samedi 4 mai 2019

Le fonctionnement de l’attention sélective

L’attention est un thème courant d’entrée lorsque les sciences cognitives et les neurosciences s’intéressent à l’éducation. Cela peut avoir lieu par le biais des troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Le programme ATOLE (qui vise à améliorer l’attention à l’école) porté par Jean-Philippe Lachaux s’intéresse à l’attention de tous les élèves. Stanislas Dehaene place l’attention comme le premier de ses « quatre piliers de l’apprentissage » (avec l’engagement actif, le retour d’information et la consolidation).


(Photographie : Rachel Boillot)


Avant de nous concentrer sur une forme particulière de l’attention qu’en est l’attention sélective, commençons avec une première approche qui tente de cerner ce qu’est l’attention en général, 



Une définition générale de l’attention


L’attention est l’ensemble des processus dynamiques et continus dans le temps, par lesquels notre cerveau :
  1. Se concentre sur une tâche précise : l’observation, l’étude, le jugement d’une chose quelle qu’elle soit, ou encore à la pratique d’une action 
  2. En sélectionne les informations importantes : à chaque étape, notre cerveau décide de l’importance qu’il convient d’accorder à telle perception ou telle pensée
  3. Les amplifie, les canalise et les approfondit : il alloue les ressources aux informations qui présentent des priorités
  4. En vue d’en moduler le traitement : l’attention détermine notre perception du monde, notre rapport à ce qui nous entoure et à nous-mêmes

La plupart des processus qui gèrent l’attention sont anciens dans l’évolution. Ils ne sont pas propres à l’espèce humaine, mais communs chez les animaux.

Parmi les informations parvenant constamment aux organes des sens, seule une partie est pertinente au regard des buts, intentions ou actions en cours.



Les limites de l’attention sélective en font sa force


Les limites


L’attention est exclusive. Nous ne pouvons réellement porter notre attention que sur un objet à la fois, même si nous pouvons parfois avoir le sentiment inverse. Notre architecture cérébrale ne permet pas d’être réellement en mode multitâche (voir article). 
  • Nous ne pouvons faire deux choses simultanées que si l’une ne requiert pas d’attention et est automatisée. Par exemple, nous pouvons parler avec quelqu’un tout en marchant. 
  • Nous ne pouvons pas faire deux choses en même temps lorsqu’elles nécessitent toutes deux de l’attention. Nous allons simplement passer d’une tâche à l’autre, en omettant temporairement la première tandis que nous prêtons attention à la seconde. Ce processus se déroule au détriment du rendement global. Le passage d’une tâche à l’autre représente chaque fois un coût en temps que nous appelons période réfractaire. 

L’attention est parfois sous contrôle, parfois libre et indépendante :
  • L’attention est sensible à la distraction.
  • L’attention est mieux canalisée dans des environnements routiniers et structurés.
  • L’attention est perturbée par une overdose d’information. 



La force


L’utilité de l’attention est qu’elle est une réponse aux limitations du cerveau, particulièrement à celle de la saturation en information. En effet, notre cerveau est bombardé sans arrêt d’informations en provenance de nos organes des sens. Tous ces messages sont initialement traités en parallèle par nos voies nerveuses sensitives, mais les ressources énergétiques du cerveau ne suffiraient pas à les traiter toutes. C’est pourquoi il est vital que le cerveau exerce un tri.  

L’attention élimine des informations pour pouvoir se concentrer sur d’autres. L’attention nécessite de faire abstraction d’autres stimuli, d’autres tâches et de leurs informations propres.




Les caractéristiques et fonctions de l’attention sélective


L’attention sélective a pour fonction de filtrer les informations. Elle nous permet de traiter de façon approfondie uniquement les informations qui apparaissent pertinentes. L’attention sélective est ainsi impliquée dans les nombreux actes quotidiens qui nécessitent d’être attentif à certaines informations et d’en ignorer d’autres.

Pour comprendre le sens des informations pertinentes au regard de la tâche en cours, un traitement approfondi est nécessaire. Celui-ci est grandement facilité par le blocage des informations non pertinentes pour la tâche en cours.

L’attention sélective permet aux individus de porter sélectivement leur attention sur les stimuli pertinents au regard de la tâche en cours de réalisation, du but poursuivi, des intentions du moment. Elle leur permet d’ignorer de nombreux autres stimuli, souvent non pertinents.

L’acte attentif précède l’acte visuel :
  • Il est possible de faire attention à quelque chose sans le regarder. Si nous fixons notre regard sur quelqu’un, il est tout à fait possible de rester attentif aux mouvements d’une tierce personne sans même la regarder directement. Il est possible de faire attention à une zone visuelle différente de celle du point de fixation visuelle.  
  • Les processus mentaux sous-jacents à l’acte attentif et à l’acte visuel sont donc distincts. 

Un déplacement de l’attention dans une direction a toujours lieu avant le déplacement du regard dans cette même direction. Il est impossible de simultanément déplacer l’attention dans une direction et le regard dans une autre.

Le rôle de l’attention sélective est de permettre aux individus de mener à bien, autant que possible, les comportements orientés (lire, conduire, discuter, faire du sport, écrire,) dans un but précis, sans se laisser distraire.

Toutefois, l’attention est souvent distraite par des informations non pertinentes, mais saillantes comme des stimuli visuels ou sonores plus intenses qui vont l’attirer.

Sans attention sélective, aucune analyse approfondie des informations pertinentes ne serait possible. Il serait alors impossible de penser, d’agir et de vivre de façon cohérente.

L’attention sélective par nature, peut nous faire aboutir à des excès de confiance. Dans certains cas, nous serions prêts à soutenir que ce qui est passé « sous le radar » de notre perception n’a tout bonnement jamais existé. C’est sur ce principe que les prestidigitateurs exercent leur art. Cela nous conduit à surestimer constamment ce que nous ou les autres percevons du monde extérieur. 



    L’effet cocktail-party dans le cadre de l’attention sélective


    L’effet cocktail-party correspond à la capacité à diriger son attention pour suivre un flux verbal dans une ambiance bruyante. Par exemple lors d’une réception ou d’une soirée, tout en restant attentifs aux autres signaux sonores, nous pouvons suivre une conversation précise en ignorant sélectivement les autres conversations tenues en parallèle.

    Même si notre attention est fixée sur un flux dont les principaux caractères, le ton, la cohérence syntaxique, la direction d’origine sont stables, nous restons toutefois, dans une certaine mesure sensibles aux sons extérieurs.

    Par exemple, si notre nom ou prénom est prononcé par une tierce personne un peu plus loin dans la salle dans le cadre d’une conversation que nous ne suivions pas, notre attention sera captée vers celle-ci. Nous nous retrouverons désengagés de la conversation que nous suivions précédemment. Nous cessons automatiquement de suivre la conversation ou le discours qui maintenait notre attention. Nous nous focalisons maintenant sur la localisation de la source, sur cette autre conversation et son contexte.

    Toutefois, cet effet cocktail-party n’est pas infaillible, parfois nous pouvons ne pas remarquer que notre prénom a été prononcé, de manière pourtant audible alors que nous sommes concentrés sur quelque chose.

    L’effet cocktail-party illustre deux caractéristiques de l’attention sélective :
    1. L’attention sélective permet de filtrer les informations en autorisant le traitement en profondeur des informations pertinentes (la conversation en cours) tout en ignorant des informations non pertinentes (les conversations qui viennent d’un autre groupe).
    2. Certaines informations à ignorer semblent parfois traitées de façon approfondie.  

    En conclusion, il a été mis en évidence que des informations qui ne sont pas nécessairement pertinentes au regard de la tâche en cours peuvent toutefois entrer dans le champ de la conscience. C’est l’effet cocktail-party.



    L’effet Stroop comme évaluation de l’attention sélective et des capacités d’inhibition


    L’effet Stroop est l’interférence que peut produire une information non pertinente au cours de l’exécution d’une tâche cognitive.

    La difficulté à ignorer, ou « filtrer », l’information non pertinente se traduit par un ralentissement du temps de réaction et une augmentation du pourcentage d’erreurs.

    La situation expérimentale la plus courante pour observer cet effet consiste à faire dénommer la couleur de mots dont certains sont eux-mêmes des noms de couleurs. Il s’agit dès lors de les ignorer volontairement.

    Ce test peut être utilisé pour évaluer l’attention sélective ou les capacités d’inhibition qui font partie des fonctions exécutives d’un individu.

    Exemples de listes :

    1) chien maison bien car sofa trop lion 

    2) rouge noir vert bleu gris jaune blanc

    3) jaune rouge vert bleu noir

    Les sujets doivent identifier et énoncer la couleur d’un mot (tâche principale) sans lire le mot lui-même (tâche à inhiber).

    Le temps de réaction est le temps nécessaire à l’identification de la couleur avec laquelle le mot est écrit. Il est beaucoup plus long lorsque les mots sont incongrus. C’est le cas de la liste 2 avec par exemple le mot « rouge » écrit en bleu. Il est plus court lorsque le mot est congru. C’est le cas de la liste 3 avec le mot « rouge » écrit en rouge. Il est plus court également lorsque le mot est neutre. C’est le cas de la liste 1 avec le mot « chien » écrit en rouge.

    Le pourcentage d’erreurs (dire bleu lorsque le mot « bleu » est écrit en rouge) est également plus élevé en présence des mots incongrus (liste 2). Il existe ce que nous appelons un effet d’interférence sémantique, ou effet Stroop, provoqué par la lecture automatique du mot.

    Le cerveau reconnaît les mots sans beaucoup d’effort. Ce processus de reconnaissance automatique du mot ne peut pas être « désactivé » sans entraînement.

    La compréhension du sens des mots dans la lecture se fait inconsciemment. Par contre, le fait de nommer des couleurs requiert plus d’efforts pour le cerveau que la lecture, car c’est une pratique à laquelle nous sommes moins habitués. Une personne lit donc le mot puis doit inhiber son sens sémantique pour donner sa couleur exacte. L’effet Stroop désigne l’interférence du sens du mot sur la tâche de dénomination.

    Il y a une difficulté à ignorer un stimulus non pertinent lorsque celui-ci est habituel et attendu. Lire un mot est une tâche habituelle.

    La conclusion est qu’il est difficile d’ignorer les attributs non pertinents d’un support auquel nous prêtons attention. Ainsi dans cette situation, les individus sont capables d’identifier très rapidement le sens des informations qui entrent dans le champ de leur attention même si elles ne sont pas pertinentes pour la tâche en cours.

    Il est difficile de bloquer le traitement d’informations non pertinentes lorsque celles-ci entrent dans le champ de l’attention.



    L’hypothèse d’un filtre attentionnel précoce pour l’attention sélective


    L’étude de la nature des mécanismes mentaux de l’attention sélective a fait l’objet de nombreux travaux et hypothèses sur la nature du filtre de l’attention :

    1. Filtre attentionnel précoce :
    • Un filtre de l’attention procéderait à un filtrage précoce des informations pertinentes au sein de la multitude d’informations non pertinentes atteignant les organes des sens. 
    • Selon cette théorie, il existe un filtre attentionnel précoce limitant l’analyse sémantique d’une seule représentation à la fois. 
    • Les informations entrant dans le filtre sont sélectionnées sur la base de leurs propriétés physiques.


    2. Filtre attentionnel tardif :
    • Toutes les informations atteignant les organes des sens bénéficieraient d’une analyse approfondie portant sur la sémantique. La sélection se ferait au niveau de la réponse à leur apporter. 
    • Actuellement, il a été démontré que les informations non pertinentes, lorsqu’elles sont réellement non attendues (en garantissant l’absence de dérapage de l’attention vers ces informations), ne bénéficient d’aucun traitement sémantique. Cela permet de rejeter cette hypothèse.


    3. Filtre attentionnel atténué :
    • Il opérerait de façon à atténuer la qualité et l’intensité du signal des informations à ignorer. Les informations non attendues sont potentiellement identifiables, notamment celles pour lesquelles le seuil d’activation est relativement bas. 
    • Une information à seuil d’activation bas est celle qui nécessite peu d’attention pour être identifiée. D’une certaine manière, le filtre précoce serait poreux.  
    • L’une des prédictions clés de la proposition du filtre attentionnel atténué porte sur la situation d’écoute dichotique. C’est un mode de présentation des stimuli auditifs dans lequel des sons différents sont présentés aux deux oreilles d’un participant. Dans ce cas, les informations non pertinentes à bas niveau d’activation (comme le prénom du participant) devraient être identifiées dans 100 % des cas. Or les participants repèrent leur propre prénom dans le canal à ignorer dans moins de 40 % des cas. Cela permet de rejeter cette hypothèse.

    Actuellement, la recherche semble indiquer que le filtre précoce est l’hypothèse la plus pertinente. Il n’y a pas d’identification sans attention. 

    Les présumées fuites du filtre attentionnel précoce refléteraient en réalité des dérapages de l’attention vers les informations à ignorer. Dans les conditions qui limitent les déplacements de l’attention, les stimuli non attendus sont moins identifiés ou perçus consciemment.



    La fonction d’échantillonnage de l’attention sélective


    Les dérapages de l’attention sélective vers des informations à ignorer pourraient être la manifestation d’une autre fonction de l’attention sélective moins intuitive. Cette fonction consisterait à sélectionner les informations pertinentes : la fonction d’échantillonnage des informations à ignorer.

    Certaines des informations à ignorer présentent potentiellement un intérêt. Afin de déterminer de l’intérêt de ces informations hors du focus attentionnel, il est probablement crucial d’aller vérifier, par de très rapides et nombreux déplacements de l’attention, si des informations à ignorer ne sont pas pertinentes.

    Une fonction assez méconnue et pourtant importante de l’attention sélective est d’échantillonner les informations à ignorer, au cas où celles-ci seraient pertinentes. L’échantillonnage des informations est permis grâce à de brefs et nombreux déplacements de l’attention vers les informations à ignorer.



    Le coût des bavardages en classe sur l’attention sélective des élèves


    L’enseignant se trouve face à la classe. Il est concentré sur ses explications et peut ne pas toujours remarquer directement que certains élèves chuchotent dans la classe. Il lui faudra un certain temps pour noter les bavardages en fonction de la fonction d’échantillonnage de son attention sélective. 

    Cependant, des élèves qui se trouvent à proximité de ceux qui bavardent vont devoir exercer leur attention sélective s’ils veulent rester concentrés sur les explications de l’enseignant. Ils doivent sciemment les ignorer.

    Le souci est que, comme le montre l’effet cocktail-party, une partie de leur attention et de leurs ressources cognitives vont être capturées par l’inhibition des bavardages. Certains mots utilisés dans ceux-ci, comme leur prénom, peuvent complètement les déconnecter des explications données par l’enseignant. Les élèves utilisent des ressources pour diriger leur attention sélective vers l’enseignant, mais cette-ci va toutefois continuer à échantillonner ces chuchotements.

    Des bavardages en classe pendant des explications de l’enseignant, même s’ils sont réduits, constituent donc un obstacle à une compréhension optimale de tous les élèves. Ils ne peuvent pas être considérés comme anodins.



    Le coût de la surcharge d’un support PowerPoint pour l’attention sélective des élèves


    Les enseignants qui utilisent ce mode de présentation en classe face aux élèves peuvent être tentés de placer trop de texte sur leurs diapositives. Ce texte reprend sous une forme plus ou moins synthétique ce qu’ils expliquent, accompagné d’illustrations.

    Le regard des élèves va être capturé par ce qui est affiché sur l’écran. Naturellement, même s’ils se focalisent sur le discours de l’enseignant, leur esprit va se mettre à capturer et à traiter les expressions qui apparaissent à l’écran. 

    Ce phénomène est susceptible de causer des interférences avec le suivi de ce que dit l’enseignant. De toute façon, cela va peu demander aux élèves d’inhiber et d’ignorer autant que possible leur traitement sémantique de ce qui est affiché pour se concentrer sur l’enseignant. Cela peut également se traduire en des aller-retour entre ce que dit l’enseignant et ce qui est écrit. 

    La présence continue de trop de texte à l’écran dans une présentation PowerPoint a des effets néfastes sur le fonctionnement de l’attention sélective des élèves qui suivent ce même cours. À la fois ils doivent s’empêcher de focaliser leur attention dessus et ils ne peuvent non plus les ignorer car leur attention va continuer à échantillonner. 

    L’enseignant a tout intérêt à se limiter dans ses diapositives à des éléments de conclusion, de structure, qui ne font sens que dans le cadre de ce qu’il dit. Il gagne à privilégier des illustrations visuelles qui vont faciliter la compréhension des élèves. 
     


    Mise à jour le 02/05/2023

    Bibliographie


    François Maquestiaux, Psychologie de l’attention, Deboeck, p 45-70, 2017

    Stanislas Dehaene, apprendre !, Odile Jacob, p 213-242, 2018

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