(Photographie : Panos Charalampidis and Mary Chairetaki)
Après une présentation générale du principe de redondance (voir article ci-dessous), voici un petit tour d’horizon sur ses implications concrètes.
Se méfier de la nature contre-intuitive de l’effet de redondance
Le principe de redondance bat en brèche l’hypothèse fréquemment formulée, qui semble intuitivement correcte, selon laquelle des informations redondantes sont au moins neutres, au mieux bénéfiques pour l’apprentissage.
Paradoxalement, en y éliminant la redondance, l’intelligibilité peut être augmentée plutôt que diminuée.
La redondance n’est pas bénéfique et il n’existe aucun cas de figure où elle l’est. Cette constatation est importante. Elle est contraire à l’idée que le fait de fournir deux fois la même information ne peut pas faire de mal ou même est utile.
Combiner apprentissage et compréhension
Compréhension et apprentissage vont de pair
L’apprentissage n’est pas obligatoirement durable et en profondeur. Il peut être à court terme ou superficiel.
Un élève peut mémoriser une formule ou une définition sans en saisir la signification profonde, leur contexte d’utilisation ou les liens avec d’autres connaissances. Il peut également réaliser l’apprentissage en une seule session d’étude. Les connaissances qui en résultent seront souvent fragiles et sensibles à l’oubli.
La compréhension peut elle-même être superficielle. La compréhension en profondeur nécessite un mouvement en parallèle avec l’apprentissage. L’apprenant établit des liens entre les nouvelles connaissances et ce qu’il connait déjà. Il s’entraine à expliquer les nouvelles connaissances avec ses propres mots, à les appliquer dans de nouvelles situations et en déduire des conséquences.
La compréhension est par conséquent à la fois un prérequis et un outil pour l’apprentissage. Les processus mobilisés lors de la compréhension, comme l’interrogation élaborée, continueront à accompagner le développement d’un apprentissage durable en complément d’une pratique de récupération distribuée.
Le simple établissement d’une compréhension à un moment donné ne suffit pas à établir un apprentissage, car il s’agira surtout d’une performance. Celle-ci qui devra être répétée et se vérifier au fil du temps pour être assimilable à un apprentissage durable.
L’apprentissage ne se fait pas sans satisfaction. Dans le processus de compréhension et d’apprentissage, deux processus se révèlent gratifiants :
- Avoir le sentiment de comprendre quelque chose qu’on ne comprenait pas précédemment.
- Être capable de répondre à des questions de récupération qui représentent un certain défi.
Mobiliser la compréhension à bon escient
Assez paradoxalement, lorsque nous pratiquons la répétition, nous facilitons la compréhension, car cela la rend plus facile. Toutefois, cela peut se révéler contre-productif. Refaire la même chose n’est souvent ni très productif, ni très engageant pour un élève.
Néanmoins, le développement d’automatismes nécessite une certaine forme de répétition dans le but de développer la fluidité. Cependant, au-delà, la mise en œuvre d’un apprentissage durable exigera également un certain niveau de difficulté qui sera en phase avec des attentes élevées.
Les difficultés doivent rester désirables et faire un bon usage de la charge cognitive.
Une confusion à ne pas faire est celle entre un enrobage artificiel qui n’apporte rien aux situations (une charge cognitive extrinsèque) et de vrais défis. Ceux-ci doivent inciter les élèves à s’engager dans une interrogation élaborée sur leurs connaissances (une charge cognitive intrinsèque).
Un cas d’enrobage typique et inutile est celui que nous trouvons dans des activités et problèmes mathématiques parfois soumis aux élèves. Intuitivement, beaucoup de concepteurs considèrent que contextualiser le raisonnement attendu dans une situation authentique, avec des photographies par exemple, pourrait faciliter la résolution du problème. En effet, il y a l’idée derrière que les élèves doivent apprendre à manier des objets concrets avant d’apprendre à manipuler des entités plus abstraites et formelles.
Cependant, si les capacités de la mémoire de travail sont consacrées à la manipulation des objets concrets, il se peut que les élèves n’aient plus suffisamment de ressources pour pleinement saisir et manipuler leurs équivalents abstraits.
Un cas d’enrobage typique et inutile est celui que nous trouvons dans des activités et problèmes mathématiques parfois soumis aux élèves. Intuitivement, beaucoup de concepteurs considèrent que contextualiser le raisonnement attendu dans une situation authentique, avec des photographies par exemple, pourrait faciliter la résolution du problème. En effet, il y a l’idée derrière que les élèves doivent apprendre à manier des objets concrets avant d’apprendre à manipuler des entités plus abstraites et formelles.
Cependant, si les capacités de la mémoire de travail sont consacrées à la manipulation des objets concrets, il se peut que les élèves n’aient plus suffisamment de ressources pour pleinement saisir et manipuler leurs équivalents abstraits.
De fait, des chercheurs ont constaté que des situations mathématiques contextualisées peuvent devenir plus difficiles à résoudre que des énoncés similaires qui ne le sont pas. Ajouter des photos, un contexte narratif, multiplier les synonymes ou les figures de style, tend à diminuer la capacité de résolution des élèves.
Une implication similaire intervient lors de l’apprentissage de la lecture. Le fait de présenter aux enfants un mot associé à une image est moins efficace que le mot seul pour leur apprendre à lire. Avec une illustration, une partie des ressources de la mémoire de travail est détournée de l’apprentissage.
De même, pour bon nombre d’enseignants, une perspective de bon sens suggère qu’en présentant la même information sous de multiples formes, l’apprentissage des élèves en ressort amélioré. Par exemple, l’information verbale peut être proposée sous les modalités auditives et visuelles.
Contrairement à cette intuition, les données expérimentales disponibles indiquent très clairement que cette perspective contient une erreur de base. Les présentations pédagogiques comportant des informations redondantes, ou non directement utiles, inhibent plus souvent l’apprentissage qu’elles ne l’améliorent. En cherchant à comprendre ces informations périphériques, les élèves peuvent s’engager plus, mais vont également moins apprendre.
Une implication similaire intervient lors de l’apprentissage de la lecture. Le fait de présenter aux enfants un mot associé à une image est moins efficace que le mot seul pour leur apprendre à lire. Avec une illustration, une partie des ressources de la mémoire de travail est détournée de l’apprentissage.
De même, pour bon nombre d’enseignants, une perspective de bon sens suggère qu’en présentant la même information sous de multiples formes, l’apprentissage des élèves en ressort amélioré. Par exemple, l’information verbale peut être proposée sous les modalités auditives et visuelles.
Contrairement à cette intuition, les données expérimentales disponibles indiquent très clairement que cette perspective contient une erreur de base. Les présentations pédagogiques comportant des informations redondantes, ou non directement utiles, inhibent plus souvent l’apprentissage qu’elles ne l’améliorent. En cherchant à comprendre ces informations périphériques, les élèves peuvent s’engager plus, mais vont également moins apprendre.
La compréhension doit être au service de l’apprentissage et ne doit pas être distraite de cette finalité.
Le mythe des styles d’apprentissage face au principe de redondance
Un autre argument en faveur de l’ajout de texte sur un document projeté (ou sur écran) accompagné d’explications orales peut s’inspirer de l’hypothèse infondée des styles d’apprentissage. Selon celle-ci, différentes personnes apprendraient de différentes façons (visuelle, kinesthésique, auditive), il serait dès lors préférable de présenter l’information parallèlement, sous des formats différents.
Le rôle des différences individuelles dans l’apprentissage est reconnu depuis longtemps en psychologie de l’éducation. Il est établi que les élèves ont des préférences. Sur base de ce principe, nous pourrions prédire que l’ajout de texte à l’écran lors d’explications orales reposant sur des schémas permettrait d’améliorer l’apprentissage mesuré par des tests de transfert.
Il n’en est rien comme le montre et le réfute le principe de redondance dans le cadre de la théorie de la charge cognitive.
Il y a apprentissage significatif lorsque les individus peuvent s’occuper des parties pertinentes de l’information visuelle et auditive qui leur est fournie. Ils organisent le contenu en représentations verbales et graphiques cohérentes. Ils intègrent les deux approches.
Lorsque des images, un texte imprimé et un contenu oral sont tous trois présentés et diffusés en même temps, la mémoire de travail peut être surchargée par des éléments extrinsèques de deux façons :
- Tout d’abord, les images et les mots imprimés se disputent les ressources cognitives limitées dans le canal visuel. Les deux formes de stimuli entrent dans le traitement de l’information de l’apprenant par les yeux. Lorsque les yeux de l’apprenant passent régulièrement de l’un à l’autre, une charge extrinsèque est créée.
- Deuxièmement, lorsque l’information verbale est présentée à la fois de manière visuelle et auditive, les élèves peuvent être tentés de s’occuper des deux pour tenter de concilier les deux flux d’information. Ce traitement externe exige des ressources cognitives qui ne seront donc pas disponibles pour le traitement essentiel et génératif nécessaire à un apprentissage significatif.
Implications du principe de redondance pour la conceptions de synthèses et d'organisateurs graphiques
Paradoxalement, nous pourrions conclure de ce qui a été écrit qu’ajouter un résumé ou un organisateur graphique dans un cours est susceptible d’être une source de redondance.
Sauf que les résumés, tout comme les organisateurs graphiques, ne sont pas intégrés directement au même emplacement que les contenus détaillés correspondants. Physiquement, ils sont localisés dans une autre zone du document. Ils sont probablement utiles pour rappeler synthétiquement les informations précédentes, de manière décalée dans le temps. Ils servent dès lors de support synthétique pour favoriser la mémorisation.
Le résumé constitue ainsi une redondance à distance (physique ou temporelle) susceptible d’être bénéfique en tant que source d’espacement temporel. En outre, il a été montré que les élèves sont susceptibles d’apprendre davantage à partir des résumés des manuels que des chapitres complets.
La présence de résumés et d’organisateurs graphiques dans un manuel scolaire est probablement bien plus bénéfique que de fournir aux élèves des informations supplémentaires redondantes ou non directement pertinentes. Ces dernières nécessitent des ressources en mémoire de travail pour être traitées. Celles-ci ne pourront contribuer à un apprentissage.
Effet de redondance dans l’apprentissage des langues étrangères
Il a été établi qu’une présentation simultanée de documents de façon orale et écrite pouvait inhiber l’apprentissage. Les élèves peuvent apprendre plus efficacement en écoutant ou en lisant seuls plutôt qu’en lisant et en écoutant en même temps.
Lorsque les élèves n’ont pas un niveau suffisamment élevé de maîtrise des langues étrangères, le taux d’écoute est susceptible d’être très inférieur au taux de lecture, ce qui entraînerait une faible correspondance audiovisuelle. Ces élèves délaisseraient l’audition pour se concentrer sur l’écrit.
Lorsqu’un même texte est présenté selon des modalités différentes, les élèves doivent traiter simultanément ces deux sources d’information et construire entre elles des relations de référence. Ceci peut imposer une lourde charge de mémoire de travail aux apprenants débutants en langues étrangères, ils peuvent ne pas avoir la capacité de mémoire de travail nécessaire pour lire et écouter en même temps. Cela se traduit par une compréhension et un apprentissage moindres. Il vaut donc mieux faire l’un des deux, écouter sans lire ou lire sans écouter.
Par contre, l’effet de redondance ne se manifestera pas si le niveau en langues de l’élève est élevé ou si le niveau de difficulté du texte est faible.
L’effet de redondance dans un cours de langues contredit la pratique courante des enseignants de lire un texte à haute voix pendant que les élèves suivent leurs mots dans un manuel scolaire.
Ce résultat semble contre-intuitif. La cause de cette erreur vient d’une confusion entre la compréhension et l’apprentissage.
En effet, si les élèves se voient présenter un test de compréhension dans la foulée, ils peuvent obtenir presque toujours de meilleurs résultats à ce test à une condition. L’information doit être présentée sous la forme d’une double modalité plutôt que d’une modalité unique. Ils peuvent choisir de se concentrer sur la lecture ou l’écoute, selon ce qu’ils estiment être le plus efficace pour améliorer leur compréhension.
Néanmoins, un contexte d’enseignement, une augmentation de la compréhension sont moins importants qu’une augmentation de ce qui a été appris et une augmentation de la compréhension ne signifie pas que davantage a été appris.
Pour déterminer s’ils en ont appris davantage, il faut présenter aux élèves un nouveau contenu et tester leur compréhension sur celui-ci. En utilisant ce modèle expérimental, le résultat commun suggère que les présentations à modalité unique donnent lieu à plus d’apprentissage que les présentations à double modalité.
Effet de redondance dans l’apprentissage informatique
Une approche traditionnelle enseigne aux apprenants à utiliser divers logiciels ou dispositifs techniques à l’aide d’un manuel. Cela exige de prêter simultanément attention :
- Aux explications du manuel, souvent illustrées par des captures d’écran ou des images
- À l’écran ou à l’équipement de l’ordinateur et d’y entrer entrer également des données ou des commandes au clavier.
Dès lors, nous pouvons en conclure que l’élimination temporaire des ordinateurs ou du matériel redondant aux premiers stades de l’apprentissage devrait faciliter l’apprentissage. C’est ce que des recherches ont montré. L’utilisation unique d’un manuel s’est avérée plus efficace que l’utilisation d’un manuel et de l’ordinateur en parallèle pour des novices.
De même, l’élimination du manuel et son remplacement par l’affichage de toutes les informations à l’écran peuvent également être efficaces du point de vue de la charge cognitive.
Une fois que les apprenants ont acquis une certaine connaissance de l’application ou du matériel, ils seront en mesure de gérer des niveaux plus élevés de charge cognitive. La capacité effective de la mémoire de travail augmente de manière significative lorsque ce sont des informations familières. Une fois stockées en mémoire à long terme, ces connaissances n’encombrent plus la mémoire de travail et peuvent être rappelées à moindre coût cognitif.
Mise à jour le 13/01/2024
Bibliographie
Sweller, J., van Merriënboer, J. and Paas, F. (2019). Cognitive Architecture and Instructional Design: 20 Years Later. Educational Psychology Review.
Sweller John, Ayres Paul, Kalyuga Slava, Cognitive Load Theory, Springer, 2011
Richard E. Mayer, Multimedia Learning, Cambridge University Press, 2009
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