dimanche 23 juillet 2017

Évaluation formative : place de l'erreur, objectifs d'apprentissage et dimension affective

Voici une exploration de trois dimensions de l’évaluation formative :


(photographie : Elger Esser)


L’erreur comme opportunité d’apprentissage dans une perspective d'évaluation formative


Lorsque l’évaluation formative fait partie intégrante des processus d’enseignement et se situe à toutes les étapes de celui-ci, elle en devient indissociable. Si l’évaluation formative n’est pas une macrostratégie pédagogique, elle correspond néanmoins à un ensemble de microstratégies qui peuvent venir renforcer un enseignement explicite.

Même si elle n’est pas nommée telle quelle dans le modèle originel de l’enseignement explicite tel que développé par Barak Rosenhine (2010), l’évaluation formative peut rapidement en devenir un élément clé :
  • Elle est profondément inscrite dans la vérification de la compréhension, dans la pratique autonome et au sein des démarches de révisions dans un cadre d’enseignement explicite. 
  • Elle renforce et facilite l’obtention d’un apprentissage durable, qui est un objectif clé en enseignement explicite. 
  • Elle répond à la même logique et aux mêmes conceptions cognitivistes et instructionnistes.

Sous forme d’auto-évaluation, elle est également au cœur des stratégies d’apprentissage autonome efficaces (cognitives et métacognitives), à travers la pratique de récupération, l’effet de test, l’entremêlement ou l’effet d’espacement.

Elle n’est pas pour autant réductible à un fonctionnement mécanique. Elle doit inclure une conception pédagogique qui donne toute sa place à l’erreur. Elle se fonde sur une logique d’alignement curriculaire (le cours est construit sur des objectifs d’apprentissage qui sont enseignés et évalués). Bien gérée, elle constitue un levier pour stimuler la motivation des élèves.

Par conséquent, il est important de développer un climat de classe autour de l’erreur qui sécurise les élèves, et la présentant comme une opportunité d’apprentissage. Nos élèves doivent oser prendre le risque de faire des erreurs en classe, pour s’en servir ensuite comme de marche de progrès leur indiquant les éléments à retravailler. Les élèves qui ont suffisamment confiance en eux pour prendre des risques ont plus de chances de révéler ce qu’ils comprennent, ce qu’ils ne comprennent pas et d’agir en conséquence.

L’évaluation formative permet de tenir compte des différences individuelles et culturelles des élèves. L’évaluation formative est, en ce sens, une forme de différenciation dans la mesure où elle questionne l’enseignant sur les difficultés de chaque élève et l’amène à lui offrir ou proposer des pistes individualisées. Elle cherche l’adaptation à une situation individuelle.



Une dimension positive de l’erreur dans le cadre de l'évaluation formative


L’évaluation formative reconsidère le statut de l’erreur qui devient un critère clé de progression de l’apprentissage en permettant l’identification des éléments précis sur lesquels prêter effort :
  • Dans l’idée d’une acquisition sommative stricte des connaissances, les erreurs sont considérées que comme des ratés de l’apprentissage. Elles sont à éviter. Elles peuvent être perçues comme des symptômes d’une incompétence et être synonymes de fautes personnelles. L’erreur est source d’angoisse et elle peut générer une aversion spontanée. L’élève risque de renoncer à participer de peur de se tromper.
  • Dans la perspective de l’évaluation formative, l’erreur devient positive. Elle est un passage obligé, un outil, elle fait partie même de l’acte d’apprendre, comme le fait d’oublier et de réapprendre. Elle doit être analysée et traitée dans une approche différenciée. Nous la transformons en tremplin pour, par médiations et remédiations, stimuler et former à des démarches d’apprentissage. L'erreur est bienvenue car elle est source d'apprentissage.
  • Un élève qui se trompe en classe est plus intéressant qu’un élève qui ne se trompe pas. Il permet de déceler des facteurs d’erreurs dont le réajustement sera profitable à d’autres élèves également. De ce fait, une erreur ouvre un dialogue formative avec l'élève pour alimenter sa réflexion et permettre l'élaboration. L'enseignant ne donne pas la bonne réponse pour corriger l'erreur de l'élève. Grâce à son expertise, il en comprend la nature et la cause sous-jacente qu'il va chercher à résoudre avec l'élève.



Évaluation formative et nature de la note


Par définition, l’évaluation formative est dénuée de note chiffrée pure, mais génère une rétroaction explicative qui vise à mettre l’élève sur le chemin du progrès.

L’évaluation formative attire l’attention des élèves sur la maîtrise des tâches plutôt que sur une compétition et sur des comparaisons avec d’autres élèves.

Lorsque les élèves reçoivent à la fois des notes et des commentaires, la première chose qu’ils regardent est, comme nous pouvons nous y attendre, la note. La deuxième chose qu’ils regardent est la note de leurs voisins pour se situer par rapport à eux. Si la comparaison les réconforte, plus besoin de s’inquiéter. Si la comparaison les désole, l’anxiété augmente. Dans les deux cas, l’attention n’est pas réellement disponible pour réfléchir à la manière de remédier immédiatement à la solution, ce sera reporté à la préparation de la prochaine échéance.

Lorsqu’un élève a par exemple 12/20, il peut se focaliser sur ce qu’il a réussi et considérer que c’est gagné. S’il n’y a pas de notes, il devient malaisé de déterminer si c’est un 12/20 ou un 8/20. Son attention est plus facilement accrochée par ce qu’il n’a pas été capable de résoudre et sur la façon d’y remédier. Il se place automatiquement beaucoup plus dans une perspective d’amélioration.

Cet aspect non purement chiffré favorise chez l’élève le développement de certaines compétences émotionnelles comme la conscience de soi, la maîtrise de soi, la prise de recul, l’attention, la persévérance, la coopération ou l’esprit critique.

Le risque d’une note chiffrée pure est qu’elle est avant tout normative. Elle fournit une information brute à l’élève : 
  • A-t-il réussi ? A-t-il raté ?
  • A-t-il fait une bonne performance par rapport à ses pairs ou non ?
Elle est une forme de validation ou d’invalidation de la conformité de l’élève à de normes, face à sa scolarité, face à ses pairs, face à ses parents.

Si la note est détachée de la rétroaction, elle peut détourner l’attention de cette dernière et peut gagner à être évitée.

Cependant, les enseignants n’ont pas toujours le temps nécessaire pour séparer complètement les dimensions formative et sommative de l’évaluation. Dans la perspective de l’établissement d’apprentissage durable, la mise en place d’un continuum entre évaluation formative et sommative est intéressante. Elle implique d’intégrer la note et la rétroaction dans le cadre d’un alignement curriculaire. C’est le modèle de la note constructive de Raphaël Pasquini (2021). Dans cette logique, la note devient à haute valeur informative, car elle est construite et en rapport direct avec les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite. 

Deux élèves qui ont la même note chiffrée, par exemple un 13/20 peuvent obtenir des notes constructives très différentes :  
  • Des objectifs différents peuvent être maîtrisés 
  • Des pistes de rétroaction différentes peuvent leur être proposées 
En travaillant de cette manière, nous pouvons valider progressivement les apprentissages des élèves plutôt que de mesurer des performances ponctuelles volatiles. L’évaluation se retrouve alors mieux intégrée aux processus d’enseignement et d’apprentissage.





Évaluation formative et transfert de responsabilité


L’évaluation formative permet un transfert progressive de la responsabilité de l'apprentissage de l'enseignant vers ses élèves : 
  • Les élèves acceptent de s’investir pour évaluer leur niveau et entrent dans une relation de négociation autour des problématiques mises en évidence par la correction automotivée des erreurs. 
  • L’enseignant guide sur les étapes suivant la détection de l'erreur. L’élève en accepte le guidage de la rétroaction ou interagit avec elle en posant des questions ciblées. 
  • La démarche permet d’affiner et de préciser les conditions du cours, les subtilités éventuelles des objectifs d’apprentissage et les moyens à fournir par chacun pour mener à un meilleur apprentissage.
L’évaluation formative n’est pas uniquement centrée sur les connaissances et le savoir-faire. Elle doit s’étendre à des d’outils d’auto-évaluation sur les pratiques, les stratégies cognitives et métacognitives, le bien-être, les attitudes vis-à-vis de l’apprentissage ou les projets d’orientation. Elle induit des pratiques réflexives et diagnostiques et en ouvrant un dialogue ultérieur dans l’élaboration de pistes d’amélioration.



Liens entre évaluation formative et objectifs d’apprentissage


La préparation des objectifs d’apprentissage


L’évaluation formative n’est pas aléatoire, mais ordonnée. Elle implique de préparer et d’encadrer l’apprentissage des élèves et non plus seulement leur enseignement. Elle doit être plus que le simple écho du succès dans les activités planifiées par l’enseignant en classe, mais celui d’une progression vers la maîtrise des objectifs d’apprentissage.

Nous devons subdiviser, reformuler ou regrouper les attentes du programme afin de créer des objectifs d’apprentissage adéquats, lisibles, structurants, progressifs et mobilisables également dans le cadre de l’évaluation formative. Ceux-ci doivent être mis en lien avec des critères de réussite.

Les objectifs d’apprentissage peuvent parfois être décomposés en sous-unités lorsque les élèves rencontrent plus de difficultés. L’évaluation formative s’inscrit dans une logique d’alignement constructif ou curriculaire. Le cours est construit à partir des objectifs d’apprentissage dans la logique d’une planification à rebours. Tout ce qui est enseigné, appris, évalué est en lien avec les objectifs d’apprentissage prédéfinis. Un processus d’évaluation formative se construit autour de ces objectifs d’apprentissage qui deviennent la base de l’évaluation sommative. 

Il est utile de trouver une forme d’intégration, d’accessibilité et de communication des objectifs d’apprentissage et des critères de réussite auprès des élèves. Les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite doivent être complètement intelligibles par les élèves. Ils sont introduits au fur et à mesure du modelage des connaissances et compétences, et des activités d’apprentissage qui leur correspondent, dans la logique d’un enseignement explicite.

Le fait de fixer des objectifs d’apprentissage clairs et de suivre les progrès des élèves vers leur acquisition rend le processus d’apprentissage bien plus transparent. Les élèves n’ont pas à deviner ce qu’ils doivent faire pour réussir. Les enseignants les aident aussi à suivre leurs progrès et à prendre confiance en eux.


L’évaluation formative nécessite que l’enseignant rende les objectifs d’apprentissage plus clairs, précis et élaborés pour ses élèves


L’enseignant explique à ses élèves à quoi serviront les contenus qu’il s’apprête à enseigner. Il modèle ce qu’il attend d’eux. Il précise comment ces nouveaux apprentissages s’intègrent de manière plus générale et significative dans le cadre du programme d’enseignement.

Des objectifs d’apprentissage imprécis ou absents sont la cause de difficultés pour les élèves dans la progression de leurs apprentissages. Ces difficultés seront révélées dans le cadre de l’évaluation formative. Une rétroaction sera générée, bien avant l’évaluation sommative. Clarifier les objectifs d’apprentissage peut ainsi permettre de diminuer les difficultés des élèves et les besoins en rétroaction et remédiation.

Nous pouvons postuler que l’évaluation formative ne peut être pleinement efficace que lorsqu’elle s’appuie sur cadre d’objectifs d’apprentissage clairs et précis, et de critères de réussite correspondants.


Les enseignants mettent en œuvre des stratégies d’évaluation formative étroitement liées aux objectifs d’apprentissage


Les évaluations formatives reflètent et diagnostiquent précisément chez les élèves les progrès de l’apprentissage en cours.

L’évaluation formative favorise et renforce l’alignement curriculaire ou constructif.

Les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite peuvent s’inscrire dans une grille critériée qui rend la note informative dans le cadre d’une évaluation sommative.

Lorsque l’enseignant a rendu ces processus complètement transparents, l’élève peut avoir une vision claire de son apprentissage actuel et de ce qu’il lui reste à faire pour progresser.



Dimension sociale et émotionnelle des apprentissages et évaluation formative


L’évaluation formative a un rôle de facilitation des apprentissages. Dans ce cadre, elle permet de multiplier les interactions entre un élève, son enseignant et les autres élèves dans le cadre des apprentissages. Elle permet un retour d’information fréquent sur l’état des apprentissages qui permet de générer en retour une rétroaction qui offre des indications sur la manière de progresser.

Cette facilitation de la communication sur les apprentissages est susceptible d’avoir un impact positif sur les relations en classe. De plus, les faibles enjeux liés à l’évaluation formative font qu’elle n’est pas source d’anxiété. Elle permet au contraire de mieux la gérer, de mieux l’anticiper et amoindrir son impact en soutenant la préparation aux évaluations à enjeux plus élevés (sommatifs ou certificatifs). De plus dans le cadre de l’évaluation formative, l’erreur est perçue comme une opportunité d’apprentissage. 

La génération de réponses et de production dans le cadre des processus d’évaluation permet à l’élève de rencontrer des opportunités de réussite. De plus, elle permet de découper les obstacles en étapes plus gérables et cumulatives. En offrant des expériences d’apprentissage réussies, l’évaluation formative permet de générer des émotions positives liées à des efforts qui permettent de relever des défis. 

Toutes ces dimensions peuvent avoir des effets positifs sur son auto-efficacité et sur sa perception de compétence, et indirectement sur sa motivation. L’évaluation formative permet de mettre en évidence les acquis et la progression. De là, les émotions peuvent agir de manière bénéfique sur la capacité de l’élève à réguler, de manière autonome, son apprentissage.

Les démarches liées à l’évaluation formative permettent d’agir pour inclure à l’échelle de la classe des démarches de différenciation et de tutorat par les pairs. Ces approches pédagogiques permettent de répondre aux besoins de la diversité des niveaux et tenir compte de différents styles émotionnels des élèves :
  • Les élèves les plus vulnérables ont besoin d’une aide, de soutien, de pistes et d’une attention particulière pour développer leurs compétences, s’engager et soutenir leurs efforts. 
  • Les élèves qui ont le plus de facilité ont besoin d’être mis face à des défis à la hauteur et d’être stimulés.
Toutefois, cette diversification possible dans l’approche ne se traduit pas par une différenciation stricte de l’enseignement en classe. Les enseignants s’efforcent d’aider les élèves à prendre confiance dans leurs compétences et leurs connaissances et dans leurs capacités à gérer eux-mêmes leur apprentissage. L’enseignant s’assure de maintenir des attentes élevées pour tous ses élèves.


Mis à jour le 24/09/2023

Bibliographie


De Landsheere, V., « Une école sans échec. Implantation de pratiques d’évaluation formative dans des classes d’école primaire. »,    Informations pédagogiques n° 38 — décembre (1997)

Évaluation formative, Cognition Apprentissage Enseignement, TELUQ http://wiki.teluq.ca/ted6210/index.php/Evaluation_formative (2017)

LEJEUNE Joseph, ouvrages de référence sur l’évaluation et spécialement sur l’évaluation formative. (1994)

Morrissette, J. « Un panorama de la recherche sur l’évaluation formative des apprentissages. Mesure et évaluation en éducation », 33 (3), 1-27. (2010)

OECD, L’évaluation formative : Pour un meilleur apprentissage dans les classes secondaires, OECD Publishing, Paris. (2005)

Pourtier, A, 2010, « L’évaluation formative » http://www.ac-grenoble.fr/ien.bourgoin3/IMG/pdf_L_evaluation_formative.pdf (2010)

Younes, N ; Gaime, E. L’évaluation formative en contexte : points de vue d’enseignants, points de vue d’élèves. Diversité, VEI, pp.161-166. (2012)

Rosenshine, Barak, Principles of Instruction, Educational Practices Series-21 (2010)

Raphaël Pasquini, Quand la note devient constructive, 2021, Presses universitaires de Laval 

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