samedi 27 juillet 2024

La nécessaire efficience des stratégies d’apprentissage

Cindy Nebel (2024), spécialiste en science de l’apprentissage, explique son expérience auprès d’étudiants en sciences médicales en lien avec des stratégies d’apprentissage efficaces.

(Photographie : mossmoss)



Quand l’efficience l’emporte sur l’efficacité


Elle explique que dans le cadre des études en médecine, l’enjeu n’est pas tant l’efficacité des stratégies d’apprentissage que leur efficience, dans un contexte stratégique où le temps disponible est précieux.

Les étudiants en médecine ont une énorme quantité d’informations à apprendre dans chacun de ces cours en un laps de temps réduit. Leur objectif n’est pas de maîtriser 100 % du contenu, mais de rester bien au-dessus du seuil de réussite. 

En effet, l’enjeu n’est pas seulement de mémoriser des contenus. L’objectif n’est pas une connaissance superficielle, mais une capacité de les appliquer dans des cas concrets, ce qui impose une intégration et une flexibilité des connaissances. 

Il s’agit de rester au-delà du niveau de réussite en considérant que certaines connaissances mémorisées ne seront pas autant intégrées ou flexibles que souhaité. 

Il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans la journée pour que ces étudiants maîtrisent l’ensemble de la matière par une mobilisation classique des stratégies couramment recommandées. Ils ont besoin de stratégies d’apprentissage non seulement efficaces, mais aussi efficientes, qui leur permettent de maximiser l’apprentissage tout en étant peu gourmandes en temps.



Des stratégies d’apprentissage efficaces parfois inefficientes lorsque le temps manque


La plupart des stratégies d’apprentissage recommandées en psychologie cognitive prennent du temps :
  • C’est le cas d’une pratique espacée de qualité.
  • C’est le cas de la pratique de récupération pour laquelle on recommande une triple récupération réussie lors de l’apprentissage initial.
  • C’est le cas de la création de synthèses visuelles et d’organisateurs graphiques efficaces.
  • C’est le cas de la rédaction de questions de qualité pour l’interrogation élaborée.
  • C’est le cas de la conception de résumés Cornell ou de flashcards.
Toutes ces stratégies résolument efficaces pour améliorer la compréhension et la mémorisation.

Toutefois, il peut être invraisemblable ou impossible pour certains étudiants dans certaines situations ou certaines filières de toutes les mettre en œuvre. Ils peuvent se retrouver coincés entre de grandes quantités de matière à assimiler et peu de temps disponible.



Augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficaces au niveau de la récupération


Leur objectif est d’augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficace. 

Une manière de faire est de minimiser les stratégies d’organisation des connaissances. Celles-ci ont pour objet de traiter les informations contenues dans les supports pédagogiques en une autre forme plus adaptée (des flashcards, des organisateurs graphiques, des résumés Cornell) pour être mobilisée par les stratégies cognitives. Le but est de directement entrer activement dans une logique d’apprentissage durable. 

Dès lors, il s’agit de privilégier des supports précréés.

Par exemple, il s’agit d’utiliser des ensembles de flashcards numériques directement disponibles dans une application numérique (Anki, Quizlet ou Wooflash). Comme l’application numérique gère elle-même automatiquement l’espacement, il ne faut pas s’en charger et par défaut l’utilisation du temps est optimisée. 

Le seul risque à l’usage des flashcards est qu’elles ne rencontrent leur plein potentiel que si leur utilisation ne démarre qu’après que les contenus ont été complètement compris. Cela peut se faire, soit en assistant au cours, soit en lisant attentivement les supports de cours correspondants. En cas de difficulté de compréhension du contenu d’une flashcard, le retour au support de cours pour contextualiser s’impose.

Si cette étape de compréhension et d’intégration des connaissances n’est pas assurée, alors l’usage des flashcards peut n’aboutir qu’à un apprentissage superficiel inefficace. Il peut se révéler trop coûteux en temps, car l’apprenant doit alors se reposer sur un apprentissage par cœur peu interconnecté et peu flexible.



Augmenter l’efficience de l’apprentissage dans un cadre multimodal 


Importance du cadre multimodal

Dans une perspective cognitive, l’efficience de l’apprentissage représente le rapport entre les gains d’apprentissage effectués et les ressources engagées (temps consacré, efforts, attention et stratégies mobilisées).

Pour maximiser ce rapport, nous devons à la fois jouer sur le niveau de défi (suffisant pour soutenir l’apprentissage) et de charge cognitive (pas trop élevée pour ne pas inhiber l’apprentissage).

Utiliser judicieusement des stratégies efficaces mises en évidence empiriquement par la science de l’apprentissage est un atout, mais elles doivent être mises en œuvre de manière optimale.

Il y a un enjeu à privilégier les supports d’apprentissage et les stratégies cognitives combinant les dimensions verbales et visuelles de manière à accélérer la compréhension, l’apprentissage initial et la consolidation. 

La prise en compte du cadre multimodal va : 
  • Impliquer une réflexion sur la combinaison entre informations visuelles et verbales
  • Se réaliser en fonction de la nature des contenus à apprendre et du niveau de connaissance des apprenants 
La théorie du double codage, la théorie de la charge cognitive et la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia ont mis en évidence différents principes clés liés à ces questions. 


Stratégies et principes permettant d’optimiser l’efficience du cadre multimodal

Les deux facteurs clés sont d’éviter la surcharge cognitive et d’assurer l’engagement des apprenants dans un traitement génératif effectif.
  • Le principe du double codage : 
    • Le traitement de l’information est plus efficace lorsque celle-ci est présentée à la fois visuellement et verbalement. Le cerveau possède deux systèmes de traitement distincts : un système verbal pour le langage et un système non verbal pour les images. En combinant ces deux systèmes, on peut améliorer la compréhension, la mémorisation et la récupération de l’information. 
  • Le principe de modalité : 
    • Sur les supports d’apprentissage et lors de l’enseignement, il est dès lors utile de présenter simultanément des informations visuelles et auditives. De cette manière, nous mobilisons à la fois le canal visuel et le canal auditif de la mémoire de travail.
  • Le principe de redondance : 
    • En enseignant, il s’agit d’éviter de lire à haute voix un texte qui est déjà affiché à l’écran, ce qui surchargerait inutilement la mémoire de travail. 
    • Toutefois, la redondance n’est pas toujours nuisible. Elle peut être bénéfique lorsque les contenus à apprendre sont complexes.
  • Le principe de cohérence : 
    • Il s’agit de supprimer toute information non essentielle, décorative ou non pertinente pour l’objectif d’apprentissage en cours.
  • Le principe de segmentation : 
    • Il s’agit de présenter les informations complexes en segments courts et maîtrisables, étape par étape, ce qui favorise un traitement efficace et en profondeur.
  • Le principe de contiguïté spatiale et temporelle : 
    • L’apprentissage est plus efficace lorsque les éléments liés sont présentés à la fois de manière proche dans l’espace et simultanément dans le temps.
D’autres facteurs sont liés aux stratégies cognitives et métacognitives : 
  • L’interrogation élaborée ou la pratique de récupération : 
    • Cette stratégie d’apprentissage efficace peut être renforcée. On peut demander à l’apprenant d’expliquer un phénomène qui lui a été précédemment enseigné ou dans le cadre d’une application ou d’une tâche de transfert, en mobilisant l’expression verbale et un schéma.
  • La dimension multimodale de la métacognition :  
    • Elle peut être développée en apprenant aux élèves à choisir judicieusement en fonction du contexte d’apprentissage des stratégies qui permettent de combiner les formats visuels et verbaux.


Augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage par l’élaboration


L’élaboration est une stratégie cognitive importante pour l’apprentissage. Lorsqu’il s’engage dans l’élaboration, un apprenant va construire des réponses à partir de ses connaissances existantes. Il va créer des liens entre de nouvelles informations et des connaissances préalables qu’il possède.

Par le biais de ce processus, il va développer et enrichir ses schémas à la condition que ses réponses soient pertinentes. L’élaboration permet ainsi d’approfondir les connaissances à partir du moment où les connaissances préalables sont suffisantes dans le domaine.

Dès lors, la stratégie d’élaboration n’est pas à utiliser dans les premières phases de l’apprentissage où la compréhension et la mémorisation sont plus importantes. Il faut déjà posséder un certain niveau de connaissance avant que l’élaboration ne devienne profitable. Si ce niveau de connaissance est atteint, l’élaboration devient plus profitable qu’une simple récupération de contenus en mémoire.

Différentes stratégies peuvent venir soutenir l’élaboration :
  • Se poser des questions ou répondre à des questions : auto-explication ou explications données à un pair
  • Faire des analogies ou comparer de nouvelles informations à des concepts familiers
  • Réaliser un résumé Cornell ou un guide d’étude formé de flashcards.
  • Commenter des outils visuels comme des schémas, des organisateurs graphiques ou des cartes conceptuelles.
 L’élaboration permet de faire en sorte que les nouvelles connaissances ne restent pas des informations isolées, mais s’intègrent harmonieusement dans nos schémas en mémoire à long terme.

Dans une démarche d’élaboration, l’enjeu sera d’exploiter toutes les ressources en matière de questions (liées aux objectifs d’apprentissage et aux exemples d’évaluation) dans le but d’induire des démarches d’élaboration.

Un avantage de telles démarches est qu’elles permettent d’enrichir l’apprentissage et de se mettre en condition d’évaluation avec des questions similaires à celles qui risquent d’être posées. Cette correspondance de style des questions et réponses est essentielle. 

Le point fort de l’élaboration est de coupler la récupération et l’élaboration. On parle d’ailleurs de pratique de récupération élaborée. Il ne s’agit pas simplement de récupérer des contenus simples, mais de les inclure dans un traitement de l’information propice au transfert. Les raisonnements exécutés doivent être similaires et équivalents à ceux exigés lors des évaluations. 

L’enjeu de l’élaboration est de mobiliser cette démarche au bon moment dans le processus d’apprentissage. Comme le bénéfice de tels outils est fonction d’une compréhension et d’un apprentissage initial des contenus. Il peut se faire progressivement  :
  1. Préparation d’un guide d’étude par la constitution de flashcards et de résumés Cornell, leur réalisation induisant de l’élaboration.
  2. Étude : 
    • De problèmes résolus avec auto-explications sur la démarche suivie.
    • Du guide d’étude selon une pratique de récupération espacée (l’élaboration y est moins mobilisée, mais cette étape est nécessaire pour faciliter la suivante).
  3. Résolution : 
    • De problèmes nouveaux avec rétroaction ultérieure
    • Des questionnaires types, semblables à ceux qui seront utilisés lors de l’évaluation dans une perspective d’auto-évaluation ou d’évaluation formative. 
Au plus, les connaissances et la maîtrise dans un domaine sont élevées, au plus la troisième option sera à entamer tôt. Pour des novices, la première et la deuxième option sont des passages obligés.



Le défi du pilotage de l’efficience par la métacognition


Augmenter l’efficience des stratégies efficaces n’est pas simplement un mode d’organisation, mais surtout un enjeu d’autorégulation.

Par exemple, l’usage de l’entremêlement et de la pratique espacée doit être bien pensé. Le choix de la manière appropriée d’utiliser ces options nécessite une prise de conscience métacognitive et une régulation, ce qui peut s’avérer difficile pour les étudiants.


Un premier défi est de privilégier un apprentissage en profondeur. 


Il est important de phaser les stratégies utilisées pour privilégier en tout temps un apprentissage en profondeur :
  • Dans un premier temps, il faut miser sur la compréhension. Les supports pédagogiques et surtout, les organisateurs graphiques sont optimaux à ce stade.
  • Ensuite, il s’agira de s’engager dans un apprentissage initial qui va laisser la part belle à l’apprentissage initial suivi de récupération. Pour cela, les flashcards sont un outil idéal.
  • Finalement, il faudra laisser une place grandissante à la récupération élaborée en s’exerçant à des questions de réflexion et de résolution de problèmes, qui seront typiques pour l’évaluation à avenir. Ce processus va demander de faire des liens, d’appliquer et de transférer ce que l’on a appris par les flashcards.
L’enjeu est de démarrer rapidement l’usage des flashcards et d’entamer la récupération élaborée dès que leur étude espacée commence à demander moins de temps.

La récupération des flashcards et la résolution de problèmes sont toutes deux nécessaires, mais aucune n’est suffisante en elle-même.

La mémorisation est nécessaire, mais la compréhension de la manière dont tous les éléments s’articulent l’est tout autant.

Il importe donc de commencer par l’étude par un peu plus de mémorisation et un peu moins d’application, puis d’évoluer progressivement vers l’application, la mobilisation et le transfert des connaissances.

Si les flashcards sont utiles au départ, il convient également de structurer, d’organiser et d’intégrer les connaissances avec une vue d’ensemble, et de les mobiliser rapidement également. Il est chaque fois important d’adapter la stratégie à la matière apprise et aux connaissances préalables de l’apprenant.


Un second défi est de rendre l’apprentissage cognitivement actif


La distinction entre « apprentissage passif » et « apprentissage actif » est un peu dépassée dans le sens où ce qui compte n’est pas un engagement physique, mais un traitement cognitif des contenus, génératif d’apprentissage. Ce dernier n’est pas directement visible.

Les dimensions passives (mémorisation et récupération) et actives (compréhension et élaboration) de l’apprentissage sont nécessaires en combinaison pour rendre l’apprentissage aussi efficace que possible.

Il faut assister au cours et le lire pour le comprendre. Ce qui compte, ce sont les stratégies mobilisées lors des formes d’apprentissage passives ou actives. Un élément clé est l’auto-explication où l’on utilise un style narratif pour s’expliquer ce que l’on connait ou que l’on est en train de comprendre. Cette forme d’élaboration favorise l’interconnexion de la matière. Elle est idéalement suivie d’une récupération active de ces informations. 

Par la suite, une fois la récupération bien engagée, l’élaboration réapparait face à des questions plus complexes de résolution de problèmes et de tâches complexes. L’important est d’être chaque fois cognitivement actif. 


Mis à jour le 10/08/2024

Bibliographie


Cindy Nebel  , Retrieval Practice in Undergraduate Medical Education, 2024, https://www.learningscientists.org/blog/2024/4/11-1

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