mercredi 26 février 2020

Découverte guidée ou enseignement explicite : chou vert et vert chou

Dans un article de 2004, « Should There Be a Three-Strikes Rule Against Pure Discovery Learning? », Richard E. Mayer réalisait une revue de certaines recherches réalisées dans les années 1950-1970. Son critère de sélection était qu’elles avaient exploré l’effet des pédagogies de la découverte sur la résolution de problèmes en mathématiques, logique ou programmation.

(Photographie : Andrei Grigorev)



Richard E. Mayer montre qu’il existe suffisamment de données probantes pour rendre toute personne raisonnable sceptique quant aux avantages de l’apprentissage par la découverte pure. Cette démarche d’enseignement radicale est régulièrement revendiquée sous le couvert du constructivisme comme méthode d’enseignement à privilégier. C’est la pédagogie de projet ou l’idée de créer un conflit cognitif et de travailler dans la zone proximale de développement. C’est l’idée de laisser les élèves échanger, découvrir par eux-mêmes et construire leurs apprentissages. L’enseignant y joue le rôle de facilitateur.



L’impasse du passage d’un apprentissage constructiviste à un enseignement constructiviste


Une prémisse sous-jacente au constructivisme est que l’apprentissage est un processus actif dans lequel :
  1. Les apprenants établissent activement du sens.
  2. Les apprenants cherchent à construire des connaissances cohérentes et organisées.

Là où ces prémisses cessent de fonctionner parfaitement et que la roue se grippe, c’est lorsque la vision constructiviste de l’apprentissage se traduit en une vision constructiviste de l’enseignement. La théorie constructiviste de l’apprentissage dans laquelle l’apprenant est cognitivement actif, se transpose dans une théorie constructiviste de l’enseignement dans laquelle l’apprenant est actif du point de vue comportemental.

La vision constructiviste de l’apprentissage en tant que processus actif signifie que les élèves doivent être actifs pendant l’apprentissage. Les élèves doivent co-construire des connaissances pour eux-mêmes, ce qui suppose, lorsqu’elle est transposée rapidement au niveau de l’enseignement, de leur laisser de l’autonomie pour qu’ils puissent découvrir par et pour eux-mêmes.

Le danger c’est qu’il n’y a pas d’adéquation certaine entre l’apprentissage actif d’un point de vue cognitif et des méthodes d’enseignement actives d’un point de vue comportemental.

La raison des difficultés rencontrées par la vision constructiviste de l’enseignement est qu’elle n’associe pas l’activité directement à sa composante cognitive. Elle la relie surtout à sa composante comportementale qu’elle déploie selon les principes suivants :
  • Pour apprendre, un élève doit être actif. Cela se traduit visiblement de manière comportementale.
  • Le fait d’être le simple récepteur passif d’observations ou de supports est considéré comme inefficace et non souhaitable, car l’élève n’est pas actif d’un point de vue comportemental.
  • Dans cette perspective, sont considérées comme :
    • Non souhaitables, car passives pour l’élève, des approches telles que l’enseignement magistral ou la lecture d’un document ou d’un livre de référence.
    • Souhaitables, des discussions de groupe, des activités pratiques, la démarche d’investigation, la réalisation de problèmes ou de jeux interactifs.



Un apprentissage dans un contexte d'enseignement est par définition actif


Il est intéressant de s’intéresser à l'apport des sciences cognitives sur la notion d’apprentissage. 

Premièrement,  d’un point de vue cognitif, un apprentissage ne peut être qu’actif. Dès lors, il n’y a pas d’apprentissage passif qui puisse exister.

Deuxièmement, l’engagement comportemental n’est pas une garantie d’un engagement cognitif pertinent. Un élève peut très bien être actif ou échanger sans s’investir dans un traitement cognitif suffisant et propice à l’apprentissage. Inversement, l’absence d’engagement comportemental dans une activité ou dans une discussion n’offre aucune certitude sur l’absence d’un traitement cognitif signifiant. Ce traitement cognitif peut très bien être sous-jacent, suivre un processus prédéfini et adapté, et se traduire en un apprentissage efficace.

La faille de la vision progressiste (constructivisme et éducation nouvelle) de l’enseignement est d’assimiler l’apprentissage actif (cognitif) à l’engagement actif (comportemental).

L’idée d’un apprenant qui construit ses apprentissages est un modèle valable. Celle d’un enseignement constructiviste basé sur de la découverte pure est une conception bancale sans certitude d’apprentissage, car elle néglige l’importance de l’existence d’un traitement cognitif efficient.



L’enseignement explicite, une pédagogie de l’apprentissage actif



L’enseignement explicite, qui est une forme d’enseignement efficace, se distingue de l’enseignement traditionnel dans la mesure où les élèves sont placés régulièrement en activité dans :
  • Des traitements ciblés de l’information nouvelle
  • Une pratique guidée puis autonome
  • De la vérification de la compréhension ou de l’évaluation formative
  • De la réactivation et de l’élaboration des connaissances acquises. 

Ce faisant, l’enseignant joue le rôle de guide, s’adapte de manière continue en fonction du retour d’information et met en place les conditions d’un apprentissage actif. Cet apprentissage actif se traduit par l’engagement des élèves dans un traitement cognitif signifiant et efficace.

L’approche constructive promeut un rôle de facilitateur pour l’enseignant, face à des élèves confrontés à des situations d’apprentissage conçues comme authentiques. Même si les élèves sont actifs d’un point de vue comportemental, leur traitement cognitif peut se traduire en un apprentissage plutôt passif ou actif suivant la qualité ou l’absence du guidage offert par l’enseignant.

La difficulté propre à l’enseignement constructiviste est que le fait de privilégier des méthodes d’enseignement actives n’offre pas de garantie directe d’un apprentissage actif. Nous nous trouvons à l’opposé un enseignement explicite qui met tout en place pour assurer un engagement cognitif pertinent des élèves dans la plupart de situations communes en classe.

Le défi, si nous prenons le point de vue constructiviste, est de développer des méthodes d’enseignement qui favorisent un traitement approprié chez les élèves afin qu’ils construisent leurs apprentissages. Nous nous situons dès lors plutôt à l’opposé de méthodes qui encouragent les activités pratiques ou les discussions de groupe comme une fin en soi pour aboutir à un apprentissage.



Une définition de la découverte guidée


Dans son étude, Mayer défend l’idée de la découverte guidée, une approche dans laquelle l’enseignant fournit une orientation systématique axée sur les objectifs d’apprentissage.

S’alignant sur une perspective cognitiviste et motivationnelle, la découverte guidée va se révéler plus efficace que la découverte pure pour promouvoir l’apprentissage et le transfert vers de nouveaux problèmes. Elle va tenir compte du modèle de la mémoire tel que mis en évidence par la science de l’apprentissage. Elle se construit sur les principes issus de la théorie de la charge cognitive et de la théorie de l’apprentissage multimédia.

Il apparait que la majorité des élèves n’apprendront pas l’essentiel des règles, concepts ou principes dans le cadre d’une pédagogie privilégiant la découverte pure. L’enseignant en sera réduit à transmettre ou à réorganiser lorsque ses élèves se retrouvent dans l’impasse. De ce fait, un certain degré de guidage anticipatif est à la fois nécessaire et utile pour aider les élèves à construire le résultat d’apprentissage souhaité.

Dans l’optique d’une découverte guidée selon Mayer :
  • L’élève reçoit des problèmes à résoudre, mais parfaitement adapté à son niveau actuel pour constituer des défis accessibles. 
  • L’enseignant lui fournit également des conseils, une orientation, un encadrement, un retour d’information ou un modèle pour le maintenir sur la bonne voie. 
  • L’enseignant propose également à ses élèves préalablement d’étudier des problèmes résolus.

Pour ce qui est de la résolution problème, l’enseignement explicite tend de son côté à privilégier des approches appuyées par la théorie de la charge cognitive. Il s’agit par exemple de celles du principe de segmentation, du problème résolu, du problème à compléter ou du problème ouvert (sans but) ou l’enseignement des stratégies de résolution.

Découverte guidée et enseignement explicite reposent sur de nombreux principes communs et congruents. Ces principes vont plus naturellement prendre la forme de la découverte guidée lorsque les élèves ont de bonnes connaissances dans le domaine et sont motivés par un intérêt personnel. Ils vont prendre la forme de l’enseignement explicite lorsque les élèves sont novices et motivés par un intérêt parfois uniquement situationnel ou posé par un cadre scolaire extrinsèque.  

Prenons la situation d’un observateur extérieur d’une classe occupée à de la résolution de problèmes. Il est vraisemblable qu’il aurait toutes les peines du monde à déterminer si l’enseignant en question fait de l’enseignement explicite ou une découverte guidée. Par contre, il ne lui faudrait que quelques minutes pour mettre en évidence une approche de découverte pure.



Les conditions de l’efficacité de la découverte guidée et de l’enseignement explicite


La découverte guidée est efficace, car elle aide les élèves à répondre à deux critères importants qui déterminent un apprentissage actif :
  1. L’activation ou la construction de connaissances appropriées à utiliser pour donner un sens aux nouvelles informations entrantes.
  2. L’intégration des nouvelles informations entrantes à une base de connaissances appropriée.

À l’opposé, la découverte pure peut être inefficace lorsqu’elle ne parvient pas à promouvoir le deuxième critère. Les élèves peuvent ne pas entrer en contact avec l’élément à apprendre et n’ont donc rien à intégrer à leur base de connaissances. Ils peuvent arriver à résoudre un problème par essai et erreur, mais ne pas retenir quelles sont les stratégies pertinentes spécifiques à appliquer en fonction de la situation.

De même, les méthodes transmissives de l’enseignement traditionnel peuvent être inefficaces lorsqu’elles découragent les apprenants de donner activement un sens au contenu présenté, c’est-à-dire le premier critère. Les élèves peuvent s’engager dans un apprentissage par cœur qui peut n’être qu’un emplâtre sur une jambe de bois. 

Comme l’écrit Richard E. Mayer, les élèves ont besoin :
  1. De suffisamment de liberté pour devenir actifs sur le plan cognitif dans le processus de création de sens.
  2. De suffisamment de guidage pour que leur activité cognitive aboutisse à la construction de connaissances utiles.

Il n’y a pas une forme d’enseignement particulière qui serait la mieux adaptée pour répondre universellement à ces deux critères. Ainsi, il y a différentes façons de faire de la découverte guidée, comme il y a différentes façons de délivrer un enseignement explicite. En fonction de la matière, de l’âge et des caractéristiques des élèves, différents paramètres sont à adapter. D’autres directions envisageables sont en fonction des situations l’enseignement réciproque ou l’apprentissage coopératif.

Richard Mayer conclut qu’une approche isolée du constructivisme dans l’enseignement, basée sur une théorie de l’apprentissage ne peut en général conduire à une pratique éducative fructueuse.



Concilier les visions constructiviste et cognitiviste de l’apprentissage avec l’enseignement explicite et la découverte guidée


L’échec de la découverte pure comme méthode d’enseignement ne signifie pas nécessairement que le constructivisme est erroné en tant que théorie de l’apprentissage. Il ne signifie pas non plus que l’activité pratique des élèves est nécessairement une mauvaise méthode d’enseignement. La cognition incarnée, pas exemple, montre que ce n’est pas le cas.

Selon Richard E. Mayer, la vision constructiviste de l’apprentissage peut être mieux soutenue par des méthodes d’enseignement qui permettent une compréhension approfondie des concepts, principes et stratégies ciblés. Cela reste vrai lorsque ces méthodes impliquent un guidage et une structure.

Dans les articles de recherche qu’il a analysés, la découverte guidée a été systématiquement plus efficace que la découverte pure pour aider les élèves à apprendre et à transférer leurs connaissances vers de nouveaux contextes.

En conclusion, Mayer appuie l’importance de méthodes d’enseignement qui impliquent :
  1. Une activité cognitive plutôt qu’une activité comportementale
  2. Une orientation pédagogique plutôt qu’une découverte pure
  3. Un programme scolaire défini par des objectifs ciblés préalablement plutôt qu’une exploration non structurée.

La meilleure voie pour les enseignants sensibilisés au constructivisme est de se concentrer sur des pratiques qui guident le traitement cognitif des élèves pendant l’apprentissage et qui se concentrent sur des objectifs éducatifs clairement spécifiés.

Au lieu de dépendre uniquement de l’apprentissage par la pratique ou de l’apprentissage par la discussion, l’approche la plus authentique de l’apprentissage constructiviste est l’apprentissage par la pensée. Dans celle-ci, l’enseignant stimule, guide et vérifie le traitement cognitif de ses élèves.

Les méthodes qui reposent sur l’action ou la discussion ne devraient pas être jugées en fonction de l’ampleur de l’action ou de la discussion. Elles devraient l’être en fonction de la mesure dans laquelle elles favorisent un traitement cognitif approprié.

En ce sens, il y a une parfaite complémentarité, congruence et fluidité entre la découverte guidée et un enseignement explicite. Cela explique l’efficacité des deux démarches.

Pour mieux comprendre l’intégration de l’enseignement explicite et de la découverte guidée, voir l’article :


Mis à jour le 20/07/2022

Bibliographie


Mayer, R. (2004). Should there be a three—strikes rule against pure discovery learning? The case for guided methods of instruction. American Psychologist, 59(1), 14–19. 

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