La pratique autonome est une phase de l’enseignement explicite qui fait suite au modelage et à la pratique guidée. Durant la pratique autonome, parfois appelée pratique indépendante, les élèves prennent la responsabilité de leurs apprentissages avec un soutien de plus en plus minime de l’enseignant. Celui-ci fournit une rétroaction jusqu’à ce que les élèves atteignent une situation de surapprentissage.
(Photographie : Ann Rhoney)
Différentes perspectives sur l’apprentissage coopératif
L’apprentissage coopératif constitue une forme pédagogique autonome propre qui peut intégrer différentes techniques et approches. Nous pouvons parler d’une macrostratégie. Il peut également constituter une phase introductive dans une approche d'approche de la découverte.
Une forme particulière de modèle d’apprentissage coopératif, qui appartient à la famille des approches instructionnistes, Success for All a été développée à l’origine par Robert E. Slavin (1950-2021) et ses collaborateurs.
Dans un contexte francophone, il existe également un courant d’inspiration constructiviste différent, en faveur d’un apprentissage coopératif (voir le livre « Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée », 2018). Pour ses promoteurs, la pratique coopérative est en opposition avec certains fondements de l’enseignement explicite. Ce courant semble plutôt s’inscrire dans l’idée d’un enseignement par les pairs où les élèves co-construisent leurs connaissances en coopération.
L’apprentissage coopératif n’est donc pas une vision unitaire, mais recouvre des approches très différentes. Il convient dès lors, quand nous nous intéressons à l’apprentissage coopératif de déterminer, de quelle approche nous parlons, de ses fondements théoriques et des données probantes sur lesquelles il s’appuie.
Un élément intéressant est qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre l’apprentissage coopératif et le concept d'enseignement efficace. Certaines dimensions de cette forme d’apprentissage coopératif peuvent être intégrées dans une démarche d’enseignement explicite à la manière de microstratégies comme c’est le cas pour la pratique de récupération ou l’évaluation formative.
Dans le cadre d’une approche d’enseignement explicite ou dans son extension que propose le modèle de réduction de la charge (LRI), l’apprentissage coopératif n’apparaitra que dans les dernières phases de l’enseignement. Il intervient sous forme d’une stratégie mobilisable par l’enseignant, lors de la pratique autonome ou de la découverte guidée.
Liens d’origine entre enseignement explicite et apprentissage coopératif
- Il y fait déjà référence aux recherches de Robert E. Slavin. Dans la vision de Barak Rosenshine, cela correspond à l’idée du tutorat entre pairs. Des élèves aident d’autres élèves. Barak Rosenshine signale à l’époque que des chercheurs ont mis au point des procédures pour encadrer ces apprentissages qui se révèlent efficaces.
- Les avantages de l’apprentissage coopératif proviennent :
- De la valeur sociale du travail en groupe, c’est l’apprentissage vicariant
- De la valeur cognitive acquise en expliquant le matériel à quelqu’un ou en se faisant expliquer le matériel. C’est le principe de l’auto-explication ou de l’élaboration.
- De la gestion facilitée du comportement :
- Les enjeux à la fois communs et individuels qui reposent sur le travail de groupe, maintiennent les différents élèves concentrés sur les tâches en cours.
- Cela diminue la possibilité qu’il y ait des conversations sociales.
Divergences
La question de l’apprentissage coopératif lié à l’enseignement explicite ne va pas de soi dans son modèle original. Il s’agit d’une autre forme de guidage ou de développement de l’autonomie, sous forme d’un enseignement par les pairs plutôt que centré sur l’enseignant.
Cependant, la question du transfert de responsabilité est centrale dans le modèle de l’enseignement explicite, la question est plutôt de savoir quand il aura lieu. Elle peut être source de divergences.
Lorsque nous commençons à nous intéresser au modèle de l’enseignement explicite et que nous nous lançons dans des recherches tous azimuts, nous finissons par croiser des sources qui proposent des approches légèrement divergentes du modèle de Barak Rosenshine. Par exemple, il peut y avoir chez certains chercheurs une tentation à intercaler une pratique coopérative entre la pratique guidée et la pratique autonome.
La question explorée ici est de voir leurs arguments et d’analyser une convergence ou une divergence avec le modèle de l’enseignement explicite proposé par Barak Rosenshine.
Deux occurrences existent :
- L’enseignement stratégique de Jacques Tardif (1992)
- Le modèle de l’évaluation formative de Dylan Wiliam (2015).
Le cas de l’enseignement stratégique est intéressant, car comme c’est le cas pour l’approche française d’enseigner plus explicitement, une autre divergence de l’enseignement explicite, ils ne disposent pas de données probantes pour le valider. À l’opposé, l’approche de l’évaluation formative de Dylan Wiliam est fondée sur des données probantes.
La pratique coopérative comme étape dans l’enseignement stratégique
Le cinquième principe de l’enseignement stratégique sur lequel nous allons nous consacrer est dédié à l’enseignement explicite. Nous en retrouvons les étapes classiques : le modelage, la pratique guidée, la pratique autonome et l’objectivation, mais étrangement, s’y ajoute une pratique coopérative.
Cette dernière vient s’intercaler entre la pratique guidée et la pratique autonome comme une étape de l’enseignement explicite.
Or celle-ci n’est pas dans les écrits de Barak Rosenshine. Si nous retrouvons ce terme mentionné de façon annexe dans l’article de 1983 comme précédemment expliqué, il n’y en a plus trace dans les écrits fondateurs que sont ses principes d’enseignement (2010 & 2012). Il s’agit donc bien d’un détournement à la manière du modèle français « enseigner plus explicitement » exploré ici.
Il est dès lors intéressant de regarder de près ce que le modèle de l’enseignement stratégique met derrière cette notion de pratique coopérative :
Une première source d’information vient de Yolande Ouellet (1997) :
La pratique coopérative regroupe les situations où l’apprenant est appelé à exercer la tâche, où il est accompagné par un autre apprenant après avoir été accompagné par l’enseignant. Cela implique :
1) De structurer des tâches d’apprentissage coopératif afin de rendre possible l’interaction sociale entre les élèves de même qu’entre les élèves et l’enseignant.
2) De favoriser le développement des habiletés de coopération :
- Permettre aux élèves de discuter leurs savoirs et leurs savoir-faire. Ils doivent pouvoir les justifier, les comparer, les confronter, les exemplifier, les reformuler. Ils doivent pouvoir être capables de percevoir une même réalité sous plusieurs angles, de changer de perspective, de modifier ou de corriger leurs conceptions.
- Aider les élèves à acquérir les habiletés personnelles et sociales inhérentes au travail coopératif. Elles comprennent le sentiment d’appartenance, le partage, la mise en commun des efforts, la confiance en soi et envers les autres, l’entraide, le respect des autres et des différences. Il s’agit également de la capacité d’écoute et d’expression cohérente et respectueuse de ses idées et la capacité de résoudre des conflits.
Une seconde source est un document du Conseil des ministres de l’Éducation (Canada, 2008), qui s’appuie sur l’enseignement stratégique. La pratique coopérative y est définie de la manière suivante :
Pratique coopérative : les élèves mettent en pratique la stratégie, en discutent entre eux, justifient leurs actions, comparent et confrontent leurs façons de faire dans le but de changer leurs perspectives.
À la lecture de ces extraits, nous pouvons être frappés par leur perspective constructiviste et l’absence de données probantes ou de dimension cognitiviste pourtant revendiquée par Tardif (1992). Tout cela rend la présence d’une pratique coopérative comme phase intermédiaire de l’enseignement explicite déconcertant et incompatible avec le modèle de Barak Rosenshine.
La critique de l’enseignement stratégique faite par Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard dans leur ouvrage de 2003 est dès lors particulièrement éclairante :
Ils soulignent l’impulsion positive donnée par l’enseignement stratégique dans la manière où il utilise des données de la psychologie cognitive, mais relèvent également différentes contradictions. Celles-ci portent sur l’intégration dans l’enseignement stratégique de principes comme celui d’enseigner des tâches globales. Ce principe vise une maîtrise directe de l’ensemble, sans passer par des sous-ensembles, par des étapes emboitées. Le découpage en étape manquerait de signification dans le réel, en dehors de la classe. Ce dernier élément n’est toutefois pas du tout validé par la recherche en psychologie cognitive.
Il se pose dès lors une distinction fondamentale entre enseignement stratégique et enseignement explicite.
L’intégration de l’enseignement explicite que prétend réaliser l’enseignement stratégique vise à le réduire à une simple stratégie pédagogique au service d’une approche constructiviste à portée plus globale.
L’intégration de l’enseignement explicite que prétend réaliser l’enseignement stratégique vise à le réduire à une simple stratégie pédagogique au service d’une approche constructiviste à portée plus globale.
En ce sens, introduire la notion d’une pratique coopérative entre la pratique guidée et la pratique autonome telle que décrite par l’enseignement stratégique peut être perçu comme un non-sens et une dénaturation de l’enseignement explicite. Nous nous trouvons dans le cas de mutations létales susceptibles de retirer de l’efficacité à l’approche.
L’enseignement réciproque est une modalité utilisée pour faciliter l’apprentissage des stratégies cognitives comme la présentent Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard (2003).
L’idée est d’enseigner des stratégies cognitives aux élèves. Par la suite, les élèves les appliquent sous la supervision de l’enseignant qui retire progressivement le soutien. Les élèves travaillent alors typiquement par deux en s’échangeant au fur et à mesure des rôles prédéfinis.
Nous retrouvons une trace de cet enseignement réciproque dans une application bien spécifique sous le nom de pratique coopérative (en enseignement stratégique) dans le cadre d’un mémoire, de Michelle Valiquette (2008) :
Dans une vidéo consacrée à l’enseignement explicite, Christine Rancourt (2014) introduit la pratique coopérative comme une phase qui s’intercalerait entre pratique guidée et pratique autonome. Ce qu’elle décrit correspond typiquement à de l’enseignement réciproque :
À nouveau dans ce cadre, la pratique coopérative ne correspond pas à de l’enseignement explicite et ne correspond pas à un élément particulier et reconnu de son modèle. Il s’agit plutôt d’un enseignement réciproque.
Dans un registre voisin, l’approche « pair-shares » présentée dans le livre « Explicit Direct Instruction » de John R. Hollingsworth et Silvia E. Ybarra est une forme de coopération intéressante.
Il s’agit de faire travailler les élèves par paires, « pair-shares » à certains moments. Cette approche peut être complètement instrumentalisée dans des stratégies très spécifiques liées à la pratique guidée et au questionnement de vérification. À aucun moment, il n’est question de quelque chose que l’on peut assimiler à une pratique coopérative.
La pratique coopérative comme une occurrence d’enseignement réciproque
L’idée est d’enseigner des stratégies cognitives aux élèves. Par la suite, les élèves les appliquent sous la supervision de l’enseignant qui retire progressivement le soutien. Les élèves travaillent alors typiquement par deux en s’échangeant au fur et à mesure des rôles prédéfinis.
Nous retrouvons une trace de cet enseignement réciproque dans une application bien spécifique sous le nom de pratique coopérative (en enseignement stratégique) dans le cadre d’un mémoire, de Michelle Valiquette (2008) :
Cette technique permet « aux pairs plus expérimentés de devenir (…) “substitut de conscience” jusqu’à ce que l’élève s’approprie le raisonnement et la maîtrise. »… Ainsi, deux par deux, les élèves doivent guider, à tour de rôle, leur compagnon de classe dans la réussite de la tâche… L’élève guide doit agir exactement comme l’enseignant. Il doit donner une tâche bien précise à son compagnon. Il l’invite à effectuer la tâche en s’exprimant sur ce qu’il fait à voix haute. Il le guide correctement vers la réussite, sans lui dire explicitement comment faire ou sans lui donner la réponse… « Les pratiques de pédagogie coopérative qui font appel à des formes d’enseignement réciproque semblent particulièrement favorables à l’enseignement et à l’apprentissage de nouvelles stratégies ».
Dans une vidéo consacrée à l’enseignement explicite, Christine Rancourt (2014) introduit la pratique coopérative comme une phase qui s’intercalerait entre pratique guidée et pratique autonome. Ce qu’elle décrit correspond typiquement à de l’enseignement réciproque :
Au moment de la pratique coopérative, l’élève s’entraîne avec un pair. L’enseignant propose aux élèves regroupés en dyades d’effectuer des tâches similaires à celles présentées lors du modelage.
Pendant ce temps l’enseignant :
• Questionne les élèves
• Leur donne des indices
• Fait des rappels du modelage
• Diminue graduellement l’aide apportée.
À nouveau dans ce cadre, la pratique coopérative ne correspond pas à de l’enseignement explicite et ne correspond pas à un élément particulier et reconnu de son modèle. Il s’agit plutôt d’un enseignement réciproque.
Les « pair-shares » de l’Explicit Direct Instruction (EDI)
Il s’agit de faire travailler les élèves par paires, « pair-shares » à certains moments. Cette approche peut être complètement instrumentalisée dans des stratégies très spécifiques liées à la pratique guidée et au questionnement de vérification. À aucun moment, il n’est question de quelque chose que l’on peut assimiler à une pratique coopérative.
L’orthosport, enseignement réciproque et évaluation formative
Citée par Musial et coll. (2012), Monique Erraçarret est enseignante de français dans un collège à Tarbes.. À l’issue d’une formation, elle a décidé de s’attaquer à la dictée pour la désacraliser et en faire une tâche engageante et porteuse d’apprentissages.
Elle a pensé que la dictée pouvait permettre de renforcer le contrôle métacognitif de l’orthographe : apprendre à vérifier, analyser et corriger les erreurs orthographiques.
Le contrôle métacognitif étant favorisé par le travail en binôme de niveau équivalent, elle a décidé que sa dictée se ferait en binômes.
Elle a prévenu ses élèves de 4e (équivalent de la 2e secondaire dans le système belge) qu’elle venait d’inventer une nouvelle discipline : l’orthosport. Un sport qui se pratique par équipes de deux :
- Il s’agit de recopier ce que dit l’enseignante, mais chaque membre du binôme prend en charge alternativement un paragraphe.
- À la fin de chaque paragraphe, chaque binôme relit et corrige, en gardant bien à l’esprit que la note obtenue sera celle des deux élèves.
- Pendant les phases d’écriture, l’enseignement impose le silence, tandis que pendant les moments de correction, les élèves sont autorisés à échanger en chuchotant.
Les résultats de l’orthosport ont semble-t-il, été très positifs sur la motivation et sur les performances en orthographe de tous les élèves. Les progrès des élèves les moins performants au départ furent plus importants que ceux des autres élèves.
En conclusion
Nous pouvons conclure que la pratique coopérative n’a pas d’existence propre, instituée et distincte en enseignement explicite. Barak Rosenshine n’aborde pas cette notion de pratique coopérative dans ses principes d’instruction.
Par contre, l’apprentissage coopératif (ou le tutorat par les pairs ou l’évaluation par les pairs, telle que prévue par l’évaluation formative) est une modalité possible pour la pratique autonome.
Il ne constitue pas pour autant une étape de l’enseignement explicite au même titre que le modelage, la pratique guidée, la pratique autonome et l’objectivation.
La condition de l’intégration à la pratique autonome est que le type de pratique coopérative mise en œuvre soit soutenu par des données probantes. Une autre condition est qu’elle réponde à cette nécessité de transfert de responsabilité des apprentissages : I do/We do/You do. Elle doit faciliter le passage du We do au You do.
Mis à jour le 03/05/2022
Bibliographie :
Rosenshine, Barak, Teaching Functions in Instructional Programs, The Elementary School Journal, Volume 83, Number 4 March 1983
Rosenshine, Barak, Principles of Instruction: Research-Based Strategies That All Teachers Should Know, American Educator, v36 n1 p12-19, 39 (2012)
Rosenshine, Barak, Principles of Instruction, Educational Practices Series-21 (2010)
Conseil des ministres de l’Éducation (Canada). (2008). Projet pancanadien de Français langue première, Stratégies en lecture et en écriture, Maternelle à la 12e année, Montréal : Chenelière Éducation, p. 13.
Ouellet, Y. (1997). Un cadre de référence en enseignement stratégique. Vie pédagogique. 104 (sept oct.), p. 4-11
Valiquette, Michelle, 2008, Les effets de l’enseignement stratégique sur les performances en orthographe grammaticale lors d’activités de production écrite, Mémoire, Université du Québec à Montréal https://archipel.uqam.ca/1262/1/M10352.pdf
Christine Rancourt « L’enseignement explicite des stratégies d’apprentissage » (2014) https://youtu.be/lP0Cod2aNRc
Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard, « Enseignement explicite et réussite des élèves », De Boeck (2013)
John R. Hollingsworth and Silvia E. Ybarra, Explicit Direct Instruction, Corwin (2018)
Musial, M., Pradère, F., & Tricot, A. (2012)., Comment concevoir un enseignement, De Boeck
Dylan Wiliam, Embedding Formative Assessment, 2015, Learning Sciences International
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