mardi 24 avril 2018

Refuser l'utilisation et la diffusion en école de questionnaires sur les styles d’apprentissage

Il peut être tentant de faire remplir à un élève un questionnaire sur son style d’apprentissage. Certains questionnaires sont payants, d’autres sont gratuitement disponibles en ligne.



(Photographie : Anthony Mestres)



Nous pouvons nous dire, en tant qu’enseignants, que nous tâcherons de tenir compte des caractéristiques et tendances personnelles mises en évidence pour mieux différencier par la suite les apprentissages. Nous pouvons estimer en toute bonne foi que mieux se connaitre sur ces sujets pour des élèves sera intrinsèquement bon pour eux.

Nous pouvons nous dire que certes, ces théories sont invalidées, mais que même s’il y a du bon et du mauvais peut-être que le bon l’emporte ? Nous pouvons partir de la position relativiste, mais creuse qu’un peu de tout en pédagogie est forcément bon. 

En réalité du point de vue de l’éthique professionnelle, tout enseignant devrait pourtant s’abstenir de promouvoir ou d’utiliser de tels questionnaires.

Non seulement ces tests n’ont aucune validité scientifique, mais ils enferment également les élèves arbitrairement dans des cases. Leurs conclusions erronées peuvent amener les élèves à développer des attitudes contreproductives qui sont susceptibles d’amoindrir leurs apprentissages à long terme. Elles peuvent également les amener à délaisser ou négliger des stratégies d’apprentissage dont ils auraient au contraire vraiment besoin.

Dans la suite de cet article, nous allons développer la problématique en lien avec les questionnaires sur les styles d’apprentissage VAK (visuel, auditif et kinesthésique). La même logique est applicable sur d’autres types de questionnaires du même genre.

Les théories sur les styles d’apprentissage prétendent qu’un élève aurait un certain style ou profil d’apprentissage optimal. Le principe de ces questionnaires se fonde sur l’hypothèse qu’un élève peut être plus ou moins conscient de ses atouts. Il existerait dès lors une possibilité relativement fiable et valide d’autodétermination de son style en récoltant ses réponses à différentes questions. 

Cependant, il existe des failles fondamentales à la fois dans le diagnostic des styles d’apprentissage et dans la séparation entre ceux-ci.



Le problème de l’attribution d’un seul style


Nous pouvons avancer d’emblée que les questionnaires sur les styles d’apprentissage classifient mal et d’une manière simpliste les élèves. 

L’élève n’est pas affecté à un style basé sur un ensemble de scores sur différentes dimensions, mais plutôt classé dans un groupe spécifique et souvent exclusif. Il y a un manque prononcé de nuances dans la démarche.

Le premier problème ici est que les individus ne peuvent pas simplement être regroupés en groupes spécifiques et distincts. La plupart des différences phénotypiques entre êtres humains sont graduelles et non nominales. La plupart de nos caractères sont polygéniques et le phénotype est quantitatif, car les contributions des différents gènes sont additives et l’environnement influe également sur la norme de réaction. À quelques exceptions près comme celles des groupes sanguins, toute délimitation de catégories distinctes est souvent arbitraire.

Les partisans de l’utilisation de styles d’apprentissage ont tendance à ne pas en tenir compte de cette limitation biologique fondamentale. Ils utilisent des critères arbitraires tels qu’une médiane ou une moyenne sur une certaine échelle pour assigner une personne à un style spécifique.

De même absolument rien n’indique que ces styles ou profils sont stables dans le temps au cours du développement d’un individu.

En conclusion, nous pouvons estimer qu’il n’est pas possible de classer nos élèves en ne sélectionnant qu’une seule caractéristique de style comme caractéristique prédominante et marquante.



Le problème de la validité de la prédiction


Le deuxième problème concerne la validité, la fiabilité et le pouvoir de prédiction des tests utilités pour la détermination des styles d’apprentissage.

Il y a des incohérences et une faible fiabilité pour la mesure des styles d’apprentissage. Lorsqu’un individu donné remplit un même questionnaire à deux moments différents distribués dans le temps, ses réponses peuvent varier. En d’autres termes, la fiabilité d’un premier et d’un second test est assez faible. Le résultat obtenu peut changer. De plus, deux tests différents passés au même moment peuvent mener à des conclusions différentes. La méthodologie de ces tests est défaillante.

Ce manque de validité est lié à l’approche subjective, propre à la manière de récolter l’information souvent utilisée pour évaluer le style d’apprentissage. La méthode la plus souvent utilisée est l’autodéclaration. Malheureusement, la qualité objective de l’auto-évaluation d’un style d’apprentissage est très douteuse, car elle est peu factuelle.

Les élèves peuvent ne pas être capables ou ne pas être disposés à rapporter fidèlement ce qu’ils font ou ce qu’ils pensent qu’ils font. Ils peuvent délibérément trafiquer l’information en cultivant une image d’eux-mêmes qui peut ne pas correspondre à la réalité.

De même lorsque les élèves déclarent leur préférence pour l’information verbale par opposition à l’information visuelle, cette préférence n’est que faiblement liée à leurs capacités réelles lorsqu’elles sont mesurées objectivement. Ils peuvent se tromper en étant persuadés d’être dans le vrai. Nous pouvons être de pauvres juges de nos réelles capacités. 

Le mode d’apprentissage préféré déclaré est souvent un mauvais prédicteur de la façon dont les individus apprennent le plus efficacement. Ce que les élèves préfèrent comme approche d’étude n’est pas nécessairement ce qui est le plus efficace pour eux. Comme nous l’avons précisé dans un précédent article, c’est la nature des contenus à apprendre qui est déterminante pour définir la meilleure approche et non les préférences d’un élève. 

Les styles d’apprentissage cumulent de nombreux aspects subjectifs de l’apprentissage contraires aux avancées de la psychologie cognitive. Ils nous éloignent des aspects objectifs et invariants de l’apprentissage. 

En d’autres termes, la question se pose de savoir si les élèves peuvent réellement savoir ce qui est le plus efficace pour eux. En cela, la psychologie nous permet d’établir que généralement ce n’est pas le cas. Les méthodes peu efficaces comme la relecture ou le surlignage donnent des illusions d’apprentissage et sont peu performantes. Des méthodes comme l’entremêlement, la pratique espacée et la pratique de récupération sont plus difficiles et vont sembler peu efficaces pour les élèves alors qu’en toute objectivité elles le sont. Nous devons par conséquent nous méfier des intuitions de nos élèves sur ce qui marche pour eux en matière d’apprentissage. Nous avons toutes les raisons de penser qu’ils vont se tromper dans leurs réponses et que le style identifié n’a aucune consistance. 

Paul Kirschner évoque une analogie des plus éclairantes. De la même manière que nous pouvons mettre en évidence le style d’apprentissage de nos élèves en leur faisant remplir un questionnaire, nous pouvons les interroger sur leurs préférences alimentaires. Il y a de bonnes chances que pour une partie des élèves, des aliments industriels sucrés, salés ou gras prennent le dessus sur des produits naturels sains, pauvres en sucre, en sel ou en graisse. Toutefois, il ne s’agit pas d’un régime très efficace ou très sain à suivre à long terme, sauf si l’objectif est de grossir ou de réduire son espérance de vie.





Mis à jour le 16/11/21

Bibliographie


Kirschner P. A., Stop propagating the learning styles myth, Computers & Education (2017).

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