dimanche 25 mars 2018

De l'importance des connaissances à l'école

Pourquoi fatiguer nos élèves à mémoriser de nombreuses connaissances alors qu’ils vont rapidement en oublier la vaste majorité ? Surtout que tout est accessible à portée de clic par une recherche rapide sur internet ?


(photographie : Flo Baehr)


Le défi de l’oubli pour l’enseignement et l’apprentissage


Qu’on le veuille ou non, l’oubli est une dimension de l’apprentissage et la prise en compte de ses mécanismes peut être un facteur d’efficacité.


Relativiser l’oubli


La première chose à réaliser est que l’oubli est souvent moins radical que nous pouvons le présumer. Nous n’oublions pas tout. Dans certaines conditions, nous pouvons même nous souvenir d’à peu près tout ce qui est essentiel concernant certains sujets.

Nous avons une tendance à surestimer ce que nous avons oublié. Un tri se produit, mais nous conservons une partie de ce que nous apprenons. Ce qui parait oublié à un moment peut devenir accessible lorsque plus d’indices contextuels sont présents. Tout est une question d’intégration dans des schémas et de réutilisation régulière. Une information isolée ou non réutilisée se perd, se détériore ou s’oublie. Une information régulièrement récupérée se consolide, s’intègre et se nuance.


Des paramètres qui atténuent l’oubli 


L’oubli est un phénomène naturel et l’érosion des connaissances est :
  • Plus manifeste dans le cas d’un rappel direct : 
    • C’est le fait de se souvenir à froid, de but en blanc, sans indice ou en dehors du contexte d’apprentissage d’éléments précédemment appris.
  • Plus faible dans le cas d’un rappel indicé : 
    • La récupération se fait dans un contexte proche de l’apprentissage avec différents indices.
  • Bien plus minime encore lorsqu’il s’agit de reconnaitre l’information plutôt que de la récupérer :
    •  Par exemple, il s’agit de retrouver la bonne réponse parmi les différentes options d’une question à choix multiples.
En général, nous assistons à une perte rapide de signification des concepts mémorisés dans les premiers temps lorsqu’ils ne sont pas réutilisés. Ils deviennent peu à peu moins accessibles.

Au contraire, nous constatons une maintenance en mémoire d’une plus large partie d’entre eux à long terme lorsqu’ils sont de temps à autre mobilisés ou rencontrés à nouveau.

L’intensité d’un rappel à long terme dépend à la fois de la qualité de l’apprentissage initial et d’opportunités de récupération régulières : 
  • Au plus nous apprenons en profondeur et intensité certains éléments de connaissance dans une phase initiale, au plus il est probable que nous en garderons quelque chose. 
  • Au mieux des concepts sont compris, ancrés et mémorisés lors d’un apprentissage distribué grâce à de multiples récupérations, au plus solidement ils perdureront en mémoire. 
  • Au mieux nous comprenons d’informations en lien avec nos connaissances préalables, au mieux nous les retenons. Une information qui n’est pas stockée de manière pertinente dans un schéma cognitif, qui ne fait pas sens et qui n’est pas correctement reliée à d’autres informations proches sera plus rapidement oubliée.  
Un aspect particulièrement important est le fait d’entretenir les connaissances apprises. Les élèves doivent y être confrontés à nouveau plusieurs fois. Ils doivent les récupérer en mémoire à long terme régulièrement. L’espacement des récupérations peut être croissant. 

Si ce processus s’étend dans le temps, il peut entrainer une bonne fixation en mémoire même si ces concepts ne sont quasiment plus jamais utilisés ou rencontrés à nouveau par l’individu.

Croisons tous ces facteurs un instant. Nous pouvons résolument admettre qu’une partie non négligeable de concepts vus dans le cadre scolaire peuvent être raisonnablement fixés à vie. Beaucoup de connaissances ne vont jamais être oubliées. 

Il importe simplement que l’apprentissage a été approfondi et distribué sur une longue période et que des occasions de rappels aient été rencontrées par la suite. Ces rappels sont soit directs ou indirects lorsque des concepts voisins ou complémentaires ont été croisés.

Il est donc important que l’enseignement en classe et les activités d’apprentissage autonome à domicile dans lesquels s’engagent les élèves soient conçus dans l’optique de la construction de connaissances durables.



Économie de réapprentissage et oubli du contexte de l’information


L'économie de réapprentissage


Si à un moment donné, nous ne nous souvenons plus de quelque chose, nous avons l’impression que l’oubli est définitivement passé par là et que cette perte de mémoire d’une connaissance est définitive.

Parfois, il suffit d’insister plus longtemps et de s’éclairer d’un indice pour finalement retrouver les informations manquantes en mémoire. Faire des efforts paie ! La difficulté rencontrée lors de la récupération d’une information est la garantie d’une meilleure mémorisation ultérieure.

Un principe intéressant dans ce contexte est celui de l’économie de réapprentissage. Régulièrement, nous pouvons en grande partie oublier des concepts et informations que nous avons récemment encore maitrisés. Cependant, il nous sera plus rapide et plus facile de les apprendre à nouveau, qu’il l’a été de les apprendre la première fois.

Si nous ne pouvons plus nous souvenir de quelque chose que nous avons un jour mémorisé, cela ne signifie pas que la connaissance est définitivement partie. Le réapprentissage plus rapide est une preuve de l’existence de traces de l’apprentissage initial.

 

L'oubli du contexte de l'information pour les connaissances sémantiques


Nous sous-estimons souvent ce dont nous pouvons nous souvenir et ce que nous avons appris à l’école :
  • Parfois quand nous nous souvenons de connaissances sémantiques, nous ne réalisons pas que nous les avons apprises initialement à l’école. 
  • Savoir quand et où quelque chose est appris est ce que nous appelons le contexte de l’information
  • Le contexte est géré par des processus de mémoire différents, il est donc tout à fait possible et probable de retenir du contenu sans se souvenir du contexte. 
  • Souvent, le contexte où nous avons appris la connaissance importe moins que le sens et l’utilité de celle-ci.
Les contextes sont fréquemment plus faciles à oublier que les contenus et ils sont potentiellement la source d’une variété d’illusions ou d’erreurs de mémoire.

Si la source d’une information est peu fiable, son contenu sera jugé peu crédible. Cependant, il y a le risque d’oublier le contexte d’origine d’une information, c’est-à-dire sa source. 

Nous ne retenons plus que le contenu, il risque d’être à ce moment-là, considéré comme crédible, là est toute la dangerosité des fake news, des conceptions erronées et des neuromythes. 



Enseigner le transfert proche dans des domaines spécifiques


Comme l’explique Greg Ashman (2017), le fait de développer chez nos élèves leur capacité à transférer leurs connaissances d’un contexte spécifique connu vers un autre qui leur est encore inconnu n’est pas évident. Il s’agit d’un processus lent et incertain. 

Pour faciliter le transfert :
  • Nous devons confronter nos élèves à de multiples exemples variés. 
  • Nous devons leur faire faire des allers-retours entre un concept abstrait et des contextes d’application diversifiés. 
  • Le processus doit se répéter pour chacune des connaissances que nous espérons les voir utiliser dans ces contextes nouveaux.
Par la suite, si nous voulons évaluer rigoureusement la qualité transfert chez nos élèves, il est utile que le processus soit fait de manière indépendante, c’est-à-dire pas par nous-mêmes pour éviter tout biais. 

Cette évaluation doit à l’idéal être établie par une tierce partie pour que les questions ne puissent pas être prévisibles ou influencées.

Ce processus peut fonctionner si l’évaluation propose des contextes voisins de ceux appris par les élèves. De cette manière, nous pouvons enseigner aux élèves un transfert proche. Les élèves peuvent utiliser une connaissance apprise dans un contexte spécifique, dans un autre contexte voisin qui leur est familier. 

Si l’autre contexte est très différent ou est peu connu de leur part, le transfert devient improbable. On parle alors de transfert lointain. Toute tentative d’enseigner le raisonnement général ou le transfert lointain dans des contextes éloignés où les élèves ont peu de connaissances spécifiques échoue généralement. 

Par exemple, l’esprit critique est une capacité plus susceptible d’émerger lorsqu’un élève à une connaissance suffisante d’un domaine. Lorsqu’il n’y connait pas grand-chose, lui demander de faire preuve d’esprit critique risque de se révéler être une impasse.

Comme le montre la recherche, nous pouvons enseigner le transfert proche dans un domaine voisin et l’esprit critique dans un domaine donné seulement en les travaillant par une approche fondée sur l’acquisition de larges connaissances spécifiques pertinentes. 

Tout ce processus est forcément, lent et à long terme, selon une progression qui échappe souvent au temps scolaire à court ou moyen terme de l’évaluation. Nous ne voyons que peu l’apprentissage de compétences de transfert. 

Dès lors, nous devons être modestes dans une évaluation à court terme, et plutôt considérer que les élèves vont naturellement progresser si nous procédons de la sorte.

C’est également la raison pour laquelle le fait d’enseigner spécifiquement l’esprit critique ou la résolution de problèmes aux élèves en dehors de tout contexte spécifique dans une perspective à court ou à moyen terme est illusoire. Cette démarche est déconnectée des conditions qui permettent réellement le développement de telles compétences. 



Des liens entre l'acquisition des connaissances scolaires et l'accroissement de l'intelligence générale


Aller à l’école rend plus intelligent dans un sens général. Le lien entre la valeur du QI et la durée de la scolarité a été mis en évidence. Une plus grande scolarité est associée à une plus grande intelligence générale, même s’il est difficile de démêler les corrélations, causes et effets.

Les individus ayant une intelligence générale supérieure vont être plus motivés à poursuivre leur scolarité plus longtemps et à entamer un parcours universitaire. Les personnes ayant une intelligence inférieure sont plus susceptibles de mettre un terme à leur scolarité plus rapidement.

La recherche a dû contourner et isoler ces effets pour montrer qu’en dehors de ce phénomène, le lien entre scolarité et intelligence générale subsiste. Cet objectif a été réalisé notamment en comparant deux régions voisines qui avaient des durées de scolarité différentes (entrée ou sortie). Les chercheurs ont pu montrer qu’une durée d’instruction plus longue conduit à une plus grande intelligence générale.

Nous pourrions nous demander quelle est la cause de cet effet. Est-ce que ce sont les connaissances scolaires mémorisées ou est-ce que c’est plutôt le fait d’exercer son cerveau à l’école qui serait responsable de l’accroissement de l’intelligence ? Il semble que la balance penche en faveur des connaissances.

Il y a deux facteurs qui contribuent au QI :
  • L’intelligence cristallisée : c’est l’ampleur et la profondeur de ce que nous avons consolidé dans notre mémoire à long terme.
  • L’intelligence fluide : c’est la rapidité avec laquelle nous pouvons traiter ce que nous connaissons.
Des chercheurs ont montré que même si des années d’études sont associées au QI, celles-ci ne sont pas associées à la vitesse de traitement.

L’éducation augmente le QI en augmentant l’ampleur et la profondeur des connaissances, et en développant les compétences liées à l’utilisation de ces connaissances. 

Cet effet est crucial bien au-delà du QI. Il a été montré qu’au plus le niveau d’éducation est élevé, au plus les populations sont en bonne santé. Les individus vivent plus longtemps, contribuent plus à la société et ont de meilleurs revenus. À l’échelle de la société, ces bénéfices incluent une diminution des frais de justice, de santé et une augmentation de la croissance économique.






Pour aller plus loin sur la question de l’oubli : voir article.

Mis à jour le 01/09/21


Bibliographie


William, D (2018). Embedded formative assessment. Solution Tree Press, p. 1.

Willingham, D. T. (2015). Ask the Cognitive Scientist Do Students Remember What They Learn in School? American Educator, 6 (2015) p33-38.

Greg Ashman, School makes you smarter, 2017, The Spectator, https://www.spectator.co.uk/2017/12/teachers-notes/

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