en fonction de leur niveau se retrouvent dans des zones différentes de la classe, engagés dans des activités différentes. L’enseignant ne peut plus être attentif à ce que fait chaque groupe d’élèves à chaque moment. Il n’interagit plus avec la classe entière, mais avec des groupes d’élèves, ce qui peut les inciter au désengagement.

En conclusion, lorsque l’enseignant interroge ou répond à un élève, hors du contexte d’une gestion de perturbation ou de la pratique autonome, le processus est le suivant :
  1. L’enseignant reste à l’endroit où il est, ou fait un pas de recul vers une extrémité pour conserver une vision générale de la classe. 
  2. Les élèves ont conscience que l’enseignant est particulièrement attentif à leur engagement. 
  3. Pour montrer qu’il est important que tous les élèves soient attentifs, une fois l’interaction terminée, il est conseillé, si opportun, que l’enseignant pose une courte question de suivi à un élève pris au hasard en lui demandant de reformuler ou d'approfondir. 
  4. L’enseignant s’assure que l’élève qui répond à une question le fait de manière à être intelligible pour toute la classe. 
  5. Lorsque l’enseignant répond à une question d’un élève, il s’assure que sa réponse s’adresse à chacun des élèves dès que c’est pertinent. Il contextualise la réponse et s’adresse à toute la classe d’une façon positive et précise, exprimant un niveau d’attente élevée. « Vous devez faire bien attention à cela, parce que… ». « J’ai besoin que vous soyez bien attentif sur ce point, car c’est intéressant et crucial pour une bonne maitrise de la matière ».
  6. Tout le processus est enseigné, justifié, entrainé et maintenu dès le début d’année scolaire en tant que routine de classe. 


Mise à jour le 21/08/2023

Bibliographie


Adam Boxer, Ratio : the mark scheme, 2020, https://achemicalorthodoxy.wordpress.com/2020/02/26/ratio-the-mark-scheme/

Doug Lemov, Teach like a champion 2.0, 2015, Jossey-Bass

Paul Bambrick-Santoyo, Get Better Faster: A 90-Day Plan for Coaching New Teachers, 2016, Jossey-Bass.

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