lundi 9 novembre 2020

Un développement professionnel fondé sur des données probantes

Dans un précédent article, nous avons mis en évidence cinq principes liés à un développement professionnel efficace qui rencontrent un certain consensus au sein de la recherche (Richard et coll., 2017).

L’objectif du présent article est d’explorer la validité de preuves qui soutiennent certains de ces principes, en se basant sur un autre article de recherche de Sims & Fletcher-Wood (2020).

(Photographie : Tombo775)


Sam Sims et Harry Fletcher-Wood (2020) proposent une manière alternative d’identifier les caractéristiques d’un développement professionnel efficace. Ils explorent également la validité de certains principes faisant consensus. 



Les limites des principes liées à un d’un développement professionnel efficace


Comme ils l’expliquent, il existe un consensus apparent sur les caractéristiques d’un développement professionnel efficace. Sam Sims et Harry Fletcher-Wood proposent cette synthèse qui correspond pour une large partie aux principes énoncés par Richard et coll. (2017).


Principe 1 : Le développement professionnel est plus efficace lorsqu’il est distribué dans le temps

  • Le développement professionnel devrait être organisé selon un processus cyclique dans lequel le contenu est réexaminé ou développé de manière itérative. 
  • Il faut du temps aux enseignants pour assimiler de nouvelles connaissances et acquérir de nouvelles pratiques. 
  • Les sessions de formation d’une ou deux journées consécutives sont généralement considérées comme relativement inefficaces.


Principe 2 : Le développement professionnel est plus efficace lorsque les enseignants collaborent

  • L’exigence de collaboration est formulée comme la nécessité de travailler avec plusieurs pairs ou au sein d’une communauté de pratique.
  • Cette approche donne aux enseignants l’opportunité de se remettre en question et de dissiper leurs malentendus. 
  • Un développement professionnel purement vertical, du formateur vers les participants individuels est souvent considéré comme particulièrement inefficace. 


Principe 3 : Le développement professionnel est plus efficace lorsque les enseignants y adhèrent ou l’approuvent

  • Le développement professionnel volontaire est plus efficace que le développement professionnel obligatoire. 
  • La participation obligatoire à la formation continue peut être rendue efficace si l’objectif et les avantages sont clairement expliqués aux enseignants. De cette manière, ils peuvent comprendre l’intérêt d’y participer.


Principe 4 : Le développement professionnel est plus efficace lorsqu’il intègre une dimension théorique explicative à la pratique

  • Technique pédagogique et contenus spécifiques sont complémentaires. Le développement professionnel est plus efficace lorsque des connaissances thématiques et des techniques pédagogiques générales sont dispensées ensemble et intégrées. L’enseignant peut comprendre pourquoi ça marche et sur quels paramètres il peut jouer.
  • Cette situation est souvent opposée au développement professionnel qui n’implique qu’une formation aux techniques pédagogiques générales qui sont alors perçues comme des recettes à appliquer par les enseignants ou des outils prêts à l’emploi.


Principe 5 : Le développement professionnel est plus efficace lorsqu’il fait appel à une expertise extérieure

  • Les compétences d’experts extérieurs à l’école peuvent constituer une contribution précieuse. 
  • Généralement, cette dimension est nécessaire pour apporter un défi ou une nouvelle perspective aux enseignants.
  • Cela s’oppose à l’idée du recyclage ou de la diffusion de l’expertise interne à l’école, avec laquelle les enseignants peuvent déjà être familiers et qui peut comporter des imperfections.


Principe 6 : Le développement professionnel est plus efficace lorsqu’il intègre une mise en pratique

  • La pratique aide les enseignants à appliquer concrètement en classe ce à quoi ils sont formés.
  • Cette approche est souvent opposée à celle de conférences magistrales durant lesquelles les enseignants reçoivent une formation de manière passive, sans rien intégrer dans leur pratique. 

Sam Sims et Harry Fletcher-Wood font le constat que ce consensus sur le développement professionnel influence la recherche, la politique et la conception du développement professionnel, peut-être à tort. 


Validité des principes


Sam Sims et Harry Fletcher-Wood se sont interrogés sur la validité de ce consensus. Ils ont procédé à un examen critique des méta-analyses qui y aboutissent.

Leur démarche est motivée par plusieurs évaluations récentes d’interventions en développement professionnel. Celles-ci incluaient les caractéristiques du consensus et pourtant, elles n’ont pas montré d’impact positif.

Dès lors, ces principes ne sont peut-être pas suffisants ou nécessaires pour assurer l’efficacité d’une intervention en développement professionnel.

Sam Sims et Harry Fletcher-Wood ont procédé à une revue méthodologique. Pour cela, ils sont remontés aux études initiales qui ont servi à déduire ces principes dans des méta-analyses. Ils en ont analysé la validité. 

Ils se sont concentrés sur les études qui utilisent les résultats de l’apprentissage des élèves comme élément de mesure. Ces études reconnaissent par là que l’objectif du développement professionnel est son amélioration.


La question de l’inclusion


Sam Sims et Harry Fletcher-Wood se sont intéressés aux critères de choix des recherches sélectionnées pour établir le consensus.

Les critères de sélection utilisés par une revue de la littérature affectent directement ses conclusions.

  • Ces critères déterminent quels articles sont examinés : l’exclusion de certaines études importantes peut donner une image partielle et potentiellement inexacte des preuves.
  • Ces critères permettent d’exclure les études qui n’utilisent pas une méthodologie de recherche susceptible de répondre à la question posée.

Sam Sims et Harry Fletcher-Wood mettent en évidence diverses faiblesses :

  • Parfois, les résultats des études initiales étaient avant tout qualitatifs et non quantitatifs. 
  • D’autres fois, il existait un problème de validité au niveau du groupe contrôle. 
  • La seule étude réellement expérimentale ne portait que sur vingt enseignants, un échantillon trop réduit. 

De nombreuses études qui ont abouti au consensus n’ont pas utilisé de critères d’inclusion appropriés. À l’opposé, d’autres études plus exigeantes dans leurs critères d’inclusion étaient moins favorables. Elles ont eu tendance à ne pas approuver le contenu du consensus. 

Sam Sims et Harry Fletcher-Wood en concluent que la recherche sous-jacente ne soutient pas ce consensus parce qu’elle utilise des critères d’inclusion inappropriés.


La question de l’inférence


En ce qui concerne l’établissement des principes au départ des études sélectionnées, Sam Sims et Harry Fletcher-Wood montrent que le consensus a parfois été obtenu par une méthode d’inférence globale qu’ils décrivent comme logiquement erronée. 

Selon eux, l’apparition régulière de caractéristiques spécifiques du développement professionnel dans des interventions efficaces ne justifie pas en soi de poser une inférence sur l’effet causal de celles-ci.

Les caractéristiques qui participent au consensus pourraient se retrouver fréquemment dans les interventions de développement professionnel efficace pour des raisons autres que leur propre contribution à l’efficacité.



L’influence de la collaboration et de l’adhésion dans le pilotage de l’amélioration


Sam Sims et Harry Fletcher-Wood analysent le cas de la collaboration (principe 2) et de l’adhésion des enseignants (principe 3). 

Pour la collaboration, ils partent du constat que les écoles ont des budgets limités et des ressources réduites à investir dans le développement professionnel. De fait, une approche collaborative pour tous les enseignants sera moins coûteuse qu’une approche individuelle pour chaque enseignant. Elle peut de même contribuer à la cohésion des enseignants. La collaboration est donc susceptible de se manifester très régulièrement dans le cadre du développement professionnel sans qu’elle puisse par elle-même contribuer à son efficacité. 

Pour l’adhésion, ils notent que la causalité présumée pourrait être dans le sens opposé. Les enseignants peuvent être enthousiastes à l’idée d’une intervention de développement professionnel efficace parce qu’ils en remarquent l’impact. Ce principe est peut-être plus valide que l’idée que le programme est efficace parce que les enseignants y ont adhéré. Dès lors, l’enthousiasme des enseignants peut se manifester dans un programme de développement professionnel efficace, même s’il ne contribue pas lui-même à son efficacité de manière causale. 

Par conséquent, même si la collaboration ou l’adhésion des enseignants ne sont certainement pas des caractéristiques indésirables du développement professionnel, la présence de preuves convaincantes de leur contribution à l’efficacité fait actuellement défaut. 



L’importance de la preuve de l’impact et de la preuve du mécanisme dans le cadre des interventions en éducation


Comme démarche alternative à cette recherche de consensus dont ils laissent entrevoir les limites, Sam Sims et Harry Fletcher-Wood proposent une approche différente pour l’établissement d’un développement professionnel efficace.

Il s’agirait de lier la preuve de l’impact à la preuve du mécanisme. La combinaison de deux types de preuves augmenterait la validité que peut avoir chacune des preuves séparément.


Preuve de l’impact


La preuve de l’impact consiste à obtenir des résultats de recherches quantitatives sur une intervention de développement professionnel. Ceux-ci incluent des essais contrôlés randomisés dans de nombreux contextes. Ils doivent montrer que des élèves dont les enseignants adoptent l’approche considérée en apprennent davantage que lorsqu’elle n’est pas utilisée. Il s’agit d’une preuve de la corrélation entre deux phénomènes. 


Preuve du mécanisme


La preuve du mécanisme est issue de la psychologie de la motivation, de la psychologie cognitive ou de la science du comportement. 

Par exemple, nous savons qu’un changement durable nécessite la formation de nouvelles habitudes, et que la répétition d’une action dans son contexte aide les individus à acquérir de nouvelles habitudes. 

Les preuves du mécanisme viendraient donner une explication basée sur un modèle empirique à la preuve de l’impact. Elles expliquent comment des activités organisées d’une manière donnée peuvent être responsables du phénomène observé.


Associer preuve de l’impact et preuve du mécanisme


Selon Sam Sims et Harry Fletcher-Wood, l’enjeu est d’associer les deux types de preuves. Rassembler la preuve du fonctionnement en situation réelle et la preuve du mécanisme qui le fait fonctionner sera plus convaincant que chacune des deux preuves prises séparément. Ces deux types de preuves s’intègrent pour devenir plus que la somme de leurs parties.

La preuve de l’impact prouve qu’une intervention dans son ensemble est efficace. Cependant, elle ne peut à elle seule distinguer les caractéristiques causalement redondantes des caractéristiques causalement pertinentes des interventions. 

Par exemple, le fait de savoir que la collaboration est utile dans plusieurs contextes ne garantit pas que toute intervention de développement professionnel intégrant une collaboration améliorera les résultats des élèves. Cependant, lorsque les deux types de preuves convergent, nous pouvons être plus confiants dans le fait qu’une caractéristique non redondante d’une condition causale suffisante a été identifiée. 

Si nous avons trouvé une intervention de développement professionnel intégrant la caractéristique A qui s’est avérée efficace, nous avons une preuve de l’impact. S’il y a des preuves que A est efficace pour provoquer un changement d’apprentissage ou de comportement dans une série de contextes, nous avons des preuves du mécanisme. Ensemble, elles constituent des preuves beaucoup plus solides que A est réellement caractéristique d’un développement professionnel efficace. 

Selon l’analyse de Sims et Fletcher-Wood (2020), les études qui établissent le consensus sur l’efficacité du développement professionnel tel qu’il est généralement accepté ne le justifient pas pleinement. Par conséquent, ce consensus n’est probablement pas suffisant pour assurer à lui seul des interventions efficaces en matière de développement professionnel. 

Par contre, il semble pertinent d’associer et de combiner des pratiques efficaces avec ce que nous connaissons sur la façon dont les élèves apprennent et se développent. Il s’agit d’apports issus des sciences cognitives et comportementales. 

Un développement professionnel sera porteur :

  • Si nous constatons qu’il fonctionne, c’est son impact.
  • Si nous savons pourquoi il fonctionne, c’est son mécanisme.



Le cas du coaching pédagogique, une caractéristique d’un développement professionnel efficace


Le coaching pédagogique prend la forme d’une relation entre :

  • Un mentor qui dispose d’une plus grande expertise dans le domaine considéré 
  • Un enseignant qui est formé.
Après une formation initiale, l’enseignant bénéficie de l’accompagnement du mentor. Celui-ci lui offre une rétroaction à la suite de ses observations. Cela permet à l’enseignant d’être conseillé dans sa progression vers la maitrise de la nouvelle pratique. 

Les interventions en développement professionnel basées sur du coaching pédagogique montrent quantitativement une amélioration de l’apprentissage des élèves. Il existe des preuves de la corrélation entre l’encadrement pédagogique et les résultats des élèves. C’est la preuve de l’impact. 

Il est toutefois nécessaire de combiner cette preuve de l’impact avec des preuves de mécanismes spécifiques afin d’identifier de manière convaincante les caractéristiques causales de l’encadrement pédagogique. 

Un exemple de mécanisme est fourni par les recherches sur la manière dont les enseignants modifient leurs pratiques :

  • Souvent, les programmes de développement professionnel ne parviennent pas à provoquer les changements souhaités dans la pratique des enseignants, peu importe la qualité de la formation initiale. 
  • C’est la pratique délibérée et répétée par l’enseignant en classe qui rend le comportement souhaité automatique et acquis. La recherche en neurosciences a montré comment des comportements qui se répètent plusieurs fois deviennent régis par différentes régions du cerveau, les rendant plus résistants au changement.
Les habitudes influencent le comportement. Cela suggère qu’elles constituent un mécanisme potentiel important pour changer la pratique des enseignants. 

Le coaching intègre des caractéristiques qui sont connues pour favoriser le changement d’habitudes. Il s’agit de l’observation de la pratique et de la rétroaction fournie par le mentor. De plus, cet accompagnement exige des enseignants qu’ils mettent en pratique de manière répétée les nouvelles compétences dans leurs propres classes. 

Il y a ainsi une preuve du mécanisme : la répétition d’une nouvelle technique favorise grandement son acquisition. 

Elle peut être combinée à la preuve de la corrélation entre le coaching et les résultats des élèves. Cela suggère que le coaching pédagogique est une caractéristique d’un développement professionnel efficace.


Mis à jour le 09/03/2023


Bibliographie


Richard, M., Carignan I., Gauthier, C. et Bissonnette, S. (2017). Quels sont les modèles de formation continue les plus efficaces pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture chez les élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire ? Une synthèse de connaissances. Rapport de recherche préparé pour le Fonds de recherche Société et culture du Québec et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Programme Actions concertées. Québec : Université TÉLUQ

Harry Fletcher-Wood, What makes professional development effective?, 2020, https://improvingteaching.co.uk/2020/06/01/what-makes-professional-development-effective/

Sam Sims & Harry Fletcher-Wood (2020): Identifying the characteristics of effective teacher professional development: a critical review, School Effectiveness and School Improvement, DOI: 10.1080/09243453.2020.1772841

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