jeudi 18 juin 2020

La conception de flashcards efficaces

Les flashcards tendent à s’imposer comme étant un outil performant pour consolider des connaissances de base solides dans un domaine et atteindre efficacement une maitrise d’ensemble. Il est dès lors utile de réfléchir à l’optimisation de ces pièces de puzzle qui peuvent être créées sous format papier ou plus utilement introduites dans une application telle Anki qui possède un algorithme d’espacement intégré.

(Photographie : treur)


Mais comment concevoir des flashcards efficaces ? C’est tout l’enjeu de cet article.



Comprendre avant d’apprendre avec des flashcards


Il est déconseillé de commencer à créer d’emblée ou de se mettre à apprendre à partir d’une pile de flashcards. Leur bon usage impose d’avoir bien compris préalablement le cours correspondant et en avoir assimilé les grandes lignes.

Il s’agit donc auparavant d’avoir assisté au cours ou prétraité attentivement les supports (notes ou manuels) correspondants.

Si nous tentons d’apprendre d’emblée une information non comprise à partir de flashcards ou d’une synthèse, l’apprentissage risque d’être faible :
  • Comprendre et apprendre sont des processus mentaux qui se recouvrent partiellement, mais pas complètement. La compréhension est inscrite dans le présent et mobilise la mémoire de travail. L’apprentissage vise une réutilisation future et mobilise la mémoire à long terme.
  • Le processus va nous demander bien plus d’énergie pour apprendre lorsque l’information est encore non comprise plutôt que lorsque l’information est comprise préalablement. 
  • Apprendre une information non comprise n’offre aucune garantie qu’elle le devienne par la suite.
  • Comprendre permet d’avoir une vision d’ensemble de la structure, ce qui facilite d’emblée l’apprentissage. Ne pas avoir une compréhension d’ensemble nous amène à progresser à l’aveugle dans un labyrinthe, les flashcards sont avant tout des fragments d’informations à apprendre.
  • Le principal danger est que même si finalement à force d’efforts nous pouvons mémoriser une information non comprise, elle risquera d’être peu durable et peu mobilisable : 
    • Une information apprise et non comprise sera plus sujette à un oubli ultérieur rapide, car elle est moins connectée à des connaissances préalables. 
    • Une information apprise et comprise est plus durable, car intégrée dans un schéma cognitif cohérent et activable dans son ensemble.
    • L’information apprise non comprise ne peut être que difficilement appliquée, transférée ou transformée, elle sera souvent régurgitée telle quelle ou plus probablement de manière imparfaite.
    • La récupération de l’information apprise non comprise est plus réduite, car elle dépend de l’activation d’un indice unique contenu dans la question d’origine. 
    • À l’opposé, la récupération de l’information apprise et comprise est bien plus aisée. Elle peut être réactivée à partir d’une large variété d’indices de récupération.
    • De plus, ne pas comprendre ne nous permet pas de cerner ce qui est utile et d’éliminer ce qui est secondaire. En ne comprenant pas, nous nous retrouvons à devoir risquer apprendre plus d’éléments dont la connaissance est en réalité inutile.



Apprendre dans l’ordre les contenus avant de consolider avec les flashcards


Si pour réviser quelque chose qui a été appris et compris précédemment, changer l’ordre et faire usage de l’entremêlement est utile, ce n’est pas le cas lors de la phase initiale d’apprentissage.

Comme l’apprentissage se fonde sur la compréhension, il doit également suivre le cheminement de celle-ci. Ainsi, un chapitre s’apprend du début à la fin, en plusieurs fois. Chaque nouveau passage permet d’affiner les détails jusqu’au niveau désiré de maitrise. Ensuite, le processus de récupération entremêlée par exemple par l’intermédiaire de flashcards peut pleinement démarrer.

Si nous ne pouvons apprendre bien sans comprendre, une compréhension approfondie repose sur apprentissage préalable d’éléments clés. C’est d’autant plus vrai que les connaissances considérées présentent un haut niveau d’interactivité.

Bien comprendre en profondeur nécessite d’avoir appris et intégré les bases. Bien apprendre nécessite d’avoir bien compris. Une démarche itérative et incrémentielle est donc indispensable.

Il est donc plus utile de commencer à se concentrer sur les éléments, les règles et concepts centraux, dans un premier temps, puis entrer progressivement dans les détails jusqu’à atteindre le niveau de profondeur et de maitrise souhaité.

De plus, maitriser parfaitement les bases d’un sujet permet de plus facilement consolider les apprentissages ultérieurs.



Le principe d’information minimale des flashcards


Le principe d’information minimale s’énonce ainsi : le contenu à apprendre doit être formulé de manière aussi simple que possible.

Il s’agit d’un facteur d’efficience : un ensemble de contenus simples est plus aisé à retenir qu’un unique contenu complexe équivalent.

Une analogie intéressante serait celle d’un labyrinthe dont il faudrait apprendre la structure pour le traverser aisément :
  • Un contenu complexe serait d’étudier d’emblée tout le plan du labyrinthe et de mémoire pouvoir visualiser tout le trajet, de l’entrée à la sortie. 
  • Un ensemble de contenus simples serait de retenir pour chacune des configurations du labyrinthe, le chemin à prendre pour atteindre la zone suivante vers la sortie. 
  • L’avantage de la seconde solution c’est que peu importe où l’on se trouve dans le labyrinthe nous pourrons déterminer du premier regard, quel est le bon choix de direction à réaliser. 
  • Lorsque nous devons faire appel à notre mémoire à propos du plan du labyrinthe dans son entièreté, pour seulement ensuite se décider sur une direction, le processus sera plus long et moins efficace.

Retenir le trajet complet demande de mémoriser la structure. Retenir chaque étape permet d’éviter cet effort. La structure se crée d’elle-même dans l’enchainement logique des étapes. Elle sera en réalité mieux comprise, car reconstruite logiquement et fonctionnellement plutôt que mémorisée telle quelle arbitrairement. Les éléments essentiels de connexion sont eux-mêmes structurés comme des connaissances simples.

La simplicité d’un élément unique fait qu’il est plus facile pour le cerveau de le traiter toujours de la même manière et de l’automatiser.

En dehors de cela, dans la logique des flashcards, il est plus facile de programmer des répétitions d’éléments simples.

Imaginons une flashcard unique et complexe contenant 10 informations. De l’autre côté, imaginons 10 flashcards simples avec une information unique chaque fois.

Imaginons que 9 des 10 informations sont récupérées. Dans le cas de la flashcard complexe, tout le contenu va devoir être récupéré à nouveau dans un laps de temps court. Dans le cas des flashcards simples, une seule des dix flashcards devra être récupérée. Les neuf autres pourront être espacées à un délai plus important.

Par conséquent, un élève utilisant des flashcards complexes avancera plus lentement et aura un rendement d’apprentissage moindre à long terme. Diviser en éléments simples permet de gagner en efficience, chaque élément de réponse s’apprenant à son rythme propre.


Une exemple d’option complexe

 

Décrire le mécanisme de la réaction inflammatoire !  

L’inflammation est une réponse immunitaire, innée et non spécifique, l’organisme réagit dès la naissance de manière identique, quel que soit l’élément étranger à éliminer.
Lors de la réaction d’inflammation, les cellules lésées par une blessure ou par un agent pathogène libèrent des substances appelées médiateurs chimiques, par exemple de l’histamine. Celles-ci provoquent localement rougeur, chaleur, œdème (apport d’eau dans les tissus) et douleur. Cette inflammation prépare la réparation rapide des tissus lésés et surtout oriente vers les lieux de l’inflammation les cellules des systèmes immunitaires innés, mais aussi celles du système immunitaire acquis. 


Un exemple d’option simple


  1. Qualifie la réponse inflammatoire de trois adjectifs ! 
  2. Pourquoi la réaction inflammatoire est-elle innée ?
  3. Pourquoi la réaction inflammatoire est-elle non spécifique ?  
  4. Quelles sont les deux causes initiales possibles de la réaction inflammatoire ? 
  5. Qu’appelle-t-on médiateurs chimiques dans une réaction inflammatoire ? 
  6. Quels sont les quatre effets locaux des médiateurs chimiques dans une inflammation ?
  7. Qu’est-ce qu’un œdème ?
  8. Quels sont les deux rôles d’une inflammation ? 
  9. Quels sont les deux types de cellules attirées par l’inflammation ?
  10. Qu’est-ce que l’histamine dans le cadre de la réaction inflammatoire ?

Dans l’exemple ci-dessus, au plus il y a de questions sur le même sujet, au plus les réponses sont courtes. L’objectif est qu’un minimum d’informations soit récupéré de la mémoire en une seule fois. Paradoxalement, c’est un avantage.

Nous pourrions rétorquer qu’en apprenant de cette manière nous perdons la capacité à regrouper les informations pour constituer une réponse complexe. Cette démarche parcellaire semble contre-productive puisque nous nous retrouvons avec un grand nombre d’éléments isolés de connaissance.

Cette crainte bien que légitime est peu fondée. Avoir des questions plus simples offre de multiples avantages :
  • La mémorisation et l’espacement sont plus efficients.
  • En multipliant les questions, nous multiplions les points d’entrées et les connexions entre les informations. Elles deviennent toutes plus facilement récupérables et cela permet de répondre de manière plus adaptée et flexible en s’adaptant à ce qui est précisément demandé. Nous accède aux schémas cognitifs correspondants plus facilement et par une multiplicité d’entrées.
  • Dans le cas d’un paragraphe complexe, il est probable que nous nous assurons de mémoriser le paragraphe en lui-même, en tant que bloc rigide, plutôt que les éléments de connaissance sous-jacents connectés qu’il contient. Il contient un seul point d’entrée, une structure propre et une fin : il est peu flexible. De plus, il contient toute une syntaxe redondante et peu utile formée de connecteurs qui surchargent la mémoire de travail.
  • Le découpage permet également de lutter contre le phénomène d’interférence lié à l’oubli où deux éléments de connaissance empiètent l’un sur l’autre entraînant oubli ou erreurs (voir article : L’oubli, un paramètre de l’apprentissage). Cela a lieu lorsque l’on apprend des éléments similaires. Des flashcards plus simples permettent d’atténuer ce risque. Leur précision et leur caractère ciblé diminuent l’ambiguïté. Certaines flashcards peuvent être profilées pour lutter contre ces risques d’interférence. 

Nous pouvons dès lors avancer les recommandations suivantes :
  1. Une flashcard doit préciser dans sa question exactement ce que l’élève est censé se rappeler. Lorsque nous apportons une réponse, nous devons être raisonnablement certains d’être dans le bon.
  2. La mémorisation est vraiment importante, mais il faut retenir de manière ciblée les bons éléments. C’est ce qui se passe avec l’option de multiples flashcards simples. Plutôt que d’avoir une seule flashcard avec beaucoup d’informations qui peuvent être difficiles à cerner de manière complète, il vaut mieux en avoir beaucoup, mais plus simples. Celles-ci comprennent des informations unitaires ou en nombre limité.
  3. Dans le cadre de la conception de flashcards, nous devons éviter qu’une réponse comprenne une liste de cinq éléments ou plus. Dans ce cas, nous gagnons privilégier une liste ordonnée ou une hiérarchie d’éléments. (voir article : Apprentissage en profondeur, mémoire sémantique et organisation des connaissances)
  4. Éviter les redondances. Si une information est contenue dans une flashcard, elle n’a plus besoin d’être restituée dans le cadre d’une autre flashcard. 
  5. Inclure des demandes d’exemples dans les réponses, particulièrement pour les concepts abstraits, va faciliter la durabilité de la mémorisation (voir article : L’utilisation de multiples exemples concrets : une stratégie cognitive utile en enseignement explicite)
  6. Toutes les flashcards ne doivent pas répondre obligatoirement au diptyque question/réponse :
    • Certaines flashcards peuvent être inversées en demandant d’identifier un élément de réponse dans son contexte. Elles peuvent ainsi fonctionner en couples inversés. 
      • Quand William Shakespeare a-t-il vécu ? 1564 — 1616
      • Quel célèbre dramaturge a vécu de 1564 à 1616 ?
    • Certaines questions peuvent se présenter sous forme de textes à compléter. C’est une méthode rapide et efficace pour convertir les connaissances des manuels scolaires en connaissances qui peuvent être soumises à un apprentissage basé sur la répétition espacée.
    • Certaines flashcards peuvent présenter des assertions erronées à corriger. 
    • Certaines flashcards peuvent inclure des images ou représentations graphiques, ce qui favorise également la mémorisation. C’est particulièrement vrai dans des domaines comme les sciences, les mathématiques, la géographie ou l’histoire. (voir article : Utilisations et importance de la théorie du double codage pour l’éducation.)
    • Pour les figures à légender plutôt qu’une flashcard demandant de récupérer tous les éléments, il vaut mieux qu’un seul élément à la fois soit demandé. 



Adopter un processus de décomposition des contenus dans la conception des flashcards


Rédiger une série de questions simples dans un processus de conception de flashcards est exigeant. Ce processus permet de mettre en évidence des connexions et des éléments signifiants qui peuvent passer inaperçus dans le paragraphe lui-même.

Lorsque nous avons déjà une certaine expertise dans un domaine, nous saisissons facilement la signification d’éléments de connaissance nouveaux. Il est dans ce cas recommandé et rentable d’entamer notre propre processus de génération de flashcards. Nous pouvons alors le personnaliser avec nos propres connaissances préalables et nos propres expériences. Le processus de création permet d’approfondir notre compréhension du contenu. Cela va constituer, en tant que tel, un réel apprentissage génératif.

Cependant, si en tant qu’enseignants, nous laissons les élèves créer leurs propres flashcards, les meilleurs élèves auront les meilleures flashcards. Les élèves en difficulté en génèreront avec des questions et des réponses peu fiables et peu performantes. Résultat des courses : une initiative à haut potentiel pourrait se traduire par un accroissement des écarts au détriment des élèves les plus faibles.

En conclusion, dans un contexte d’enseignement, il est plus utile que l’enseignant fournisse au minimum une liste de questions exploitables dans le cadre de flashcards, par exemple pour accompagner les objectifs d’apprentissage.



Checklist de la réalisation des flashcards


  1. J’ai complètement compris la matière avant de faire mes flashcards ou de les étudier.
  2. Je choisis un système de flashcards (papier ou électronique)
  3. Lorsque je fais des flashcards, je les numérote pour pouvoir retrouver l’ordre initial si nécessaire.
  4. La première fois que j’apprends mes flashcards, je le fais dans l’ordre de départ. 
  5. Je respecte le principe d’information minimale des flashcards.
  6. La question précise exactement la forme attendue de la réponses (je suis raisonnablement certain d’avoir la bonne réponse ou de ne pas l’avoir quand je réponds).
  7. Lorsque je ne suis pas capable de répondre à une flashcard, je la replace à la fin du paquet.
  8. Je limite les listes dans les réponses (pas de carte mentale, pas plus de cinq éléments dans une liste ordonnée et pas de hiérarchie à plus de trois niveaux)
  9. J’évite des redondances (pas devoir donner deux fois la même réponse)
  10. J’inclus des demandes d’exemples dans les questions sur les concepts abstraits.
  11. Quand c’est possible et pertinent, je fais des paires de flashcards où la question de la première devient la réponse de la seconde et inversement. 
  12. J’utilise des flashcards avec des textes à compléter pour le vocabulaire spécifique.
  13. Je propose des assertions à corriger comme questions de flashcards.
  14. Si j’utilise une figure à légender, je fais une flashcard par élément à légender.
  15. Je ne considère pas que mes élèves sont capables de faire des flashcards et de les étudier correctement. Je leur apprends à le faire en prenant le temps nécessaire quitte à leur fournir les flashcards dans un premier temps. 
  16. Il devient utile de faire des flashcards soi-même quand on maitrise complètement la technique (ça peut prendre plusieurs années pour des élèves).
  17. Je ne lis jamais la réponse d’une flashcard sans essayer d’y répondre avant. Je ne range jamais une flashcard sans être capable d’y répondre de mémoire.
  18. Lorsque j’ai été capable de donner les réponses de tout un paquet de flashcards, je les mélange dès la fois suivante.
  19. Je mélange les flashcards de chapitres pour lesquels je vais être interrogé en même temps, je ne mélange pas les flashcards de deux cours différents.
  20. Pour retenir durablement mes flashcards, je dois les avoir oubliées quasiment quatre fois, par conséquent, je dois les revoir au moins quatre fois des jours différents en espaçant de plus en plus si possible. 



Mis à jour le 11/09/2022

Bibliographie


Dr. Piotr Wozniak, Effective learning: Twenty rules of formulating knowledge, 1999
https://www.supermemo.com/en/archives1990-2015/articles/20rules

Daisy Christodoulou, What makes a good flashcard?, 2020
https://daisychristodoulou.com/2020/04/what-makes-a-good-flashcard

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