(photographie : Masami Hoshino)
John Hattie a retenu six catégories et a estimé leurs influences et leurs importances respectives et relatives à travers sa méga-analyse sur le rendement des élèves. L’intérêt de son approche est de se centrer sur des acteurs (élèves, enseignants, école, milieu familial) ou des composantes (curriculum et méthodes d’enseignements) clairement identifiés, lisibles et perceptibles par tous.
Pourquoi est-ce important ? Parce que, comme le dit Stanislas Dehaene, le QI peut augmenter de 20 points lorsqu’un enfant est adopté dans une famille de haut niveau socio-économique. De même, nous pouvons estimer que le gain lié à l’éducation atteint entre 1 à 5 points de QI par années d’éducation supplémentaire.
De même, toutes les interventions mises en évidence dans les six catégories par Hattie semblent bénéficier le plus aux enfants de milieux défavorisés. Pour les familles de bas niveau socio-économique, intervenir le plus tôt possible, dès la maternelle, et enseigner les fondamentaux de l’apprentissage, mais aussi ceux de l’attention ou du comportement peut constituer un investissement pédagogique précieux.
Nous allons maintenant passer en revue ces catégories, dans leur ordre d’importance de la plus grande à la plus faibles, telles qu'estimées par John Hattie à travers une taille d’effet :
L’effet enseignant (d = 0,47)
L’effet enseignant par nature est loin d’être homogène. Certains élèves réussissent indépendamment du niveau de qualité de l’enseignant. L’impact de l’activité d’enseignement n’est pas le même pour tous les élèves dans une classe ni entre classes. L’homogénéité des effets observés en fonction des pratiques est dès lors un élément à prendre en compte également. La compétence la plus précieuse de l’enseignant est de faire apprendre ceux qui n’apprennent pas seul.
Il existe des enseignants correspondant à ces caractéristiques. Ils mettent en oeuvre des pratiques spécifiques. Ils font progresser leurs élèves à des niveaux supérieurs à la moyenne.
L’action de ces enseignants efficaces se traduit par des gestes, des stratégies et des interventions. Ceux-ci permettent à des élèves qui viennent soit de milieux défavorisés, ou à des élèves en difficulté de réussir les apprentissages qui leur sont proposés mieux que dans des classes où elles ne sont pas mises en œuvre.
- La qualité de l’enseignement telle que perçue par les élèves qui se traduit par :
- L’authenticité de l’enseignant telle que perçue par les élèves (déjà traité ici et là)
- L’aptitude à structurer l’apprentissage du contenu des programmes.
- De bonnes compétences en gestion de classe.
- L’aptitude à enseigner aux élèves des stratégies cognitives.
- Ces éléments sont fortement dépendant, à la fois de l’expertise des enseignants et du contexte dans lequel ils évoluent.
- L’expertise de l’enseignant dans le domaine enseigné :
- Les enseignants qui ont une bonne connaissance et une bonne compréhension de leur matière ont un impact plus important sur l’apprentissage des élèves.
- Il est également important que les enseignants comprennent comment les élèves pensent au contenu et soient capables d’identifier les conceptions erronées et les erreurs les plus courantes sur un sujet.
- Le climat de travail institué dans la classe :
- Ils assure l’engagement actif de tous les élèves
- Ils favorisent le progrès en laissant une part non négligeable aux erreurs qui sont vues comme un instrument d’apprentissage
- Ils font la promotion de l’effort
- Les attentes des enseignants en matière de rigueur, d’exigences, de résultats et de progrès des élèves avec une clarté dans l’énoncé des critères de réussite et des productions à réaliser.
- Les conceptions personnelles des enseignants sur l’enseignement et l’apprentissage, sur l’évaluation et l’intelligence. Ils peuvent considérer l’intelligence comme une donnée fixe ou susceptible de progresser. Dès lors, ils peuvent estimer le rendement global des élèves comme variable ou relativement fixe.
- L’ouverture et l’empathie des enseignants. Les enseignants sont prêts ou non à s’adapter face aux rétroactions des élèves, à évoluer et à se remettre en question face à des difficultés rencontrées.
Nous ne pouvons pas non plus lorsque nous parlons d’efficacité de l’enseignant ne pas songer à la définition qu’en offre Graham Nuthall (2007) :
« Pour être un enseignant efficace, il faut un niveau élevé d’engagement — engagement envers les enfants et les jeunes, envers leur bien-être et leur vie future ; engagement envers la connaissance et l’importance de pouvoir penser de manière indépendante et efficace dans une démocratie ; engagement envers une profession qui se consacre à l’amélioration de la société. Ce niveau d’engagement exige un ensemble solide de convictions bien pensées sur l’apprentissage et l’enseignement et sur les moyens par lesquels les écoles peuvent favoriser le bien-être et le développement de leurs élèves. »
L’effet du programme (curriculum) (d =0,45)
Les aspects qui ont une influence sur l’apprentissage des élèves supposent les principes suivants qui visent la clarté conceptuelle :
- Élaborer un contenu qui vise un bon équilibre entre compréhension profonde et compréhension surface, entre le concret et l’abstrait, entre des connaissances générales et des applications contextualisées.
- Mettre l’accent sur l’élaboration de stratégies d’apprentissage afin de construire du sens, du simple vers le complexe ;
- Suivre des stratégies planifiées, délibérées, génériques et des approches explicites et actives qui enseignent des compétences (association d’une tâche et d’au moins une connaissance) spécifiques et visent l’établissement d’une meilleure compréhension.
Des six catégories, celle qui porte sur le programme est bien évidemment centrale. Sans elle les autres n’ont pas lieu d’être. Elle porte dès lors en son sein la responsabilité de favoriser et promouvoir l’excellence pour le domaine considéré. Les démarches doivent pouvoir favoriser un engagement accru et l’exercice d’un certain contrôle sur son apprentissage pour favoriser l’élaboration de stratégies d’apprentissage.
L’effet des méthodes d’enseignement (d = 0,43)
- Mise en avant des objectifs d’apprentissage et des critères de réussite
- Organisation de tâches stimulantes afin d’engager les élèves dans l’apprentissage en vue de leur donner la confiance nécessaire pour se fixer et atteindre leurs objectifs
- Planification et approche réflexive de l’enseignement.
- Les tâches présentent un défi approprié aux élèves et le succès est attribué à leur investissement dans les tâches.
- De multiples possibilités de pratique délibérée sont organisées.
- Importance accordée à l’enseignement de stratégies d’apprentissage appropriées
- Une evaluation formative permet à l’enseignant et aux élèves de savoir où ils en sont dans l’atteinte des objectifs
- De la rétroaction et une vérification de la compréhension régulière sont organisées, en vue d’assurer le succès et l’engagement des élèves
- Il existe un travail en équipe et collaboration entre les enseignants selon le principe des communautés d’apprentissage professionnelles.
L’effet élève (d = 0,39)
Les facteurs suivants sont favorables à la réussite de l’élève :
- Connaissances préalables en matière d’apprentissage (connaissances scolaires antérieures, culture familiale ou personnelle)
- Dispositions de l’élève, c’est-à-dire son ouverture à de nouvelles expériences d’apprentissage. La façon dont il pose les causalités du succès importe également : attribuer le succès aux facteurs comme l’effort et le travail plutôt qu’aux aptitudes permet de favoriser le développement d’une attitude positive envers l’apprentissage.
- Attentes des élèves : elles sont le résultat de ses expériences et caractéristiques personnelles, que ce soit en classe ou hors classe, qui peuvent l’inciter autant que l’inhiber à s’engager dans ses apprentissages. Rapidement dans son parcours scolaire, l’enfant se crée une image de lui-même en tant qu’élève en fonction de l'évaluation qu'il fait de son rendement scolaire.
- Croyances de l’élève quant à sa valeur. Elles se traduisent à travers son sentiment d’efficacité personnelle et de compétence, qui sont susceptibles d’être influencées par divers facteurs (expériences d’apprentissage, interactions en classe, à la maison, avec ses pairs).
- L’intérêt situationnel (ou personnel) de l’élève qu’il peut rencontrer lors de ses apprentissages. Il peut contribuer à l’émergence ou un renforcement d’intérêts personnels qui sont des leviers forts pour l’engagement et l’apprentissage.
L’effet du milieu familial (d = 0,31)
Le contexte familial peut avoir une influence plus ou moins favorable sur le rendement scolaire :
- Les attentes et les aspirations des parents à l’égard de leur enfant.
- La connaissance de la langue de scolarisation par les parents.
- La disponibilité et les compétences des parents en ce qui concerne le suivi et le soutien scolaire.
- La connaissance de la culture scolaire permet d’avantager les enfants lors de leur parcours scolaire, ce qui explique la meilleure réussite moyenne des enfants d’enseignants.
L’effet-école (d = 0,23)
Bon nombre des effets de l’école sont structurels et n’influencent que peu le rendement des élèves (architecture de l’école, horaires, taille et répartition des classes, finances scolaires ; activités liées à la culture de l’établissement…).
Les effets de l’école sur le rendement comprennent :
- Le climat de classe et la création d’un environnement sécuritaire et bienveillant
- L’influence des pairs (par exemple l’absence ou la présence d’élèves perturbateurs dans la classe)
- La communication avec les parents afin de dépasser l’obstacle que peut constituer pour certains le langage scolaire. L’enseignant favorise un partenariat bénéfique à l’apprentissage et à l’engagement de tous les élèves. Il crée des attentes communes les plus élevées possibles.
La question de l’efficacité de l’école a également été abordée dans les deux articles suivants :
- Facteurs socio-économiques, familiaux et culturels, ou efficacité de l’école ? Où se trouve la responsabilité de la réussite des élèves ?
- Caractéristiques des écoles primaires (australiennes) efficaces accueillant un public défavorisé
Le rôle central de l’effet enseignant
Nous le voyons, selon la méga-analyse qu’a faite Hattie, les trois facteurs d’amélioration les plus importants sont liés aux enseignants, à leurs pratiques et aux contenus enseignés.
Les effets liés aux enseignants et à leurs pratiques sont susceptibles d’être adressés par la formation initiale et continue des enseignants et par la mise en oeuvre d'interventions spécifiques liées à des améliorations ciblées.
L’action sur les autres leviers est plus incertaine, plus délicate à mettre en œuvre et ne se traduit d’après Hattie que par un impact inférieur.
Tout ça va dans le sens de l’importance de l’effet enseignant. Celle-ci a été mise en évidence par Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard dans leur livre « Enseignement Explicite et réussite des élèves » (2013). Ils y effectuent une revue des recherches liées à l’effet enseignant.
Quels sont les éléments clés qu’ils mettent en évidence sur l’effet enseignant ?
1) L’effet enseignant se traduit par une valeur ajoutée. Celle-ci se traduit par des pratiques d’enseignement efficaces qui se traduisent en une amélioration notable des résultats scolaires des élèves sur une année, y compris ceux provenant de milieux défavorisés.
La valeur ajoutée est une comparaison statistique de l’évolution des résultats obtenus par des élèves d’une année à l’autre à des évaluations standardisées. Celles-ci sont reportées sur une échelle commune. En isolant et en pondérant l’impact d’autres facteurs sur ces résultats on peut déterminer l’effet de l’enseignement sur les apprentissages des élèves.
2) La mesure de l’effet enseignant n’est possible qu’à travers des épreuves standardisées et congruentes en fonction des programmes prévus.
3) L’effet enseignant possède un caractère cumulatif et additif lors du parcours d’un élève. On ne constate pas de plafonnement de l’effet lorsque l’élève passe d’un enseignant efficace à l’autre.
4) L’efficacité de l’enseignant représente un facteur déterminant dans les progrès scolaires réalisés. À l’opposé, d’autres facteurs comme l’origine ethnique, le niveau socio-économique, le nombre d’élèves par classe et l’hétérogénéité ne prédisent que peu l’amélioration du rendement des élèves.
5) Avoir un enseignant de qualité tout au long de l’école primaire (Belgique)/élémentaire (France) peut compenser substantiellement les préjudices attribuables au niveau socio-économique faible du milieu d’où provient l’élève.
6) Les décisions prises concernant l’embauche d’un enseignant, son affectation et sa formation ont un effet sur la réussite scolaire de ses élèves.
7) Les enseignants ayant recours à l’enseignement explicite sont ceux qui produisent les gains d’apprentissage les plus élevés auprès des élèves qui leur sont confiés.
Les trois rôles de l’enseignant efficace selon Marzano (2003)
Selon Marzano, l’enseignant efficace remplit de nombreuses fonctions. Ces fonctions peuvent être organisées en trois grands rôles. Chacun de ces trois rôles est une composante nécessaire, mais non suffisante d’un enseignement efficace :
- L’enseignant efficace choisit judicieux sur les stratégies pédagogiques les plus efficaces en fonction du contexte :
- L’expertise de l’enseignant doit être double :
- Expert dans son domaine de matière
- En fonction des matières, une mise à jour et un entretien des connaissances seront nécessaires
- Si certains points nouveaux apparaissent au gré des changements de programme, leur acquisition n’est pas une difficulté pour lui.
- Expert dans la pédagogie liée à son domaine de matière :
- Nous ne pouvons enseigner efficacement les mathématiques comme nous le ferions pour un cours de langue moderne étrangère et inversement.
- La difficulté correspond à utiliser nos schémas experts pour modeler les contenus sous une forme compréhensible pour ses élèves qui ont un statut de novice. Pour cela, il lui faut connaître à la fois le schéma mental de l’expert et celui du débutant.
- L’enseignant a à sa disposition un large éventail de stratégies pédagogiques.
- L’enseignant dispose de connaissance en didactique professionnelle qui est la connaissance de la manière d’enseigner une matière ou un sujet spécifique.
- Il sait quand privilégier telle ou telle stratégie en fonction d’élèves spécifiques et des contenus spécifiques.
- L’enseignant efficace conçoit une structuration des contenus d’apprentissage pour faciliter l’apprentissage des élèves :
- L’enseignant dispose d’un modèle psychologique de l’apprenant sur la façon dont les élèves apprennent.
- Il ne se fie pas au découpage de son programme de cours ni à la structuration d’un manuel scolaire. Il prend en compte les besoins de ses élèves collectivement et individuellement, puis détermine le contenu qui doit être mis en valeur et l’enchaînement et la présentation les plus appropriés de ce contenu.
- L’enseignant est très compétent pour construire et organiser des activités d’apprentissage qui présentent de nouvelles connaissances sous différents formats et sur différents supports.
- L’enseignant est capable d’identifier et d’articuler la séquence et le rythme appropriés des contenus en vérifiant régulièrement la compréhension de ses élèves et en leur offrant une rétroaction.
- L’enseignant efficace utilise efficacement les techniques de gestion de la classe :
- Des stratégies d’enseignement efficaces et une bonne conception des programmes d’enseignement en classe reposent sur une gestion efficace de la classe.
- C’est un mythe de croire que des enseignants efficaces peuvent prévenir tous les problèmes de discipline en maintenant l’intérêt des élèves pour l’apprentissage grâce à l’utilisation de supports attrayants et d’activités passionnantes en classe.
- Si un enseignant ne peut obtenir la coopération des élèves et les faire participer aux activités pédagogiques, il est peu probable qu’un enseignement efficace ait lieu.
- Une mauvaise gestion entraîne une perte de temps en classe, réduit le temps consacré par les élèves aux tâches et nuit à la qualité de l’environnement d’apprentissage.
Mis à jour le 23/02/22
Bibliographie
John Hattie, Visible Learning, Routledge, 2008
John Hattie, Visible learning for teachers: Maximizing impact on learning, Routledge, 2012
Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.
Stanislas Dehaene p 23232, Apprendre, Odile Jacob, 2018
Allison Shaun, Tharby Andy. (2015). Making every lesson count. Crown House.
Graham Nuthall, The Hidden loves of learners, (2007), p21, NZCER Press
Robert Marzano with Jana S. Marzano & Debra J. Pickering, Classroom management that works, ASCD, 2003
Tim Surma, Kristel Vanhoyweghen, Dominique Sluijsmans, Gino Camp, Daniel Muijs and Paul A. Kirschner, Wijze Lessen, 2019, Ten Brink
Merci.la lecture de cet article m'a beaucoup aidé dans mes recherches..
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