mardi 22 mai 2018

Périodes critiques de la plasticité : l’apprentissage des langues

Des changements ont lieu tout au long de la vie dans le cerveau, mais avec une intensité particulière durant l’enfance.

Plus certains apprentissages sont précoces chez l’enfant, plus la plasticité peut prendre de l’ampleur et favoriser les apprentissages. Dans la même direction, la plasticité cérébrale ne présente pas de manière continue la même ampleur au cours du développement.

(Photographie : Barbara Bosworth)



Nous appelons période critique ou période sensible une fenêtre temporelle durant laquelle les circuits neuronaux présentent une capacité particulière. Celle-ci leur permet de s’adapter aux stimulations qu’ils reçoivent dans leur environnement.

Les interventions de l’environnement n’ont pas le même effet sur l’organisme en fonction du moment particulier de son développement auquel elles sont exercées.

L’existence de périodes critiques est attestée dans le système visuel. En l’absence de vision par un ou les deux yeux durant les premiers mois ou années de la vie, les entrées visuelles en provenance de l'œil concerné cessent d’être utilisées efficacement. Le même effet ne se manifeste pas chez l’adulte.



Le cas du langage


Il existerait également une hiérarchie de périodes critiques dans d’autres domaines, tout particulièrement dans l’apprentissage du langage. La capacité d’apprentissage d’une seconde langue présente une baisse continue avec l’âge, particulièrement prononcée à la puberté.

La capacité de discrimination des phonèmes dans la langue maternelle ne serait présente que si l’enfant a interagi avec un locuteur de cette langue avant 12 mois. À la naissance, les enfants sont sensibles à tous les sons de toutes les langues, qu’ils traitent de la même manière.

Autour de 9 mois, le jeune enfant se spécialise dans les sons qui sont statistiquement plus présents dans son environnement : il les distingue plus facilement, les traite plus rapidement et efficacement que ceux qui sont statistiquement moins significatifs. Dans un sens, il perd la capacité de traiter ces autres sons plus rares ou absents.

Nous ne savons pas très bien à quel moment cette période de plasticité se ferme. Lorsque des enfants sont adoptés, il y a une grande possibilité qu’une langue en remplace une autre. Nous ne savons pas si ce remplacement peut être complet et jusqu’à quel âge il peut l’être. Nous considérons qu’aux alentours de la puberté, mais probablement un petit peu avant, vers 9-10 ans, cette plasticité pour l’apprentissage se ferme définitivement.

C’est pour cela que les adultes venant du Japon ou de la Chine ont du mal à distinguer les sons qui correspondent aux R et L des langues occidentales.

Si l’enfant a été confronté précocement à locuteur d’une autre langue (dans les cas étudié, tonale), il lui reste une trace dormante. Celle-ci peut être réactivée. Ces enfants ont des capacités de traitement de contrastes qui sont meilleures que celle d’enfants qui n’auraient pas été exposés précocement durant leur première année de vie.



Le rôle des circuits inhibiteurs


Les périodes critiques ont un début et une fin. Elles sont freinées puis arrêtées par différents facteurs. Elles sont fortement liées à la maturation des circuits inhibiteurs (cellules PV et neurotransmetteur GABA) qui ferment ces périodes critiques et rendent la plasticité bien moindre. Le système devient figé. 

Dans l’espèce humaine, la maturation de ces circuits inhibiteurs peut être extrêmement lente. C’est d’autant plus vrai lorsque nous nous élevons dans la hiérarchie corticale. Nous commençons par figer les réseaux sensoriels jusqu’à ne jamais aboutir dans certaines régions. C’est le cas de certaines aires du cortex préfrontal associées au système cognitif supérieur. Nous ne connaissons pas d’espèce en dehors de l’homme qui aurait une maturation aussi lente de ce système.

Cette maturation joue probablement un rôle important stabilisateur pour la mémoire et pour le système. Des travaux suggèrent que c’est peut-être un des facteurs qui joue dans la schizophrénie, condition pour laquelle il a été observé une immaturité de ces cellules PV dans le cortex préfrontal.

Ces périodes ne sont pas absolument figées, la plasticité peut se refermer et se rouvrir. Elles ne dépendent pas uniquement d’une horloge, mais de facteurs environnementaux ou pharmacologiques. Certaines substances (benzodiazépines) peuvent raccourcir les périodes critiques. De la même façon, a été mis en évidence un retard de fermeture de la période critique pour la vision dans le cas d’un animal élevé dans le noir.



Liens entre la plasticité et l’apprentissage tout au long de la vie


Les élèves ont-ils obligatoirement des difficultés en langues à l’adolescence ?

S’il est vrai pour la distinction des sonorités propres à une langue, ce phénomène de période critique n’est pas vrai pour d’autres aspects du développement du langage, comme l’apprentissage de la grammaire ou du vocabulaire :
  • L’apprentissage de la grammaire semble présenter une fenêtre beaucoup plus longue pour l’acquisition optimale et facilitée. 
  • Le vocabulaire ne cesse jamais de s’enrichir. 

Ces observations devraient suffire à rejeter la version extrême du mythe selon lequel il y a un temps réduit pour apprendre. Celui-ci se situerait en dessous d’un certain âge et vaudrait pour tout type d’apprentissage. Au contraire, nous pouvons affirmer que la majorité des apprentissages se poursuivent tout au long de la vie.

Ceci signifie que le cerveau est un organe capable de s’ajuster et de se modifier de façon durable à la suite d’expériences d’un certain type. 

La plasticité du cerveau n’est ni infinie ni absolue : elle est au contraire restreinte et contrainte. 

Le cerveau hérite ces contraintes de son évolution : 
  • Chaque circuit neural à la naissance ayant déjà des caractéristiques propres qui le prédisposent pour accomplir certaines fonctions. 
  • Il possède des propriétés intrinsèques qui déterminent quel genre de fonctions il pourra endosser en plus de celles naturellement prédisposées.


Mise à jour le 28/02/2022


Bibliographie


Dortier, Jean-François, la plasticité, une adaptation permanente, Sciences humaines, hors-série n°4, décembre 2011 : https://www.scienceshumaines.com/la-plasticite-une-adaptation-permanente_fr_27967.html

Pasquinelli, Elena, Le cerveau se modifie : maturation, développement, plasticité et apprentissage, 2016, https://www.fondation-lamap.org/fr/page/34321/le-cerveau-se-modifie-maturation-developpement-plasticite-et-apprentissage

Campbell, Neil & Reece, Jane, Biologie 9e édition, Pearson, 2012

La plasticité des réseaux de neurones http://lecerveau.mcgill.ca

Gerrig, Richard & Zimbardo, Philip, Psychologie, 18e édition, Pearson, 2013

Stanislas Dehaene « Éducation, plasticité cérébrale et recyclage neuronal » Collège de France
06 janvier 2015 09:30 - 11:00 https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-01-06-09h30.htm

Élagage synaptique. (2018, mai 11). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 11 mai 2018 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=%C3%89lagage_synaptique&oldid=148359259.

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