samedi 25 janvier 2020

Utiliser le renforcement positif dans le cadre de la gestion du comportement

Franck Ramus l’explique et le développe dans sa conférence « De la perturbation à l’implication : comment faire adhérer les élèves ? (2019) ». L’usage du renforcement est naturel et commun en classe entre l’enseignant et ses élèves, même si nous n’en avons pas nécessairement conscience. 

Tous les enseignants délivrent d’une façon ou d’une autre des retours positifs, des formes de récompenses symboliques ou des encouragements à leurs élèves. 

La question à laquelle tente de répondre cet article est de voir selon quels principes nous pouvons veiller à distribuer le renforcement pour qu’il soit plus efficace et puisse influencer favorablement le comportement des élèves.

(Photographie : Adrien Blondel)



Le renforcement positif s’inscrit dans un changement de paradigme


La meilleure façon de diminuer la fréquence d’un comportement jugé perturbateur en classe n’est pas de s’attaquer directement à lui en le punissant, mais de renforcer le comportement opposé positif.

Il est possible de faire disparaître les comportements indésirables en ayant recours principalement à des récompenses et donc en évitant les effets pervers des punitions et en maintenant une bonne relation avec l’élève. 

Plutôt que de punir les comportements indésirables en espérant les faire disparaître, nous allons tâcher de les remplacer par d’autres comportements plus adaptés. Et pour cela, il est possible que nous devions enseigner ces comportements plus adaptés avant de les renforcer. Il s’agit d’un renversement de paradigme fondamental par rapport à une attitude spontanée qui serait de considérer les comportements comme allant de soi et privilégiant la punition des comportements perturbateurs.



Déterminer les comportements positifs à renforcer


La première étape sur la voie du renforcement consiste à identifier quel est le comportement opposé positif qui est le correspondant de celui dont nous voulons voir la fréquence régresser ou même s’éteindre à terme.

Cette étape représente un réel défi pour un enseignant, car en général, pour les remarquer ou les mettre en évidence, il nous faut lutter contre et dépasser notre biais de négativité.

Nous avons une tendance naturelle à focaliser notre attention sur ce qui ne va pas. Par exemple, nous parlons presque toujours des trains lorsqu’ils arrivent en retard, mais quasiment jamais lorsqu’ils arrivent à l’heure. 

Lorsqu’un comportement inadapté survient en classe, notre attention est naturellement focalisée sur ce comportement. Et s’il se répète, ce comportement peut devenir une obsession. Nous n’arrivons pas à penser spontanément à une solution au problème autrement qu’en se focalisant sur ce comportement. 

La clé réside donc dans le fait de contrarier cette habitude de pensée pour se focaliser sur les comportements souhaités. 

La première étape consiste donc à identifier le ou les comportements désirés qui sont amenés à remplacer le comportement indésirable. D’une certaine manière, il s’agit d’identifier des comportements opposés aux comportements indésirables. 

Ce comportement opposé positif n’est pas forcément facilement visible, car il peut être présent en creux comme une non-présence de la perturbation en question. Il peut ne pas être aisé de le remarquer, car ce comportement positif fait partie de l’attendu en classe. Nous remarquons facilement quand un élève est perturbateur, car sa non-conformité le met en évidence et le rend saillant. Il tend à passer inaperçu lorsqu’il ne l’est pas, car il est alors complètement dans la norme visée et exprimée par une majorité d’élèves.



Utiliser stratégiquement le renforcement positif pour améliorer le comportement


Lorsque nous voulons favoriser des comportements attendus de remplacement au détriment d’un comportement dérangeant, il existe trois cas de figure :
  1. Les comportements opposés positifs apparaissent déjà dans la panoplie comportementale de l’élève. Il les exprime épisodiquement et il est possible de les repérer en classe.
  2. Les comportements opposés positifs n’apparaissent pas dans la panoplie comportementale de l’élève.
    1. Dans ce cas, nous pouvons décider de les enseigner explicitement :
      • Une des grandes forces du soutien au comportement positif est de procéder à l’enseignement des routines en classe (niveau 1). 
      • Cette approche de la gestion de classe propose également des interventions en petits groupes d’élèves si nécessaire (niveau 2).
    2. Une fois enseignés et mis en évidence pour les élèves concernés, les comportements attendus peuvent apparaitre ensuite dans le comportement de l’élève de manière épisodique.
  3. Les comportements opposés positifs ne sont jamais exprimés par l’élève concerné. Peu importe qu’ils lui aient été enseignés explicitement ou non.

Le principe est de renforcer les occurrences du comportement opposé positif dans un premier temps systématiquement, cela dès qu’ils apparaissent. Par la suite, nous rendons le renforcement non systématique et aléatoire pour ne pas créer un rapport de dépendance entre comportements attendus et renforcements.

Cette mise en place ne présente pas de réelle difficulté dans les deux premières situations. Il faut simplement rester attentif et renforcer les comportements opposés positifs dès qu’ils se présentent.

Dans une situation plus complexe comme la troisième, d’autres pistes sont possibles :
  1. Les comportements opposés positifs sont inexistants ou n’apparaissent quasiment jamais. Nous ne sommes pas en mesure de les renforcer :
    • Nous commençons par renforcer toute période pendant laquelle le comportement perturbateur ne se manifeste pas. 
    • Par exemple, un élève se moque et dénigre très régulièrement d’autres élèves et adopte un ton similaire vis-à-vis de l’enseignant même. La présence d’interactions positives est rarissime. Au moment où il va se taire et ne pas intervenir, nous pouvons le renforcer. En absence du comportement opposé positif, il est possible de renforcer l’absence du comportement perturbateur.
    • Au fur et à mesure, l’enseignant va attendre des périodes de plus en plus longues d’absence du comportement perturbateur pour offrir du renforcement.
    • La fréquence du comportement perturbateur devrait régresser.
  2. Lorsque tous les comportements d’un élève sont indésirables en permanence en classe :
    • Nous commençons par lister et classifier les différents comportements. Nous identifions les comportements les plus perturbateurs dont nous allons tenter de diminuer la fréquence. Nous isolons également des comportements perturbateurs mineurs dont nous allons nous servir pour le renforcement. 
    • En toute logique, le renforcement positif va augmenter la fréquence des comportements les moins indésirables et diminuer la fréquence des comportements les plus indésirables. 
    • Au fur et à mesure, le type de comportement renforcé change pour obtenir une progression générale dans le comportement. Il s’agit de sélectionner stratégiquement les comportements à atténuer et ceux à renforcer en parallèle. 
    • Tout nouveau progrès, toute amélioration dans un comportement donné, sera à renforcer. 
    • Le processus est maintenu jusqu’à l’obtention d’éléments de comportement acceptables.
    • À partir de là, un mode de renforcement des comportements opposés positifs peut être mis en place.

La conclusion est que même dans des situations parfois extrêmes, le renforcement peut porter ses fruits tandis qu’une utilisation exclusive de démarches punitives mènerait à une impasse

Le principe général du renforcement positif demande de sélectionner les comportements les plus intéressants à renforcer même s’ils ne sont pas idéaux. Ensuite, au fur et à mesure que les progrès apparaissent, nous adaptons les modalités de renforcement. En procédant de la sorte, nous augmentons parallèlement et très progressivement les niveaux d’exigence et le comportement de l’élève ciblé.



Utiliser le renforcement positif avec tact et à bon escient


Les récompenses regroupent tous les événements et éléments, qui lorsqu’ils sont introduits permettent d’augmenter la probabilité d’un comportement ciblé. Elles participent au renforcement positif.

Lorsque nous considérons le terme récompense, nous devons veiller à ne pas le limiter aux stéréotypes réducteurs qu’il est possible d’y associer. Il ne s’agit en effet pas uniquement de biens matériels, de bonbons, de gommettes ou de récompenses couteuses.

Les récompenses dépendent pour une part de chaque élève. Chacun peut avoir ses préférences et ses spécificités. Ce qui peut fonctionner comme une récompense chez un élève peut ne pas du tout fonctionner chez un autre.

De même, nous devons veiller à ne pas réduire ce que nous entendons comme récompenses à ce que les élèves sont capables d’identifier consciemment comme récompenses. Elles ne doivent pas être perçues comme des récompenses artificielles, mais doivent s’insérer dans un cadre sincère et authentique.

Avant d’utiliser certaines récompenses, il est prudent de s’assurer qu’elles sont susceptibles de fonctionner et qu’elles seront perçues telles quelles par l’élève concerné.



Caractéristiques du renforcement positif efficace


De manière générale, il vaut mieux donner de petites récompenses fréquentes et immédiates. Elles seront plus efficaces que de grandes récompenses rares ou lointaines.

Il existe des contre-exemples de récompenses qui intuitivement peuvent nous sembler efficaces, mais qui dans les faits n’ont qu’une probabilité faible d’agir efficacement en tant que renforcement.

Ce sont par exemple les situations où des parents pour stimuler le travail et la réussite scolaire de leur enfant lui promettent un cadeau conséquent lors des vacances prochaines. La condition est qu’il leur ramène un bon bulletin à la fin de la période, du trimestre ou de l’année scolaire.

D’une manière équivalente, cela correspondrait à des enseignants qui feraient la promesse d’une sortie scolaire à caractère ludique, à la fin de l’année scolaire, si leurs élèves se comportent bien jusque là.

Dans les deux cas, cela, cela peut sembler sur papier constituer une récompense intuitivement intéressante, motivante ou alléchante pour des élèves, mais :
  • L’obtention de la récompense est tellement éloignée et décalée, qu’elle en perd tout effet d’amorçage pour renforcer le bon comportement et contribuer à l’extinction du comportement inadéquat. La récompense est tellement postposée qu’elle n’a plus que très peu d’effet renforçant. Il n’y a pas d’amorçage direct pour le comportement positif.
  • Il y a une déconnexion entre l’exécution du comportement et la récompense. Nous souhaitons voir une diminution de la probabilité du comportement inadéquat et une augmentation de la fréquence du comportement adéquat avant même de distribuer la récompense. Ça ne marche pas bien dans ce sens. La récompense tend à renforcer un comportement ultérieur et non pas antérieur. 
  • Réussir ses évaluations ou être respectueux et apprendre en classe ne sont pas des comportements en eux-mêmes, mais des conséquences de comportements. Demander à un élève d’avoir un bon bulletin, comme de le sermonner dans l’espoir qu’il se comporte ensuite avec sérieux en classe risque de ne pas servir à grand-chose. Il n’y a pas d’articulation concrète avec des comportements spécifiques à renforcer ou à éteindre.

Ce qu’il faut récompenser ce sont les comportements qui aboutissent au bon bulletin, qui soutiennent une réussite et favorise un engagement productif dans des activités en classe et l’apprentissage autonome. Cela passe par le fait de faire des efforts, d’utiliser de bonnes stratégies et d’adopter les routines comportementales attendues et spécifiées en classe.

Tout comportement, qu’il soit d’étude, d’engagement, d’apprentissage ou d’attitude en classe, ne peut pas se décréter. Il ne peut être renforcé durablement, de manière immédiate et fréquente par une injonction, un sermon ou une récompense à long terme.

Par exemple si les élèves ont bien travaillé et se sont bien comportés en classe lors d’un cours, l’enseignant a plutôt intérêt à le leur signaler et à effectuer un renforcement positif directement. Il peut par exemple terminer quelques minutes plus tôt, les féliciter et leur permettre par exemple de commencer un devoir et leur donner des conseils pour celui-ci.

En tant que parent, il s’agirait de conditionner un accès à la console de jeu ou à des dessins animés, à un moment donné, durant un temps déterminé, minuté en soirée. L’enfant y gagne accès, grâce à un travail scolaire préalable fourni avec toute la profondeur et le sérieux attendu, planifié et efficace. Il y a beaucoup plus de chance que cela motive un élève à travailler, plutôt que si l’accès est réservé au weekend après la remise de résultats corrects dans diverses branches qu’il aurait engrangés sur la semaine. De même, le résultat sera moindre si au lieu de récompenses, des menaces de privations sont proférées. 

Avec une récompense délimitée, minime et proximale, nous renforçons le travail efficace et non les performances en matière de résultats, ce qui est une stratégie bien plus payante à long terme.

Pour les enseignants, avant de sortir la carte d’une récompense à long terme pour la classe, il faut déjà avoir exploré le champ du renforcement quotidien. C’est la première carte à jouer afin d’obtenir et d’assurer leur engagement possible dans la durée et avec stabilité. Il est plus utile de renforcer le calme jour après jour, grâce à de petites récompenses régulières et non systématiques.



Des renforcements tangibles ou intangibles et leurs usages


Quels sont les récompenses et les renforcements positifs dont nous pouvons faire usage en tant qu’enseignants ?
  1. Le premier type de récompense et le plus essentiel est celui de l’attention positive que nous allons porter aux élèves :
    • Nous leur exprimons de l’empathie, un état d’esprit positif, de l’approbation. Cela se transmet également par une expression bienveillante, des sourires, de l’humour, de l’enthousiasme et de la bonne humeur.
    • À l’opposé, l’attention négative est à utiliser avec parcimonie. Elle est susceptible d’apporter un bénéfice, mais à court terme. L’enseignant peut faire usage d’une expression menaçante, d’un regard sombre. Il peut manifester de la désapprobation, sermonner, rappeler à l’ordre, se fâcher ou réprimander. Non seulement cela n’apporte pas de solution à long terme, mais cela peut aussi renforcer les comportements perturbateurs par un phénomène d’habituation. 
    • Nous devons toujours garder nos manifestations intempestives d’énervement ou d’agacement sous contrôle. Les élèves peuvent prendre conscience du processus et s’amuser à déclencher ce comportement négatif chez un enseignant. Cela peut également mener à l’établissement d’un cycle de coercition.
  2. Les compliments sont de bons renforcements, à condition d’être sincères, spontanés, authentiques et plausibles :
    • Il est inutile et contre-productif de récompenser un élève pour quelque chose qu’il n’a pas bien fait, dont il n’est pas responsable ou qui ne représente aucun effort pour lui, juste de la normalité. Il risquerait de considérer à juste titre que nous essayons de la manipuler. 
    • Il est important de faire un compliment simplement et discrètement, d’individu à individu, sans mise en scène.
    • L’enseignant peut renvoyer un compliment vers la classe entière par exemple à la fin d’un cours qui s’est particulièrement bien passé. Il exprime clairement sa satisfaction personnelle et le bénéfice que cela représente pour tous. 
    • La manière dont nous allons donner un compliment a un effet potentiellement multiplicateur puissant sur l’influence du renforcement positif sur le comportement à venir.
  3. L’enseignant peut explorer la piste des privilèges : obtenir une priorité, un rôle valorisant, le droit d’effectuer un choix, d’être dispensé d’une tâche, etc.
  4. Dans le cadre du soutien au comportement positif ou en fonction des visées (par exemple les contingences de groupes pour des classes plus problématiques du secondaire) :
    • Nous pouvons utiliser des récompenses matérielles peu couteuses, d’images, des autocollants, des crayons ou des petits objets. 
    • Nous pouvons également utiliser des récompenses immatérielles : des activités, jeux, récréations, etc.  
    • Pour compiler tout ça, on peut utiliser des systèmes de points, de jetons ou de vignettes. Nous mettons en place une forme de système monétaire qui est convertible en récompenses tangibles matérielles ou en récompenses réelles ou collectives. Les points s’accumulent au fur et à mesure, l’enseignant n’en retire jamais. Ils vont pouvoir être convertis en certaines récompenses, qui sont préétablies au départ.



Un bel exemple de renforcement positif à l’échelle de l’école est mis à l’œuvre à l’école fondamentale du Sacré-Cœur de Burnot à Profondeville dans le cadre du soutien au comportement positif.

En guise de renforcement dans les différents lieux et classes de l’école, les élèves reçoivent des galets en verre à l’occasion d’un renforcement positif. Tous ces galets sont ensuite déposés dans un lieu central. Lorsque le seau est rempli à moitié, une récompense collective, choisie par les élèves au sein d’une liste (affichées) est organisée à l’échelle de l’école. 





Mise à jour le 10/07/2022

Bibliographie


Ramus, F. (2019). De la perturbation à l’implication : comment faire adhérer les élèves ? Conférence à l’ISP-Faculté d’Éducation, Paris, 22/05/2019

La psychologie pour les enseignants, 2021, https://www.fun-mooc.fr/en/cours/la-psychologie-pour-les-enseignants/

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