samedi 14 mars 2020

Quatre conditions pour soutenir l'amélioration des pratiques enseignantes

Dans son article How to influence teachers, Greg Ashman (2020) explore quatre conditions qui sont susceptibles de faciliter chez les enseignants l’adoption de nouvelles pratiques, les voici explorées :

(Photographie : Adam Wilkoszarki)



Les obstacles liées à la nature solitaire de l'exercice de l'enseignement


Lorsqu’un enseignant referme la porte de sa classe derrière lui, au-delà du programme à suivre et des apprentissages à installer, il dispose d’une grande autonomie que lui confère sa liberté pédagogique. Ses choix dépendent à la fois de son expertise, de son expérience, de ses convictions et de son contexte.

Être enseignant demande d’être capable de conjuguer entre différentes priorités en un temps limité. Ce processus nous demande une maîtrise et une polyvalence rendues possibles par l’automatisation de multiples routines et comportements usuels.

Le prix à payer est qu’il est difficile de changer certains aspects dont nous ne sommes plus tout à fait conscients d’appliquer tant les choix initiaux et parfois influencés par notre contexte, se sont cristallisés. La recherche parle à raison d’une fossilisation des pratiques.

Ainsi, même si sur papier l’enseignant peut être intimement persuadé dans l’absolu du bien-fondé de pratiques différentes aux siennes, leur adoption et leur mise en place n’ont rien d’évident. Une formation, la détermination d’un objectif, une pratique délibérée, un accompagnement avec rétroaction et une collaboration entre collègues, répartis dans le temps, sont des facteurs favorables. Ils permettent qu’une amorce de changement puisse se transformer réellement en quelque chose d’effectif. L’amélioration est ardue.



1. Proposer des solutions pratiques


Lorsqu’il s’agit de favoriser chez des apprenants des techniques d’apprentissages efficaces, nous devons associer et rendre effectives :
  • Des explications théoriques abstraites, c’est-à-dire un modèle explicatif qui aide à comprendre comment et pourquoi une stratégie fonctionne, et nous assurer de son apprentissage
  • Des applications pratiques et concrètes qui permettent d’appliquer aisément le modèle, d’en générer et d’en percevoir un bénéfice pour nous et pour nos élèves. 
  • Des occasions et des opportunités de mise en pratique qui permettent de créer de nouveaux automatismes.


L’erreur à ne pas commettre c’est de penser qu’il suffit de convaincre les enseignants du bien-fondé de certaines idées fortes ou de modèles appuyés par des données probantes. En réalité, malgré cela, il n’y a aucune garantie, que cela se traduise naturellement en un changement effectif.

Lorsque nous en restons au niveau de l’abstraction, le passage à l’acte devient difficile et malaisé, en effet différents écueils peuvent se trouver sur le chemin :
  • Un enseignant peut très bien ne pas savoir comment sauter le pas et effectuer la transition, en imposant une rupture à ses habitudes ou aux routines de classes qu’il a préalablement installées.
  • Un enseignant peut avoir quelques soucis de comportement avec l’un ou l’autre élève dans la classe concernée. Cela fait qu’il est déjà suffisamment préoccupé à chercher à régler ces problèmes. Il n’a pas l’attention ni les ressources nécessaires pour se lancer dans le vide et tenter de nouvelles approches.
  • Un enseignant peut être stressé par la fuite du temps et par toutes les urgences et priorités qui s’accumulent. Il peut ne pas avoir l’énergie ou ne pas trouver le temps pour se concentrer sur les changements à mettre en œuvre. 

Nous avons par conséquent un réel intérêt de partir prioritairement d’une problématique concrète rencontrée par les enseignants et qui occupe leurs pensées. 

Il est alors important que l’enseignant comprenne les mécanismes en jeu et l’intérêt du modèle que nous allons lui proposer. Surtout, il a besoin d’apprendre et de se voir proposer des solutions qui lui apparaissent pratiques. Il doit savoir ce qu’il lui faudra pour y remédier, comment le maintenir et évaluer les effets à moyen terme. Il visualise quelles mesures à long terme peuvent être mises en place pour s’attaquer à la cause profonde. Il considère que les exigences en matière d’efforts demandés sont gérables pour lui.



2. Proposer des solutions simples et évidentes


Afin de favoriser le changement, nous devons ne pas tarder à introduire des premiers pas aisés et bénéfiques qui ont comme vertu d’apporter une simplification au travail de l’enseignant, un peu plus d’efficience.

La perception de ce sentiment permet d’augmenter grandement la potentialité d’adoption d’une nouvelle pratique. Toutefois, ce bénéfice doit être rendu visible et perceptible.

Enseignant est une profession exigeante qui demande de gérer en permanence une foule de priorités qui entrent en compétition pour le temps disponible. Dès lors, il n’est guère aisé de s’arrêter, réfléchir, se remettre en question et se lancer dans une nouvelle pratique qui risque elle-même de se retrouver en compétition avec d’autres.

Il faut qu’elle soit simple à mettre en route et qu’elle apporte un bénéfice net et rapide est un sérieux atout. Là se trouve l’opportunité d’une adoption réelle, autonome et volontaire. Si les enseignants perçoivent que cela va leur faciliter la vie tout en correspondant à leurs attentes élevées de résultat, il y a de grandes chances que ça fonctionne.

Par contre, si cela se traduit par des contraintes, de la complexité et une charge de travail accrue, la proposition a toutes les chances d’être rejetée.



3. Avancer une étape à la fois


La logique est la même que celle de l’enseignement explicite. Nous devons avancer étape par étape, fixer et partager des défis et nous assurer de l’acquisition et de l’automatisation avant de considérer un pas supplémentaire.

Ainsi en matière de développement professionnel et d’acquisition de nouvelles pratiques, nous privilégions une approche par petit pas. Nous visons l’acquisition de pratiques simples, mais emblématiques et qui induisent un changement.

Il est intéressant dans un premier temps, de changer peu, mais de changer bien et de manière significative. Dans le cadre de l’enseignement explicite, il peut s’agir des objectifs ou de techniques de vérification de la compréhension par exemple.



4. Tenir compte des aspects émotionnels


Certains changements proposés même s’ils apportent des preuves de leur efficacité, peuvent aller à l’encontre des conceptions et du ressenti des enseignants. Ils sont dès lors susceptibles de susciter un rejet.

Certaines préconceptions notamment vis-à-vis de l’évaluation formative ou de la pratique de récupération peuvent poser problème. Certains enseignants peuvent considérer qu’une fois qu’ils ont enseigné des contenus à leurs élèves et évalué leur performance dans la foulée, cela devrait se traduire naturellement en un apprentissage à long terme. Lorsqu’ils vérifient plus tard que ça n’en est pas le cas, ils peuvent s’en dédouaner et en rejeter la responsabilité sur les élèves.

De même, une présentation catégorique des démarches de l’enseignement explicite peut générer des rejets d’enseignants qui ont toujours baigné dans une logique d’éducation nouvelle ou de pédagogie constructiviste.

Cette dimension émotionnelle doit être prise en compte dans la présentation de certaines pratiques aux enseignants. Parfois, le concept de découverte guidée peut être une introduction plus aisée vers l’enseignement explicite par exemple. Dans tous les cas, le renforcement des efforts fournis, le soutien au personnel impliqué et la valorisation des résultats engrangés sont fondamentaux. La direction d’une école a, à ce titre, un rôle fondamental à jouer.



Conclusion 


Lorsque nous voulons convaincre une équipe d’enseignants à tenter l’aventure d’adopter de nouvelles pratiques efficaces ou une intervention qui change leurs approches habituelles, quatre conditions nous semblent essentielles :
  1. Proposer des approches pratiques qui répondent au vécu, aux problématiques et aux attentes des enseignantes
  2. Proposer de solutions simples qui facilitent la vie de l’enseignant et lui permettent d’être plus efficient, d’obtenir de meilleurs résultats et d’économiser du temps. 
  3. Avancer une étape à la fois, en choisissant des pratiques qui ont une dimension symbolique et sont porteuses de sens. 
  4. Tenir compte de leur sensibilité, de leurs conceptions sur l’apprentissage et renforcer ceux qui avance en valorisant leurs premiers succès.



Mise à jour le 25/07/2022

Bibliographie


Greg Ashman, How to influence teachers, 2020, https://gregashman.wordpress.com/2020/03/07/how-to-influence-teachers/

0 comments:

Enregistrer un commentaire