jeudi 9 janvier 2020

Toujours vérifier ce que les élèves ont compris, ne jamais demander s’ils ont compris

Les processus de vérification de la compréhension sont au centre de l’enseignement explicite, autant que le modelage ou la pratique guidée et autonome. Mais ils doivent obéir à différents principes pour rencontrer leur pleine efficacité. En voici une exploration :

(Photographie : Ian C. Bates)




Proscrire les questions qui clôturent le dialogue et activent l’inertie de groupe


Des questions qui n’appellent pas de réponse


« Est-ce que tout le monde a compris ? » « Plus de questions ? », « Est-ce que nous pouvons passer à la suite ? »

C’est le type d’interpellation qui vient machinalement en tête et que l’enseignant pose dans la foulée de longues explications parfois laborieuses qu’il vient d’offrir, d’asséner peut-être à une classe. La fin du cours arrive bientôt et il cherche à conclure. Où alors, il lui reste un temps à combler et il a envie de faire la transition et de se lancer dans un autre sujet.

Ce style de questions est purement rhétorique. En réalité, elles n’attendent pas de réponse. Elles n’ouvrent pas réellement à un dialogue.

La réponse sera presque toujours un « oui » passif. Souvent la plupart du temps l’enseignant ne va obtenir que des hochements de tête comme retour, c’est-à-dire une réponse évasive et non significative.



L’inertie de groupe


L’absence de réactivité à ces questions rhétoriques est également influencée par la dynamique de groupe au sein de la classe. Si les élèves n’ont pas spontanément posé de questions préalablement, c’est qu’ils n’en avaient pas. La question de l’enseignant passe comme une ride à la surface d’une mer endormie.

L’acquiescement passif des élèves d’un hochement de la tête est stratégique. C’est un rebond tacite décidé à endormir la question lancée par l’enseignant. Il ne faut pas faire de vague, pour garder coute que coute une tranquille somnolence.

Ainsi, ce que l’enseignant reçoit en retour, n’est pas une réponse, mais un écho, une formalité ennuyée. Que les élèves comprennent ou non, ils diront presque toujours qu’ils comprennent, en groupe, dans ces situations.

Prenons le cas d’un élève qui prend conscience lorsque l’enseignant pose la question que peut-être il n’a pas compris. En toute logique, l’enseignant pourrait s’attendre à ce qu’il se manifeste. En même temps, il y a de grandes chances qu’il choisisse d’y renoncer pour ne pas mettre à l’arrêt un groupe de vingt-cinq ou trente personnes, l’enseignant y compris. Tous ressentent la pression de passer à la suite.



La dissuasion de la prise de risque


Même si un élève se décide à outrepasser l’inertie de groupe, il lui reste à avoir du courage. Il va devoir bredouiller approximativement devant trente personnes un semblant de question à propos d’un sujet qu’il ne comprend pas.

Il y a de quoi hésiter, par gène et surtout par peur d’être le seul, à ne pas comprendre et dès lors à paraître moins intelligent.



Bien appréhender la difficulté de l’autoévaluation des élèves sur de nouveaux contenus


Il est délicat de demander aux élèves s’ils pensent qu’ils apprennent ou s’ils pensent qu’ils comprennent. Souvent, les opinions, l’autoévaluation des élèves sur leur apprentissage ne correspondent pas à la réalité. Elles ne sont presque jamais exactes.

L’autoévaluation est potentiellement peu représentative d’autant plus qu’elle porte sur des contenus nouveaux pour lesquels les élèves ne bénéficient pas du recul suffisant.

Il est difficile pour les élèves de savoir ce qu’ils comprennent ou ne comprennent pas

Ils font face à deux difficultés :
  • Comment identifier quelque chose que nous ne connaissons pas ?
  • Comment décrire ce que nous ignorons ?

Souvent, les élèves ne reconnaissent pas et n’identifient pas que quelque chose leur a échappé, simplement parce que cela leur a échappé.

Régulièrement, les élèves sont persuadés de comprendre alors qu’ils sont noyés dans la confusion et trompés par des conceptions erronées.

Ils peuvent ne pas savoir comment réfléchir à la question de l’enseignant. Ils peuvent ne pas être certains de comprendre ni de ne pas comprendre.



Éviter les questions qui incitent au désengagement et jouent sur l’ambiguïté


Les faux positifs et l’évitement


Toute question vague va se heurter au doute des élèves de ne pas être certain de tout comprendre.

Lorsque l’élève décide de ne pas poser la question malgré son doute, il rejette l’urgence de comprendre et d’apprendre. Celle-ci devrait pourtant être au centre de ses préoccupations.

L’enseignant peut se dire qu’il attire l’attention de ses élèves sur différents éléments qu’ils doivent comprendre et connaître, qui sont des priorités. En même temps, le contexte fait qu’il encourage ses élèves à lui donner de faux positifs, à démissionner en quelque sorte.

Certains élèves peuvent en conclure que ce n’est pas trop grave de ne pas tout comprendre en classe.

Si les élèves sentent que l’enseignant pose des questions vagues pour lesquelles, il ne veut pas de réponse précise, alors cela peut entraîner leur désengagement et effectivement ils vont moins comprendre et apprendre lors des cours.


De l’ambiguïté chez l’enseignant


Lorsque l’enseignant pose ce genre de questions, il laisse sous-entendre que ce qu’il attend est n’est certes pas un oui franc et massif, mais principalement à un acquiescement tacite.

Toute négation marque :
  • Soit les limites de ses explications, qui ne sont peut-être pas aussi efficaces qu’il le pense.
  • Soit de manière plus acceptable pour lui des manquements du côté des élèves. Ils peuvent n’avoir pas compris par :
    • Manque de connaissances préalables
    • Manque de capacités
    • Manque d’attention.

L’enseignant laisse souvent l’élève endosser la responsabilité de l’incompréhension.

Se contenter de poser ce genre de question en fin de présentation, sans aucune autre forme de questionnement antérieur, c’est aussi une façon pour l’enseignant de se rassurer. Il se disculpe d’avoir peut-être été trop magistral et parfois confus.

À ce stage, l’enseignant espère ne pas avoir de réponse négative, il recherche juste le feu vert pour passer à la suite, une forme de soulagement pour dissoudre tout doute personnel persistant.

En acquiesçant, les élèves le disculpent. Pour l’enseignant, ils ont alors compris. Toute difficulté ultérieure lors d’une évaluation sera dès lors de la pleine responsabilité des élèves qui n’auront pas correctement étudié et revu chez eux.



Des automatismes contreproductifs à proscrire dans le cadre de la vérification de la compréhension


Pour bien gérer la vérification de la compréhension en enseignement explicite, il est utile d’inhiber certains comportements contreproductifs qui ont pu devenir des automatismes par le passé.


L’impact du non verbal


Verbalement, l’enseignant montre qu’il se préoccupe des élèves en leur demandant s’ils ont compris après avoir terminé ses explications. Mais la position isolée et unique de cette démarche, en fin d’une séquence d’enseignement, non accompagnée d’autres questions préalables, la rend contreproductive. La vérification de la compréhension doit accompagner tout le processus de modelage et de pratique guidée.

De plus, au-delà de la démarche tardive, poser des questions uniquement après avoir tout expliqué s’accompagne également d’une part de communication non verbale.

Cette communication non verbale témoigne très clairement bien que de manière implicite que l’enseignant, poussé par le risque de manque de temps, souhaite passer à la suite de la matière. L’enseignant cherche à se décharger de la responsabilité d’avoir à expliquer à nouveau. Il adopte pour cela la démarche formelle d’une question rhétorique dans sa démarche.

La plupart des élèves comprennent très vite que leur assentiment silencieux est souhaité par leur enseignant. Ils savent que l’enseignant n’attend pas vraiment de réponse, car il veut passer très vite à la suite. 

Les élèves le déduisent. Pour vraiment savoir s’ils comprenaient, au lieu d’une telle question vague et sans risque, il aurait fallu que l’enseignant prenne le risque de poser de véritables questions de vérification de la compréhension.  

De plus dans un tel contexte, un peu confus à propos de ce qui vient d’être enseigné, les élèves eux-mêmes peuvent avoir envie de passer à autre chose. Quand cette complicité cachée existe, l’impasse sur l’incompréhension peut très vite se faire. La seule manière d’y échapper est une vérification de la compréhension ciblée, régulière et qui concerne tous les élèves.


Le risque de vouloir ne pas agacer l’enseignant ou ses pairs


Dans ce contexte de communication non verbale, une inertie du groupe qui consiste à ne rien dire et laisser passer est probable chez nombre d’élèves. Pour l’élève, avec le risque de paraître peu intelligent, existe aussi le risque de se confronter à l’agacement, plus ou moins visible, plus ou moins exprimé, de l’enseignant.

L’enseignant peut se retrouver pris plus ou moins au dépourvu par la réponse de l’élève qui n’a pas compris. Il peut estimer avoir passé le temps suffisant à expliquer initialement.

Il est peu probable qu’il propose d’emblée une manière différente d’expliquer. Il risque de se lancer dans un récapitulatif sommaire, une sorte de révision, en insistant sur les points importants.

Les élèves qui ont compris ce que l’enseignant avait expliqué peuvent trouver cela lassant, ce qui peut être culpabilisant pour celui qui n’a pas compris.

L’enseignant peut également suggérer à l’élève également de revoir la matière chez lui, de refaire des exercices et de revenir alors vers lui si l’incompréhension subsiste. Dans certains contextes, il pourrait suggérer à l’élève d’être plus attentif à l’avenir. L’élève qui reçoit ce type de retour d’information hésitera deux fois à reposer ce type de questions à l’avenir.

L’enseignant peut, bien entendu, également prendre tout le temps nécessaire pour réexpliquer, mais cette ressource étant limitée, cette approche ne peut être généralisée.

Dans tous les cas, l’enseignant va tâcher d’obtenir rapidement l’assentiment de l’élève demandeur. Il n’est pas certain que ce sera suffisant pour que l’élève comprenne.

De la façon dont l’enseignant va réagir à la réponse de l’élève à ce moment-là, va dépendre la façon dont celui-ci se comportera à l’avenir dans de similaires situations :
  • Imaginons que l’enseignant est patient et prend le temps d’établir la situation. Dans ce cas, l’élève n’hésitera pas à dire qu’il ne comprend pas si la situation se répète. 
  • Imaginons que l’enseignant explique rapidement de manière agacée sans prendre le temps de s’assurer de la réelle compréhension de l’élève. Dès lors, il y a de grandes chances que la fois suivante, l’élève laissera passer et qu’il prétendra comprendre.


Des questions à proscrire


Sans s’en rendre compte, un enseignant peut également mobiliser des questions qui annihilent les bénéfices de la vérification de la compréhension en enseignement explicite.

Ce sont par exemple les classiques : « Avez-vous compris », « Est-ce que c’est clair pour tout le monde », « Qui rencontre des difficultés ? », etc.

Toute question qui demande une réponse binaire (c’est-à-dire oui ou non) est particulièrement suspecte. Elle a peu de chance de générer un quelconque effet positif sur l’apprentissage et l’engagement des élèves.

Dans ce cas, soit la réponse est induite par la question, soit elle incite à l’évitement et dans tous les cas, l’élève peut répondre souvent sans avoir réellement compris, au petit bonheur la chance. 

Nous le voyons, il n’y a aucune bonne raison de poser de telles questions, car elles présentent un réel déficit de sincérité et n’envoient pas un message favorable aux élèves.

Il s’agit de remplacer ces questions fonctionnellement rhétoriques par des formes plus objectives d’évaluation régulière et distribuée.



Pourquoi une vérification de la compréhension est-elle plus utile qu’un récapitulatif fait par l’enseignant


Pour un enseignant, vérifier la compréhension des élèves après avoir enseigné en posant des questions et en les engageant activement est plus utile pour leur apprentissage que s’engager en solo dans une révision d’ensemble face à une classe passive.


L’impasse du récapitulatif


Une erreur plus grande encore serait d’estimer qu’il n’est pas nécessaire de vérifier la compréhension des élèves. Elle serait de penser qu’en fin de séquence, il est suffisant de récapituler les points importants de la nouvelle matière vue.

Cette synthèse pilotée par l’enseignant ne sert en réalité pas à grand-chose. Les élèves qui n’ont pas compris les explications détaillées lors du cours n’ont aucune chance d’accéder à celle-ci. Pour ceux qui ont compris, cela ne va pas aider à la mémorisation, car cela ne nécessite pas de récupérer l’information en mémoire.

Lorsque l’enseignant adopte ce genre de pratique, il se décharge de sa responsabilité sur l’apprentissage des élèves pour se consacrer uniquement à l’aspect d’exposition, de transmission des connaissances.


Privilégier la vérification de la compréhension


Il est évidemment nécessaire que l’enseignant pose régulièrement des questions, mais des questions qui lui permettent de vérifier précisément ce que ses élèves ont compris.

La compréhension et l’apprentissage qui en dépend représentent l’enjeu réel de l’enseignement.

Dans le cadre de la pratique de vérification de la compréhension en enseignement explicite, les questions que pose l’enseignant ne viennent pas au terme d’une séquence d’explications. Elles fusent régulièrement, au hasard, et demandent des réponses ciblées, un traitement de l’information par les élèves et de l’élaboration.

Elles permettent à l’enseignant de savoir en direct et avec une grande probabilité, si ses élèves développent une compréhension de ce qu’il est occupé à leur enseigner.

La vérification de la compréhension laisse clairement entrevoir aux élèves que l’enseignant veut des réponses qui sont construites et profondes, non pas évacuées et superficielles.

Une pratique assidue de la vérification de la compréhension s’accompagne de la mise en place d’une culture de classe qui suppose un engagement des élèves envers un traitement actif de la matière vue.

Il est essentiel que les élèves se sentent à l’aise de partager en classe, autant leur compréhension, que leurs erreurs ou leurs difficultés. Ils doivent sentir le droit et le devoir de poser spontanément des questions lorsque cela se justifie. Ce genre de pratique demande la bienveillance, de l’écoute de la part de tous. L’enseignant est responsable de la mise en place de telles routines et d’une atmosphère qui y est propice. Il doit servir d’exemple par son propre comportement.

La manière et l’attitude avec laquelle un enseignant interroge ses élèves et répond à leurs questions ont un impact fort sur l’engagement actif et signifiant de ceux-ci en classe.



Préparer des questions qui démontrent des attentes élevées lors de la vérification de la compréhension


Dans le cadre de l’enseignement d’une matière spécifique en classe pour soutenir l’engagement et la réflexion des élèves, il est avantageux de préparer les questions :
  • Nous évitons l’improvisation et nous gagnons du temps en classe.
  • Nous pouvons améliorer nos questions d’une fois à l’autre
  • Nous pouvons partager nos questions entre collègues dans le cadre du travail collaboratif
  • Nous pouvons stratégiquement exprimer des attentes élevées et les traduire concrètement

Il s’agit d’être rapide et ciblé. Nos questions de vérification de la compréhension doivent remplir des fonctions importantes en très peu de temps. Avoir préparé permet de poser plus de questions de meilleure qualité en un temps réduit.

La conception des questions est donc cruciale : 
  1. Il est utile de rédiger non seulement les questions, mais également les réponses que nous aimerions entendre de la part de nos élèves. Il s’agit d’un réel travail de clarification qui nous permettra de concrétiser nos attentes. Réfléchir aux réponses attendues permet également d’envisager les erreurs probables et de mieux préciser l’énoncé des questions.
  2. Il est utile de réfléchir à la manière de réagir aux erreurs potentielles, ce qui augmente nos chances de réagir de manière pertinente et de les corriger par un enseignement complémentaire adéquat si elles apparaissent. 
  3. Nous devons éviter qu’une question puisse générer un faux positif. Cela correspond à la situation où l’élève répond au hasard et donne la bonne réponse sans totalement maîtriser ni comprendre la matière. L’enseignant a l’illusion à ce moment-là que l’élève a compris. Une manière de les éviter est de poser des questions qui obligent à la réflexion et à l’élaboration avec un « pourquoi » ou un « comment ».
  4. Nous pouvons préparer des questions qui atteignent, rendent compte ou dépassent les objectifs d’apprentissage. Cela nous permet d’être complets dans le questionnement et de ne pas laisser de zones d’ombre. 
  5. Nous visons à inclure suffisamment de variété dans les questions pour garantir que vos élèves pourront exprimer leur maîtrise, quel que soit le format dans lequel la question est posée. En effet, si les élèves répondent presque toujours aux questions dans le même format, ils risquent de ne pas être préparés lorsqu’ils sont confrontés à des questions d’autres sources.
  6. Nous évitons les questions à choix multiples pour privilégier la compréhension (sauf si elles sont conçues dans ce sens) et nous privilégions des formats ouverts de question.




Mis à jour le 08/04/2024


Bibliographie


Doug Lemov. (2015). Teach like a champion 2.0. pp30-32, Jossey-Bass

6 commentaires:

  1. Pour compléter vos propos, j’évoquerais l’intérêt des applications numériques permettant de réaliser des tests. Il est alors possible facilement de préparer des questions fermées avec des rétroactions identifiant les éléments de réponse attendus.
    Le professeur a alors la vue d’ensemble précise des élèves qui ont compris le cours et de ceux qui n’ont pas compris. À l’oral, cela prendrait trop de temps.
    Les élèves ont alors aussi une représentation plus juste de leur niveau de compréhension. Pour ne pas stigmatiser les erreurs il est possible d’anonymiser l’affichage des répondants. Le professeur peut proposer ensuite une remédiation plus ciblée et adaptée.

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  2. Est-ce que je peux faire le podcast pour cet article ? En mentionnant votre nom?

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  3. Merci pour cet article. Me permettez vous d'en faire référence en mentionnant votre blog et nom ?

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