dimanche 19 avril 2020

Enjeux et limites de l’évaluation sommative

Beaucoup d’enseignants confirmés et de jeunes enseignants, peuvent ne pas complètement concevoir comment l’évaluation soutient l’apprentissage. Dès lors, ils ne vont pas s’investir pleinement dans des démarches d’évaluation formative accompagnées de rétroaction.

(Photographie : Christopher Holt)



L’accent mis sur la performance de l’évaluation sommative


En l’absence d’un dispositif d’évaluation formative, les enseignants mettent en place des évaluations sommatives, sous forme de tests réguliers et notés, qui parfois prennent la forme d’un travail journalier. Ils évaluent les acquis de leurs élèves chaque fois. Le cours de l’année est ponctué par des évaluations sommatives parfois qualifiées de certificatives et des examens plus conséquents en fin de période, qui clôturent définitivement une matière. 

La perspective du résultat chiffré est souvent vue comme une contrainte pour inciter les élèves à étudier et à s’impliquer. Les élèves vont travailler pour avoir des points dans le but de réussir. Tel est souvent le mode de réflexion sous-jacent. En absence de points, les élèves ne travailleraient pas spontanément selon cette perspective.

Dans cette perspective au-delà du système de renforcement ou de punition déterminé par la note de l’élève, peu d’attention est accordée au processus d’apprentissage mobilisé par un élève. Rien de spécifique n’est mis en place pour aider spécifiquement chaque élève à progresser face à ses difficultés ni pour le supporter dans le développement d’une panoplie de techniques d’étude ou dans sa capacité d’autorégulation.

Souvent dans ces situations, il n’y a qu’une seule façon pour un enseignant d’aider concrètement un élève qui échoue dans un premier temps. C’est de lui donner une occasion supplémentaire de passer une évaluation sur les mêmes contenus, voire de baisser le niveau, ou de faire preuve d’indulgence.

Le risque dans cette situation c’est que les élèves peuvent n’apprendre que peu. Ils vont plutôt focaliser leurs efforts sur leur performance en ciblant le moment des évaluations.

Or ce qui importe lors d’une évaluation, c’est l’apprentissage et non la performance. Évaluer c’est à la fois développer une vue d’ensemble et échantillonner l’apprentissage. C’est là que se trouve la valeur d’une réussite.

Il ne devrait pas s’agir de simples performances ponctuelles où la chance, le hasard et l’indulgence de l’examinateur peuvent jouer un rôle.

Les élèves doivent être testés sur le même ensemble du programme, en même temps, avec la même aide. Ils sont notés selon le même ensemble de normes préétablies.



Sortir de l'impasse des moyennes faites à partir d'évaluations sommatives intermédiaires


La mise en place d’évaluations sommatives intermédiaires menant à une évaluation certificative (examen) pourrait sembler un moyen logique de vérifier que les élèves sont sur la bonne voie.

Néanmoins, l’épreuve certificative qui va tester les connaissances des élèves sur l’ensemble d’une période va être vécue par beaucoup d’élèves comme une épreuve stressante, ponctuelle et d’un niveau de difficulté inédit.

Ils ont le souci d’être performants à cette occasion et vont miser sur la chance ou le talent. Ces sentiments sont quelque peu en contradiction avec l’idée d’échantillonner un apprentissage et d’en acquérir des preuves. Les élèves ne devraient pas faire mieux ou moins bien lors d’un examen que ce qu’ils ont fait généralement au cours de l’année. L’évaluation devrait simplement une mesure du niveau atteint, pas une course contre le chronomètre.

La valeur d’évaluations sommatives intermédiaires n’a que peu de sens dans cette perspective-là, car il est surtout souhaitable d’avoir une mesure standardisée d’un apprentissage au terme d’un programme d’enseignement. L’idée est qu’une suite de mesures positives de la performance permet de valider un apprentissage. 

De plus, des évaluations sommatives intermédiaires portant sur des volumes de matière réduits n’offrent que peu de garanties de réussite à l’examen. Ce dernier présente une échelle et un volume de matière très différents.

À chaque évaluation sommative, l’élève est incité à viser la performance instantanée, comme un sprint sur une courte distance, plutôt que l’apprentissage durable, qui est une course de fond sur une longue distance. Ce qui compte souvent c’est de faire des points.

Les élèves tendent à concevoir les évaluations sommatives comme des sprints ponctuels à enjeux maitrisables.

Ceux-ci motivent leur comportement comme un jeu de carotte et de bâton. Il s’agit de fournir le travail nécessaire pour réussir, car souvent les parents veillent. Il n’y a pas d’emblée une réflexion sur la façon de procéder. L’accent est sur la performance et n’est pas sur l’apprentissage durable.

La seule manière de transformer le système est de lier complètement les processus d’évaluation aux objectifs pédagogiques et aux critères de réussite. La pondération se construit sur ces derniers et non directement sur une somme de points obtenus grâce à des réponses à des questions. 

C’est ce genre de démarche que soutiennent les modèles de l’évaluation formative, défendu par Dylan Wiliam ou le modèle de la note constructive de Raphaël Pasquini. En reliant les résultats obtenus à des apprentissages spécifiés évalués plusieurs fois dans le cadre du parcours avec une dimension cumulative au cours de l’année, nous pouvons établir une note finale à haute valeur informative. Dans ce cadre, les moyennes n’ont plus de sens, les attendus sont clarifiés, l’accent est sur la maitrise et l’apprentissage, et nous échappons aux risques d’un effect compensatoire.



Les élèves peuvent ne tirer que peu de profit de l’évaluation sommative


Les enseignants peuvent aussi partir du postulat que lorsque les élèves vont recevoir en retour leurs évaluations sommatives corrigées, ils vont les utiliser pour guider leur apprentissage futur.

Or c’est peu probable lorsqu’un élève considère uniquement l’angle de la performance. Il va plutôt attendre l’échéance sommative suivante pour faire mieux et se concentrer sur les contenus à maitriser plutôt que de retravailler des aspects sur lesquels sa performance ne sera plus mesurée à brève échéance.

Ce phénomène est d’autant plus favorisé que les résultats des différents tests sommatifs sont additionnés pour en extraire une moyenne.

Espérer que des évaluations sommatives aident les élèves à s’améliorer est peu probable. En cas de difficultés, le résultat sera plutôt de redoubler d’efforts pour réussir la suivante qui ne portera probablement pas sur les mêmes contenus.

Le danger est que ce genre de démarche a pour résultat de saper l’apprentissage des élèves en le rendant morcelé plutôt qu’intégré, partiel plutôt que complet. En effet, un apprentissage de qualité exige l’établissement de larges connaissances spécifiques. Celles-ci se créent grâce à beaucoup de pratique délibérée et entremêlée dans l’utilisation de larges connaissances.

Les enseignants ne souhaitent pas que leurs élèves soient uniquement capables de résoudre des tâches isolées, déconnectées les unes des autres. L’enjeu est la réalisation de tâches complexes et de problème divers et celui-ci n’est réalisable que par la globalisation et l’intégration de larges pans de connaissances spécifiques. Celles-ci doivent être rendues pour cela mobilisables et fluides en mémoire à long terme.



Le difficile équilibre entre segmentation et cumul de l’évaluation sommative


Théoriquement, les évaluations sommatives pourraient influencer la planification à long terme, elles pourraient avoir un caractère cumulatif au niveau des contenus, mais elles ne le font que rarement.

Souvent, elles sont utilisées pour concevoir des découpages de matière qui permettent aux élèves d’apprendre et de démontrer la maitrise d’une partie de la matière à un moment donné.

Le danger est de ne pas globaliser et de ne pas créer d’apprentissage durable. Le fait d’avoir soumis les élèves à une évaluation sommative pour une partie de la matière dispense l’enseignant de la mobiliser à nouveau dans les semaines qui suivent. Comme cette matière elle-même n’a été travaillée que durant un nombre réduit de semaines, elle aurait encore besoin de récupérations régulières. Ainsi, les élèves risquent d’oublier la majeure partie des contenus. Or ceux-ci seront pourtant à nouveau nécessaires lors de l’examen.

Nous nous retrouvons un peu dans la situation d’un sportif qui devrait effectuer un décathlon. Pour se préparer, il s’entrainerait un mois sur chaque discipline sans y revenir ce qui conduirait immanquablement à une piètre préparation. Or c’est souvent la situation dans laquelle des enseignants placent involontairement les élèves. Ainsi l’examen se met à ressembler à une épreuve extraordinaire, car la préparation n’a pas été réalisée de manière optimale en entremêlant, en espaçant et en intégrant les différents objectifs pédagogiques.

L’analogie permet également de pointer la limite d’une évaluation sommative qui deviendrait cumulative. En effet, un sportif ne va pas s’entrainer à un décathlon en effectuant de multiples décathlons. Ce serait épuisant et contreproductif. Or c’est pourtant ce que certains enseignants seraient tentés de faire.

Les examens, les évaluations sommatives et cumulatives sont des indicateurs de réussite. En tant que tels, ils mesurent l’apprentissage des élèves, mais ne leur apprennent rien. Cela ne contribue pas à une véritable maitrise approfondie du sujet. Entrainer trop les élèves en classe à répondre à des questions d’examen pose le même problème. Paradoxalement, ce genre de démarche revient pour l’enseignant à réduire ses attentes. Plutôt que de leur apprendre la matière en profondeur, il leur apprend uniquement à affronter l’examen.



Une évaluation sommative ne remplace pas une évaluation formative


Le principal malentendu de l’évaluation sommative est de croire qu’elle peut jouer le même rôle que l’évaluation formative. L’évaluation formative contribue à identifier les lacunes dans l’apprentissage des élèves et à les guider dans les démarches à suivre pour y remédier.

Une évaluation formative a une conception fondamentalement différente de l’évaluation sommative. Plutôt que d’évaluer une finalité, elle est purement diagnostique et sans enjeux en matière de notation.

Si nous posons une question typique d’examen comme on le fait lors d’une évaluation sommative, par exemple un problème ou une tâche complexe, certains élèves n’y répondront pas parce qu’il leur manque certaines connaissances. L’enseignant peut avoir des difficultés à déceler lesquelles. En outre, simplement voir la solution attendue du problème ne va pas aider forcément l’élève en difficulté, car celui-ci aurait besoin d’être encadré spécifiquement pour développer un apprentissage lié à ses faiblesses.

Une évaluation formative est préconçue pour que l’enseignant puisse facilement déduire où se trouve exactement l’élève et lui apporter une aide en fonction.

Les systèmes de notation des examens sont adaptés à leur objectif. En appliquant la même démarche à une évaluation sommative, nous n’aidons pas l’élève à s’améliorer. L’enseignant doit se concentrer sur la façon d’aider ses élèves à progresser, pas simplement leur communiquer l’information selon laquelle ils sont actuellement en situation de réussite ou d’échec.

Plutôt que de mettre en place une évaluation sommative, il est beaucoup plus porteur et utile de développer une démarche d’évaluation formative. Elle permet de recueillir des preuves de la compréhension des élèves, ce qui permet aux enseignants et aux élèves de prendre de meilleures décisions quant aux prochaines étapes.


Les enseignants qui n’utilisent pas les évaluations formatives se basent sur des suppositions ou des planifications génériques, plutôt que de fonder leurs décisions d’enseignement sur des données.

Les enseignants qui utilisent les évaluations dans une perspective formative ciblent leur enseignement sur les besoins des élèves. Cette utilisation systématique de la fonction formative de l'évaluation se traduit par un meilleur apprentissage et une meilleure utilisation du temps en classe. Une piste alternative est de combiner les fonctions formative et sommative dans le cadre de l'approche de la note constructive.



Mis à jour le 23/08/2023

Bibliographie


Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018

Daisy Christodoulou, Making good progress?, 2016, Oxford

Douglas Fisher and Nancy Frey, Formative assessments in secondary schools; 2011, http://www.betterevidence.org/uk-edition/issue-7/formative-assessments-in-secondary-schools/

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