mercredi 14 octobre 2020

Les dimensions d’une rétroaction formative efficace

Les enseignants ne font pas que délivrer des explications et donner des tâches à réaliser, ils sondent également l’apprentissage de leurs élèves par le biais de la vérification de la compréhension ou par des pratiques d’évaluation formative. Mais que font-ils de ces informations recueillies par la suite ? C’est l’objet de la rétroaction formative.

(Photographie : Petros Giannakouris



La dimension formative de la rétroaction


La rétroaction (également appelée retour d’information ou feedback) s’avère utile pour les enseignants d’autant plus qu’elle les informe sur les apprentissages en cours de leurs élèves. Elle les aide à déterminer les actions à mettre en place et les conseils à prodiguer à l’échelle de la classe ou auprès d’élèves particuliers.

La rétroaction est principalement importante pour l’élève. Dans ce sens, l’objet principal de la rétroaction est d’être formative. Son enjeu est d’accroître les connaissances et la compréhension des élèves dans un domaine spécifique ou de faciliter l’acquisition d’une compétence plus générale et transférable. 

Dans sa revue de la question, Valerie J. Shute (2008) nomme et définit comme rétroaction formative :

  • Une information qui est communiquée à l’élève par l’enseignant
  • Une action qui vise à influencer la pensée ou le comportement de l’élève dans le but d’améliorer ses apprentissages.


Malgré la pléthore de recherches sur le thème de la rétroaction sur l’apprentissage, les mécanismes spécifiques qui y sont relatifs demeurent en partie obscurs et flous, avec peu de conclusions générales. 

Pour une large part, la rétroaction semble être une interaction spécifique entre enseignant et élèves qui dépend de multiples paramètres et exige à la fois du tact, du savoir-faire et de l’expertise de la part des enseignants. Dans de nombreux cas de figure, nous ne pouvons nous contenter de la simple exécution de recettes générales ou nous fier à nos simples intuitions ou croyances sur le sujet.

Les effets de la rétroaction ont été surtout étudiés par la recherche sur des apprentissages de connaissances déclaratives (savoirs) et de compétences spécifiques (savoir-faire). Il n’est pas certain non plus que les observations qui en découlent puissent être étendues à des compétences générales d’ordre supérieur, impliquant un transfert, comme la pensée critique ou la résolution de problèmes. 

L’apprentissage de ces dernières compétences prête d’ailleurs à controverse dans un cadre général. C’est pourquoi la rétroaction sera essentiellement explorée dans cet article selon un cadre lié à des contenus et compétences spécifiques et délimités.



La rétroaction n’est pas toujours formative


Le retour d’information a été largement cité comme un important facilitateur de l’apprentissage et de la performance. Malgré tout, environ un tiers de l’ensemble des études examinées dans le cadre de deux méta-analyses marquantes (Bangert-Drowns, 1991 ; Kluger & De Nisi, 1996) a démontré des effets négatifs du retour d’information sur l’apprentissage. 

Le retour d’information qui a des effets négatifs sur l’apprentissage n’est pas formatif. En ce sens, il est susceptible de contrecarrer de potentiels efforts d’amélioration des performances de la part des élèves.

Exemples de rétroactions contre-productives : 

  1. Un retour d’information critique ou contrôlant.
  2. L’attribution de notes chiffrées détaillées ou de notes globales indiquant la position d’un élève par rapport à ses pairs.
  3. La rétroaction qui porte sur l’ego de l’élève, que ce soit de manière négative ou positive. 
  4. Le couplage du retour d’information normatif avec de faibles niveaux de spécificité, c’est-à-dire une rétroaction floue et difficilement interprétable pratiquement par l’élève.
  5. Le retour d’information délivré intempestivement par l’enseignant alors qu’un élève participe activement à la résolution de problèmes ou s’investit dans le traitement d’une tâche complexe.

Dans ces différents cas de figure, plutôt que de se voir stimulé, un élève peut voir son élan coupé et ses apprentissages inhibés malgré la bonne volonté de son enseignant.

Dans d’autres cas, la rétroaction met l’élève en action, mais d’une façon qui ne contribue pas positivement à son apprentissage. De cette manière, elle est même susceptible d’abaisser sa performance moyenne :

  1. La rétroaction est susceptible de pousser l’élève à travailler plus ce qui est théoriquement et pratiquement bénéfique pour lui.
  2. La rétroaction peut conduire l’élève à canaliser ses efforts dans une direction précise inadéquate qui ne contribuera pas à ses apprentissages.
  3. Un élève peut modifier, mal interpréter, attribuer incorrectement, ne pas comprendre ou totalement ignorer les objectifs visés par la rétroaction de son enseignant.
  4. La conception de la rétroaction peut ne pas tenir compte des caractéristiques de l’élève, comme son niveau de compétence, sa motivation, ses attributions ou ses expériences antérieures.
  5. La rétroaction peut avoir un effet positif sur l’apprentissage à court terme et négatif sur l’apprentissage à long terme. Elle peut insister sur des objectifs utilitaires immédiats et superficiels, au détriment d’un apprentissage en profondeur.  

Enfin, la rétroaction peut également être délivrée à l’élève qui ne va rien en faire. Dans ce cas, son bénéfice est nul. Compte tenu du fait que l’enseignant aurait pu utiliser son temps à des actions plus utiles, son effet est négatif.



Liens entre une rétroaction formative et les dimensions de la cognition et de la métacognition


En tant qu’enseignant, il est important d’analyser et de prendre en compte les processus induits par la rétroaction et agir stratégiquement. Délivrer efficacement une rétroaction ne s’improvise pas. Cela demande le développement d’une expertise et une réflexion préalable.

Toutefois, il existe un certain nombre de paramètres basiques ou fondamentaux de la rétroaction qui fonctionnent comme un ensemble de règles utiles.

1) De manière générale, la qualité de la rétroaction et son mode d’utilisation et de distribution constituent des paramètres beaucoup plus importants que sa fréquence et sa quantité. Il ne faut pas vouloir trop en faire.

2) Il existe un lien entre la rétroaction et l’effet de test (pratique de récupération) :

  • Donner les bonnes réponses trop directement et trop systématiquement aux élèves peut ne pas les inciter à les rechercher eux-mêmes où leur en laisser suffisamment l’occasion de s’y exercer.
  • En dehors des premières phases d’enseignement d’une matière, il y a intérêt à différer la rétroaction pour activer l’effet de test (avec un effet d’espacement croisé).
  • Il y a plus d’intérêt à laisser les élèves retrouver la nature et la position de leurs erreurs en signalant leur présence de manière indicée.
  • L’opportunité de rechercher et corriger activement ses propres erreurs contribue à leur correction à long terme et à un apprentissage souhaitable.
Quand l’élève est en mesure de retrouver activement une réponse exacte, cela génère plus d’apprentissages que de la recevoir passivement : 

  1. La rétroaction doit induire un dialogue qui appelle à une réponse de l’élève et à un suivi de la part de l’enseignant.
  2. La rétroaction ne devrait jamais se limiter à énoncer la réponse juste. 
  3. L’idée est de se servir de la présence de l’erreur ou du manque, à travers la rétroaction, comme d’un levier pour rendre l’élève actif dans un processus d’apprentissage, qui va lui permettre de progresser.

3) Lorsqu’il va se retrouver en difficulté, l’élève devrait naturellement chercher de l’aide. C’est une compétence importante à soutenir à travers la rétroaction et un des aspects clés de l’autorégulation. 

À ce titre, il convient, comme le précisent Hattie et Timperley (2007) de distinguer deux types de recherche d’aide :

  • La recherche d’aide instrumentale consiste à demander et obtenir des indices plutôt que des réponses. Elle est centrée sur l’autorégulation de l’élève.
  • La recherche d’aide exécutive consiste à demander des réponses ou une aide directe qui évite de perdre du temps ou de fournir du travail. Elle est centrée sur la tâche en question. L’élève se situe à ce moment-là plutôt dans un état de dépendance passive.

En tant qu’enseignant, ce que nous souhaitons soutenir chez nos élèves est le développement d’une recherche d’aide instrumentale. Notre réussite va se jouer dans notre manière fournir une rétroaction pleinement adaptée à l’élève : 

  • Il est important de garder à l’esprit que le comportement de recherche d’aide instrumentale est médiatisé par des facteurs émotionnels. 
  • De nombreux élèves ne cherchent pas forcément d’emblée ce type d’aide en raison de menaces perçues pour leur estime de soi ou pour un risque d’embarras social. 
  • Ils ont peur d’être perçus comme ne comprenant pas l’aide instrumentale. 
  • Il importe dès lors pour l’enseignant autant de les rassurer que de fournir l’aide instrumentale adéquate.

4) L’enjeu de la rétroaction n’est pas de corriger une erreur, mais de développer de nouvelles compétences et connaissances chez l’élève pour qu’il ne reproduise plus ce type d’erreur à l’avenir : 

  • Lorsque la rétroaction propose une analyse détaillée sur les démarches menant à l’obtention de la bonne réponse, les élèves apprennent plus que lorsque nous nous contentons de leur indiquer si leur réponse est juste ou fausse. 
  • Cependant, au plus le type de tâches concernées est complexe, au moins expliquer la bonne réponse est utile :
    • Au contraire, il devient plus crucial d’expliciter les stratégies non maîtrisées et les concepts sous-jacents que de se focaliser sur la solution. 
    • Par exemple, en chimie, si un élève rate un problème stœchiométrique, il est plus utile de lui enseigner à nouveau la théorie derrière ses erreurs. 
    • Il est moins d’insister sur des erreurs de calcul spécifiques ou de logique à l’exercice ou à la tâche considérés. 

5) Le retour d’information est nettement plus efficace lorsqu’il fournit des détails et révèle les dimensions explicites liées à la manière d’améliorer la réponse :

  • La rétroaction est efficace lorsqu’elle est dirigée sur la tâche et connectée avec les apprentissages en cours, avec l’objectif pédagogique travaillé. 
  • Si elle se centre par exemple sur des connaissances préalables manquantes, il est moins probable que l’élève démarre spontanément un processus d’apprentissage autonome à leur sujet. Un autre accompagnement sera nécessaire.
  • La rétroaction gagne en efficacité lorsqu’elle rend explicite les processus de réflexion utilisés, lorsqu’elle illustre et référence les stratégies à mettre en œuvre, et fixe par ailleurs des objectifs d’apprentissage à l’élève. 



Une rétroaction formative est spécifique et n’est pas générale


Nous pouvons distinguer deux types de rétroaction formative : directive/spécifique ou facilitatrice/générale

Le retour d’information directif est spécifique : 

  • Il est celui qui indique à l’élève ce qui doit être corrigé ou révisé. 
  • En se basant sur son expertise, l’enseignant précise les actions concrètes à mener par l’élève pour acquérir les compétences et connaissances visées.

La rétroaction facilitatrice est générale : 

  • Elle fournit des commentaires et des suggestions pour aider les élèves dans leurs propres réflexions et conceptualisations.
  • C’est traditionnellement le retour d’information le plus simple à fournir et souvent le plus vague, car il marque la distance entre les conceptions de l’enseignant et celles des élèves.
  • Cette rétroaction part du point de vue expert de l’enseignant et est parfois difficilement interprétable et traduisible en actions directes par l’élève qui est avant tout un novice.

La rétroaction formative est par conséquent avant tout spécifique.



Utilité de la rétroaction formative pour la réduction de l’incertitude


La rétroaction formative directive peut signaler un écart entre un niveau de performance actuel et un niveau de performance ou un objectif souhaité. La résolution de cet écart rendu explicite est susceptible de motiver l’élève à fournir des niveaux d’effort plus élevés. 

Le retour d’information directif peut réduire chez l’élève l’incertitude quant à la qualité (ou la médiocrité) de ses performances dans une tâche. Il lui permet d’établir plus sereinement et concrètement le lien entre le travail qu’il fournit et les progrès qu’il peut engranger.

L’incertitude est un état d’aversion qui motive les stratégies visant à la réduire ou à la gérer. Comme l’incertitude est souvent désagréable, elle tend à détourner l’attention de l’exécution des tâches et favorise la distraction. La réduction de l’incertitude permise par une rétroaction directive peut conduire à une plus grande motivation, à plus d’attention, à l’utilisation et au développement de stratégies liées aux tâches plus efficaces.



Utilité de la rétroaction formative pour la réduction de la charge cognitive


La rétroaction formative directive peut réduire la charge cognitive d’un élève. C’est particulièrement utile lorsqu’il est novice pour la matière en question ou lorsqu’il rencontre des difficultés lors de la résolution des tâches qui lui sont attribuées. 

Certains élèves peuvent se retrouver dépassés par les exigences de performance pendant l’apprentissage. Ils peuvent ne pas voir comment ils pourraient exécuter les tâches avec un plein succès et finissent par n’adopter que de faibles attentes en matière de résultats.

Ces élèves peuvent bénéficier d’une rétroaction formative directive destinée à réduire leur charge cognitive. Par exemple, la présentation d’exemples résolus ou d’un correctif réduit la charge cognitive des élèves à faible capacité confrontés à des tâches complexes. Découper la rétroaction en paliers intermédiaires à accomplir et atteindre peut de même être bénéfique.



Intégrer une dimension d’élaboration dans la rétroaction formative


Une rétroaction manquant de spécificité peut amener les étudiants à la considérer comme inutile, frustrante, ou les deux. Elle peut entraîner une incertitude quant à la manière d’y répondre efficacement. 

Elle peut nécessiter une plus grande activité de traitement de l’information de la part de l’élève pour comprendre le message voulu sans certitude d’y arriver, car il risque la surcharge cognitive.

L’incertitude et le dépassement de la charge cognitive peuvent conduire à des niveaux d’apprentissage plus faibles ou même à une réduction de la motivation à répondre au retour d’information.

Au contraire, un retour d’information détaillé, clair et élaboré fournit des informations sur des pistes, des stratégies ou des comportements particuliers à adopter. Encore une fois, la nature directive de l’élaboration dans la rétroaction peut en augmenter l’efficacité. 

Un retour d’information élaboré s’attache à ce que l’élève doit faire maintenant, mais également à comment il doit le faire.

Une manière d’offrir ce retour d’information plus accessible et explicite consiste à réduire les difficultés rencontrées en étapes plus petites. Il s’agit également de révéler toute dimension implicite qui peut-être, échappe à l’élève. 

Au-delà, cette forme de rétroaction élaborée peut également cibler :

  • Des stratégies inappropriées et leur remplacement approprié : par exemple lorsqu’un élève relit ses cours ou les recopie plutôt que de s’exercer à récupérer l’information préalablement étudiée
  • Des erreurs en lien avec des connaissances préalables absentes diagnostiquées face auxquelles des pistes de remédiation sont offertes. 
  • Des préconceptions erronées ou des erreurs ancrées qui interfèrent avec la compréhension de la nouvelle matière et qui peuvent être traitées par l’effet d’hypercorrection.

Les effets de la fonction de correction liée à la rétroaction sont particulièrement puissants pour des actions ciblées et spécifiques.



Critères d’efficacité de la rétroaction formative


L’objectif principal de la rétroaction formative est d’améliorer l’apprentissage, les performances ou les deux. Ce faisant, elle permet de matérialiser, grâce à la réaction de l’élève, de nouveaux apprentissages, fruits de l’approfondissement de la compréhension et de l’acquisition de stratégies et de compétences précises et ciblées. 

Ce retour d’information peut être utilisé en conjonction avec des évaluations à enjeux faibles ou moyens, des évaluations formatives. Il gagne à inclure des éléments de diagnostic, à être personnalisé pour l’apprenant en matière de pistes et de solutions suggérées par l’enseignant grâce à son expertise.

Malheureusement, la rétroaction formative devient inefficace si l’élève n’en fait rien.

La rétroaction formative efficace dépend de trois critères : 

  1. Le motif : l’élève en a besoin
  2. L’opportunité : l’élève le reçoit à temps pour l’utiliser
  3. Les moyens : l’élève est en capacité et est motivé à l’utiliser

Même lorsque ces trois critères sont respectés, il existera toujours une variabilité des effets de la rétroaction sur les performances et l’apprentissage même si généralement ils sont positifs. 

D’autres facteurs interviennent comme la motivation intrinsèque, les croyances, les attributions, l’auto-efficacité ou les compétences métacognitives. La dimension émotionnelle elle-même est à prendre en compte.

Face à tous ces paramètres, l’enseignant peut cependant jouer un rôle potentiellement déterminant pour la progression de ses élèves.


Mise à jour le 06/11/2022


Bibliographie


Shute, Valerie J. « Focus on Formative Feedback. » Review of Educational Research, vol. 78, no. 1, 2008, pp. 153–189. JSTOR, www.jstor.org/stable/40071124. Accessed 8 May 2020.

Wiliam, D. (2010), « Le rôle de l’évaluation formative dans les environnements d’apprentissage efficaces », dans Dumont, H., D. Istance et F. Benavides (dir. pub.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264086944-8-fr.

Bangert-Drowns, R. L., Kulik, C. C, Kulik, J. A., & Morgan, M. T. (1991). The instructional effect of feedback in test-like events. Review of Educational Research, 67,213–238.

Kluger, A. N., & DeNisi, A. (1998). Feedback interventions: Toward the understanding of a double-edged sword. Current Directions in Psychological Science, 7, 67–72. 

Hattie J, Timperley H. The Power of Feedback. Review of Educational Research. 2007; 77(1):81–112. doi:10.3102/00346543029848

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