(photographie : Boris Milas)
Les recherches effectuées sur les liens entre l’augmentation de l’estime de soi des élèves et l’amélioration de leur rendement scolaire n’ont pourtant pas montré de corrélation significative entre les deux facteurs (Carol Dweck, 1999).
Un risque de fourvoiement
Il est intéressant de réfléchir aux raisons pour lesquelles les tentatives d’améliorer les résultats des élèves en travaillant leur estime de soi n’ont pas eu les résultats escomptés.
Où est-ce que les bonnes intentions se fourvoient au sujet de l’estime de soi ?
Chaque fois que les enseignants délivrent une rétroaction, ils transmettraient des messages qui influencent l’opinion qu’ont les élèves d’eux-mêmes, et par là leur motivation et finalement leur rendement scolaire.
Il y a cependant une faille dans le raisonnement lié aux démarches visant à amplifier l’estime de soi. Elle se trouve dans la manière dont nous tentons concrètement d’améliorer l’estime de soi de nos élèves :
- Nous offrons à nos élèves de multiples opportunités de rencontrer le succès par leur travail et leur engagement scolaire.
- Nous les félicitons, nous les renforçons positivement, nous les valorisons pour leurs succès rencontrés.
- Les élèves se sentent dès lors plus efficaces, plus intelligents et plus capables.
- Par effet de vase communiquant, leur estime de soi grandirait.
- En conséquence, ils prendront plus de plaisir à apprendre.
- Naturellement, ils y arriveront mieux grâce une plus grande estime d'eux-mêmes. Ils développent par là une meilleure confiance en eux-mêmes.
- Grâce à ce processus soutenu par l’enseignant, ils sont tous susceptibles de devenir de meilleurs élèves.
En effet, le risque de manipulations et de dévoiement du processus est élevé :
- Pour augmenter les occasions de succès, nous sommes susceptibles de donner aux élèves des tâches relativement plus faciles et peu réalistes du niveau attendu.
- Accentuer les éloges auprès des élèves en fonction de leur réussite peut leur laisser déduire que nous pensons qu’ils sont limités en matière de capacités. Ils peuvent penser que nous nous enthousiasmons pour peu et que d’une certaine manière nous cherchons par là à les manipuler.
Les dangers liés à une trop forte estime de soi
Comme l’explique Gregory Yates (2005), chercher à développer l’estime de soi est un objectif très étrange puisque l’estime de soi n’est en réalité pas une qualité dont la plupart des élèves manquent.
Au contraire, des niveaux élevés d’estime de soi sont liés à de nombreux traits de caractère négatifs. Ces traits comprennent le narcissisme, l’agressivité, l’auto-évaluation exagérée, la prise de risques ou l’expérimentation de drogues et de comportements sexuels chez les adolescents (Baumeister, Campbell, Krueger, & Vohs, 2003 ; Emler, 2001).
Une haute estime de soi est associée à l’effet du biais du groupe interne. Les individus qui développent ce biais vont manifester un surcroit de favoritisme pour leur propre camp et plus des préjugés envers les autres considérés comme différents. Ces résultats entrent résolument en conflit avec des objectifs humanistes plus larges (Aberson, Healy, & Romero, 2000).
De plus développer fortement l’estime de soi des élèves peut paradoxalement les amener à se désintéresser des tâches scolaires si cela amène à les déconsidérer pour miser sur des aspects extrascolaires plus en phase avec leur égo.
D’autres pistes d’action à privilégier
Pour autant, cela ne signifie pas que nous devons cesser de nous préoccuper de ce que les élèves pensent d’eux-mêmes et du lien qui existe avec l’amélioration de leurs résultats. Mais d’autres facteurs sont bien plus pertinents que le travail ciblé sur l’estime de soi.
Particulièrement, l’auto-efficacité qui est directement en lien avec les intérêts des élèves est un facteur plus signifiant que l’estime de soi dans l’amélioration des résultats. Le cadre de l’auto-efficacité est nettement plus porteur et équilibré pour ce type de démarche. Il constitue une alternative nettement plus utile que le simple travail sur l’estime de soi.
L’idée est de mettre en place les conditions qui permettent à l’intérêt et à l’auto-efficacité de s’amplifier et de se développer. Par ce biais, nous obtenons potentiellement un outil puissant qui peut motiver et augmenter l’engagement des élèves. Cela peut les aider à devenir à terme des adultes qui peuvent répondre à des challenges ambitieux, qui comprennent la valeur de l’effort et sont capables de faire face aux défis de la vie professionnelle et de la société. Ils peuvent dès lors rebondir plus facilement face à des échecs ou des difficultés.
Pour les enseignants, il vaut mieux laisser de côté l’idée d’interventions sur l’estime de soi. Les enjeux réels sont dans la façon d’optimiser la rétroaction pour aider nos élèves à devenir performants dans notre matière et dans leurs démarches d’apprentissage en général. Grâce à cette adéquation avec les attentes de l’école, ils peuvent mieux se sentir dans leur peau et augmenter leur perception de compétence, leur motivation et leur sentiment d’efficacité personnelle. À l’opposé, des actions orientées directement sur l’estime de soi ne porteront pas leurs fruits, car elles peuvent être rapidement perçues comme factices et se révéler contre-productives pour les élèves.
Mise à jour le 08/02/22
Bibliographie
Dweck, Carol (1999). Caution Praise Can be Dangerous. American Educator, Spring 1999, American Federation of Teachers, 1–5.
Gregory C. R. Yates (2005) “How Obvious”: Personal reflections on the database of educational psychology and effective teaching research, Educational Psychology, 25:6, 681–700, DOI: 10.1080/01443410500345180
Baumeister, R. F., Campbell, J. D., Krueger, J. I., & Vohs, K. D. (2003). Does high self-esteem cause better performance, interpersonal success, happiness or healthier lifestyles? Psychological Science in the Public Interest, 4, 1–44.
Emler, N. (2001). Self-esteem: The costs and consequences of low self-worth. York, UK: York Publishing.
Aberson, C. L., Healey, M. & Romero, V. (2000). In group bias and self-esteem: A meta-analysis. Personality and Social Psychology Review, 4, 157–173.
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